Famille : Notodontidae
Texto © Prof. Giorgio Venturini
Traduction en français par Jean-Marc Linder
La Processionnaire du pin (Thaumetopoea pityocampa Denis & Schiffermüller, 1775) est un lépidoptère relevant de la famille des Notodontidae.
Le nom du genre Thaumetopoea dérive du grec thauma (θαῦμα) : merveille, admiration, et poieo (ποιέω) : je le fais, et signifie donc “qui engendre l’émerveillement”, à cause des extraordinaires processions des chenilles. Le nom de l’espèce, pityocampa, dérive aussi du grec pitus (πιτυσ) : pin, et campe (καμπη) : chenille, et signifie donc “chenille du pin”. Pityocampa était le nom latin de la processionnaire et pityocampe (πιτυοκαμπη) le nom grec.
Le genre Thaumetopoea comprend six autres espèces, parmi lesquelles la Processionnaire du chêne (Thaumetopoea processionea Linnaeus, 1758) qui, comme celle du pin, peut s’avérer très nuisible au patrimoine forestier et à la santé humaine.
Ces papillons sont bien connus pour les dégâts importants qu’ils causent aux pins, pour le fort pouvoir urticant de leurs poils, et surtout pour le comportement des chenilles, qui se déplacent en longues files, la tête de chaque individu restant au contact de l’extrémité arrière du précédent (d’où le nom commun de “processionnaire”).
“Les moutons du marchand Dindenaut suivaient celui que Panurge avait malicieusement jeté à la mer, et l’un après l’autre se précipitaient, car, dit Rabelais, le naturel du mouton, le plus sot et inepte animal du monde, estre tousiours suyvre le premier, quelque part qu’il aille. La chenille du pin, non par ineptie, mais par nécessité, est plus moutonnière encore : où la première a passé, toutes les autres passent, en file régulière, sans intervalle vide.”
C’est ainsi que le grand entomologiste français Jean-Henri Fabre décrivait le comportement des chenilles de la processionnaire au XIXe siècle, faisant référence à l’épisode du Gargantua et Pantagruel de Rabelais, où Panurge, pour se venger de l’arrogance du marchand Dindenaut, pousse dans la mer le bélier de tête de son troupeau, immédiatement suivi par tous les autres moutons, par le marchand lui-même et par ses serviteurs qui essaient de les retenir. Fabre, décrivant avec une grande précision le comportement des processionnaires, raconte aussi sa fameuse expérience où les chenilles, poussées à s’arranger en anneau, continuent à tourner en rond pendant des jours et des jours sans se soucier du gel et du jeûne (des observations plus récentes suggèrent que ce résultat frappant a été provoqué par les manipulations effectuées par Fabre : en réalité les chenilles reprennent en peu de temps un parcours normal).
La Processionnaire du Pin est présente dans toutes les zones tempérées du bassin méditerranéen, où elle s’attaque à divers conifères, surtout des pins, mais aussi des cèdres.
Originaire du sud de l’Europe, la Processionnaire, surtout ces dernières décennies, se développe dans de nombreuses régions d’Europe centrale et septentrionale jusqu’au nord de la France, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Angleterre. Cette expansion est probablement une conséquence du réchauffement global de la planète, qui a entraîné une diminution des gelées printanières.
Cette espèce, dont les chenilles se nourrissent d’aiguilles de pin, est considérée comme l’un des ravageurs les plus dangereux pour ces plantes, et comme le principal facteur limitant le développement et la survie des pinèdes méditerranéennes.
Morphologie
Les adultes sont grisâtres avec des bandes transversales plus foncées et une tête ornée de poils denses. Avec une envergure de 3-4 cm, le mâle est légèrement plus petit que la femelle, qui peut atteindre 5 cm.
Chez les deux sexes, le thorax est velu ; chez la femelle, l’abdomen est plus gros et recouvert d’écailles jaunâtres à l’extrémité postérieure. Les ailes antérieures sont gris cendré avec trois bandes transversales, tandis que les postérieures sont plus claires, avec une tache brune dans la région anale. La couleur et les stries sont mimétiques sur l’écorce des arbres. Les antennes sont clairement pectinées chez le mâle, beaucoup plus fines et presque filiformes chez la femelle.
Les larves se développent en 5 stades et atteignent au dernier stade environ 4 cm de longueur ; elles sont d’abord brun-jaunâtre puis deviennent plus foncées à chaque mue. Aux derniers stades, le tégument est caractérisé par une coloration gris-bleu à noir, tendant à l’ocre ventralement. Le corps est caractérisé par des tubercules rougeâtres qui portent de longs poils jaune-blanc, non piquants. Les poils urticants, beaucoup plus courts et à peine visibles, se développent principalement à partir de la seconde mue. La tête est noire. Les nymphes, d’environ 2 cm de long, sont ovales et rougeâtres, enveloppées dans un cocon de soie de la même couleur.
Cycle biologique
Thaumetopoea pityocampa n’a qu’une génération par an. Elle est cependant extrêmement prolifique et, dans certaines régions, la population subit de brusques augmentations tous les 6 à 8 ans. Les adultes émergent en été, généralement entre juillet et août ; parfois, les nymphes restent dormantes en diapause pendant quelques années (jusqu’à 6 ans), probablement par suite de conditions météorologiques défavorables. Les adultes restent cachés dans les arbres durant la journée, c’est la nuit qu’ils volent à la recherche de leur partenaire. Les mâles apparaissent généralement en premier et volent mieux que les femelles. Les adultes ne survivent que quelques jours. Les œufs sphériques d’environ 1 mm de diamètre sont de couleur blanc jaunâtre et sont pondus, habituellement en septembre, sur les arbres, formant un manchon cylindrique autour de la base des aiguilles des pins.
Chaque manchon est formé par un nombre très variable d’œufs, de quelques dizaines à plus de 300 ; la couleur d’ensemble d’un manchon est argentée : il est en effet enveloppé de soie et d’écailles provenant de l’abdomen de la femelle.
Les chenilles naissent généralement 25 à 40 jours après la ponte. Grégaires, les larves se nourrissent sur les arbres entre l’automne et le printemps ; leur développement comprend 5 phases larvaires. Les larves de la Processionnaire du pin construisent avec leur soie des nids d’hiver typiques à la cime des arbres. L’allure voyante et caractéristique des nids, ou cocons, permet de diagnostiquer facilement l’infestation. Nées en août-septembre, les jeunes chenilles sont encore dépourvues du pouvoir urticant, qui apparaît après la seconde mue.
Le nid abrite en général environ 200 individus et est formé de fils de soie qui englobent des aiguilles de pin, des excréments et des soies de chenilles ; il peut s’étirer sur quelques décimètres et est si bien isolé qu’il peut maintenir une température positive même par de très froides nuits.
Pendant l’hiver, aux heures les plus chaudes de la journée, les chenilles quittent le nid pour se nourrir sur l’arbre, et y retournent généralement pour la nuit ; elles se déplacent toujours en file indienne en formant les processions typiques. Si pour une raison quelconque la file est interrompue, les chenilles la recomposent rapidement ; celle qui se trouve par hasard en première position devient aussitôt le nouveau chef de file que toutes les autres suivront, soigneusement guidées par une trace odorante de phéromones marquée par la première et renforcée par chaque chenille. Lorsque le climat devient plus doux, les larves sortent surtout la nuit.
Au printemps, généralement entre avril et juin selon le climat, les chenilles descendent des arbres, forment les processions typiques et se déplacent au sol pour s’enterrer et se nymphoser. Les larves provenant d’un même nid se nymphosent généralement toutes ensemble, en groupes compacts.
Il est probable que les larves se déplacent en file sur la piste de phéromones pour pouvoir se regrouper dans les sites d’alimentation ou de nymphose, et aussi pour pouvoir retrouver facilement le chemin du nid qui, on l’a vu, les protège d’autant mieux du froid qu’elles sont réunies en grand nombre. Par contre, lorsque les chenilles quittent le nid pour manger sans s’éloigner, en restant sur les branches voisines, elles se déplacent isolées ou en petits groupes. En tout cas, il semble qu’elles retournent au nid en suivant ces traces odorantes. En plus de la trace odorante, il semble que le contact direct avec les soies de la chenille précédente soit important également pour conserver l’intégrité de la file.
La processionnaire est une espèce héliotherme, c’est-à-dire qu’elle utilise l’exposition au soleil pour augmenter sa température corporelle. La construction de nids capables de retenir la chaleur du soleil permet aux espèces sociales de contrôler leur propre température de manière particulièrement efficace : compte tenu de leur grande taille, les cocons de processionnaire peuvent accueillir de nombreuses chenilles qui, agrégées en un groupe compact, peuvent retenir la chaleur d’une manière particulièrement efficace. Les nids sont également exposés de manière à profiter au mieux des rayons du soleil et leurs parois sont si épaisses qu’elles empêchent toute perte excessive de chaleur par convection.
On croit communément que les animaux hétérothermes, ou “à sang froid”, ne sont pas capables de produire de la chaleur pour maintenir leur température corporelle au-dessus de la température ambiante. En réalité, cette opinion est erronée car tout organisme vivant produit beaucoup de chaleur par son métabolisme ; ceci est vrai aussi pour les processionnaires qui, même en l’absence de radiation solaire, parviennent à maintenir leur température corporelle à des valeurs supérieures à celle de l’environnement. En mesurant la température à l’intérieur des nids, on a constaté que, lorsqu’ils sont occupés par des chenilles, ils plus chauds de quelques degrés que lorsque les chenilles sont absentes.
Cette capacité à maintenir une température corporelle relativement élevée est particulièrement importante pour un animal comme la processionnaire, dont les larves sont actives en hiver et nymphosent seulement au printemps.
Dommages causés à la végétation par les processionnaires
Les jeunes arbres peuvent être complètement défoliés. La défoliation affaiblit la plante, l’exposant à l’attaque d’autres parasites animaux ou fongiques, ce qui peut entraîner sa mort. En outre, dans les zones infestées, les arbres montrent une diminution de 20% de la croissance annuelle en diamètre du tronc. Outre les dommages causés à la sylviculture, l’infestation par les processionnaires peut être économiquement significative dans les zones touristiques et résidentielles, qui deviennent moins attractives pour le public.
L’effet urticant
Thaumetopoea pityocampa constitue également un sujet de santé publique : le pouvoir urticant des chenilles peut entraîner de fortes réactions allergiques cutanées, des conjonctivites et de l’asthme. Outre les humains, les animaux de compagnie et le bétail peuvent aussi être victimes du contact avec les poils.
Les propriétés urticantes des processionnaires ont été bien décrites dès l’antiquité : vers 300 av. J.-C. déjà, l’un des premiers botanistes, le grec Théophraste d’Eresos, conseillait d’utiliser une plante, la Grande Aunée (Inula helenium), pilonnée avec de l’huile et du vin, “contre les vipères, tarentules et chenilles du pin” (cette plante est utilisée encore aujourd’hui pour le traitement de l’eczéma et des prurits).
Des siècles plus tard, l’action urticante est décrite par Dioscoride, médecin grec vivant à Rome à l’époque de l’empereur Néron au premier siècle de l’ère présente, et qui l’appelle “chenille des pins”. A la même époque, Pline l’Ancien décrit aussi la chenille des pins dans son “Naturalis Historia” ; il recommande l’application d’un onguent sur la peau irritée. Les chenilles des pins étaient considérées comme un puissant poison et les lois des Romains condamnaient à mort les empoisonneurs qui propageaient les “pityocampae” (chenilles du pin).
L’extension récente de l’aire de la Processionnaire a entraîné une augmentation significative des dermatites, tant chez les personnes exposées professionnellement que chez celles qui pratiquent des sports de plein air.
Les chenilles sont dotées de poils en forme de harpon d’environ 0,2 mm de long qui pénètrent facilement à travers la peau humaine et les muqueuses. Ces poils, ou soies, se détachent facilement du corps de l’animal, peuvent être transportés par le vent sur de grandes distances, et conservent leur pouvoir urticant pendant de nombreuses années.
Les stades larvaires les plus développés sont particulièrement dangereux car chaque spécimen peut avoir jusqu’à un million de soies. Au centre des urites (segments de la chenille) se trouvent des fossettes, appelées “miroirs”, contenant jusqu’à 100 000 poils urticants en harpon. La partie la plus mince est la partie proximale, insérée dans le miroir.
Normalement, les miroirs sont repliés, rétrofléchis vers l’intérieur du corps, et les soies à peine apparentes ne dépassent à l’extérieur que par leur extrémité. Lorsque la larve est dérangée, elle déplie les miroirs et libère les soies urticantes. Comme elles n’ont pas d’ouverture, leur contenu n’est libéré que lorsqu’elles se brisent en pénétrant dans la peau. Les effets urticants sont dus à la combinaison de l’effet mécanique de la piqûre et de la présence de substances allergènes.
Le contact avec les soies provoque une sensibilisation de type allergique avec libération d’histamine et d’autres agents qui conduit à une dermatite toxique-irritante, initiée par les substances contenues dans les poils. Parmi celles-ci ont été mises en évidence des protéines comme les thaumétopoéines (Tha p 1 et Tha p 2), et certaines enzymes (protéases à sérine), similaires à celles qu’on trouve également chez d’autres lépidoptères urticants, et impliquées dans des phénomènes inflammatoires.
Les symptômes consistent essentiellement en de fortes démangeaisons et une rougeur, laquelle apparaît habituellement en moins d’une heure et persiste pendant plus de 24 heures. Dans certains cas apparaissent des papules semblables à celles causées par les piqûres d’insectes. L’éruption cutanée est souvent recouverte d’une croûte hémorragique due aux lésions par grattage compulsif, consécutif aux intenses démangeaisons. Les symptômes peuvent être particulièrement graves chez certains patients allergiques aux toxines.
L’inhalation des soies produit une forte irritation des voies respiratoires, avec toux et dyspnée. Lorsque les yeux sont affectés, une conjonctivite et un gonflement des paupières apparaissent. Les symptômes systémiques peuvent comporter de la fièvre, des nausées et un malaise général, qui peuvent persister durant des semaines. Une réaction anaphylactique grave peut même se produire dans certains cas heureusement assez rares.
La contamination peut se produire par contact direct avec des chenilles ou des nids, qui sont infestés de poils urticants : ces derniers sont en effet perdus à chaque mue, puis reformés. Les soies dispersées alentour et transportées par les vents entraînent elles aussi des problèmes de santé humaine et animale. Le terme de “lépidoptérisme” est employé pour désigner les effets systémiques de l’exposition aux chenilles de processionnaires ou autres lépidoptères ; celui d’“érucisme”, ou dermatite des chenille, est destiné plus spécifiquement à décrire les effets dermatologiques.
Prédateurs des processionnaires
Les chenilles de Thaumetopoea sont prédatées par certaines espèces d’oiseaux insectivores : ce contrôle biologique est important et contribue à limiter la propagation de l’espèce. En effet, si les poils urticants et une coloration aposématique découragent de nombreux oiseaux de se nourrir des processionnaires, certains prédateurs ont cependant développé des stratégies qui leur permettent de surmonter les obstacles.
Parmi ces oiseaux, évoquons les coucous, dont les parois du gésier sont recouvertes d’un épithélium résistant aux effets urticants, et les engoulevents, friands des adultes qui ne sont pas urticants ; les huppes fouillent le sol avec leur long bec à la recherche des nymphes ; certaines mésanges préfèrent les œufs ou les chenilles des premiers stades non urticants, ou ont développé des techniques leur permettant de ne consommer que la partie interne de la chenille sans s’exposer aux soies.
Parmi les insectes prédateurs de la Processionnaire, le carabidé Calosoma sycophanta, en raison de sa voracité, est considéré comme un important agent de contrôle des pullulations et a été utilisé dans la lutte biologique.
Lutte contre la processionnaire
Dans de nombreux pays, la gravité des dommages provoqués sur la végétation et les risques pour l’homme et les animaux ont entraîné l’obligation, pour les propriétaires forestiers, de déclarer la présence de l’espèce et de lutter contre l’infestation. La lutte contre la processionnaire peut s’appuyer sur des moyens mécaniques, chimiques, biologiques et biotechnologiques.
Parmi les moyens mécaniques, la destruction des nids n’est applicable que sur de petites surfaces ; elle est aussi problématique en raison de la situation des nids dans les parties les plus élevées des arbres, des dommages qui peuvent en découler pour les plantes, et parce qu’elle expose les opérateurs à des brûlures de peau et des muqueuses dues aux soies libérées dans l’air. La suppression des nids pose également la question de leur élimination, rendue difficile par les précautions à prendre pour limiter la propagation des soies. Un système traditionnel consiste à détruire les nids à coups de fusil : les projectiles transperçant les parois des nids, la mort des chenilles serait provoquée par l’exposition au froid hivernal ; mais, en revanche, une partie des poils urticants est dispersée dans l’environnement.
Une autre intervention mécanique, à effectuer avant que les processionnaires ne quittent les nids au printemps, consiste à appliquer autour de la tige des colliers pour empêcher les larves d’atteindre le sol et de s’y nymphoser avant l’envol estival. S’ils sont bien appliqués et maintenus propres, les colliers peuvent donner des résultats appréciables. La lutte chimique ou biotechnologique est basée sur l’utilisation de préparations chimiques larvicides, de régulateurs de développement inhibiteurs de la chitine, ou de Bacillus thuringiensis. Cette dernière méthode est la plus utilisée aujourd’hui et la préparation peut également être diffusée par voie aérienne.
Une méthode de lutte en devenir est celle de l’endothérapie, qui consiste à injecter les produits phytopharmaceutiques directement dans le système vasculaire des plantes, afin qu’elles puissent atteindre les feuilles et exercer leur action toxique sur les larves qui s’en nourrissent. Cette stratégie, qui permet d’éviter la dissémination aveugle de pesticides dans l’environnement, a déjà été appliquée avec succès dans la lutte contre le charançon rouge du palmier (Rhynchophorus ferrugineus) et s’avère également utile contre les processionnaires. Dans la lutte biotechnologique, on recourt également à la capture et à l’élimination des mâles adultes à l’aide de pièges à appâts à base de phéromones : de cette manière, les femelles pondront des œufs non fécondés. La lutte biologique est basée sur l’utilisation d’insectes entomophages tels que des diptères Tachinidae et Syrphidae, des hyménoptères Ichneumonidae ou des fourmis prédatrices.
Synonymes
Bombyx pityocampa Denis & Schiffermüller, 1774 ; Traumatocampa pityocampa Denis & Schiffermüller, 1775 ; Cnethocampa pityocampa Denis & Schiffermüller, 1928.