Famille : Bovidae
Texte © Dr. Lucrezia Callocchia
Traduction en français par Catherine Collin
Le Chamois, Rupicapra rupicapra (Linnaeus, 1758), est un mammifère appartenant à l’ordre Artiodactyla (du grec = artios pairs et dactylos = doigts), à la famille Bovidae et à la sous-famille Caprinae, soit des ongulés de taille moyenne, habiles grimpeurs bien adaptés aux milieux de montagne.
Le mot “chamois” vient du bas latin camox -ōcis et fait référence aux capacités mimétiques de cet animal et à son aptitude à se “dissimuler” dans son environnement; d’autre part, le nom scientifique “rupicapra” vient du latin classique “rupes” = roche, et “capra” = chèvre, et rappelle le puissant lien du chamois avec les milieux rupestres.
Le genre Rupicapra est représenté, en plus de l’espèce alpine, par l’Isard (chamois des Pyrénées), Rupicapra pyrenaica, de taille légèrement inférieure, qui comprend la sous-espèce Rupicapra pyrenaica ornata, endémique de l’Apennin central.
Zoogéographie
Différentes sous-espèces ont été attribuées à l’espèce Rupicapra rupicapra dont la détermination est basée sur de petites différences morphologiques et sur l’aire de répartition; pourtant, la validité taxonomique de ces divisions est incertaine et toujours l’objet de discussions entre les spécialistes.
Les sous-espèces aujourd’hui reconnues sont les suivantes :
Rupicapra rupicapra rupicapra, répandue sur l’arc alpin.
Rupicapra rupicapra asiatica, est répandue en Asie mineure, dans les montagnes au Nord-Est de la mer Noire, dans les régions de l’est de la Turquie et dans les régions du sud-ouest de la Géorgie; elle est plus petite et son manteau estival est plus clair.
Rupicapra rupicapra balcanica, répandue dans les zones montagneuses de la péninsule balkanique, un peu plus grande que le chamois alpin, avec des cornes plus longues et un manteau plus brunâtre en été, puis sombre avec des nuances jaunâtres en hiver.
Rupicapra rupicapra carpatica, répandue dans les Carpates, semble être de taille supérieure, montre des cornes plus longues et un manteau plus foncé été comme hiver.
Rupicapra rupicapra cartusiana, dont l’aire de répartition est très limitée, uniquement le massif de la Chartreuse en France; elle présente une taille plus grande que la moyenne et un poil d’hiver tirant vers le noir.
Rupicapra rupicapra tatrica, présente dans les monts Tatras, à la frontière entre la Pologne et la Slovaquie, marque la limite de répartition la plus septentrionale de l’espèce. Les traces fossiles placent l’origine zoogéographique de ce genre au sud-ouest de l’Asie, au Miocène, et suggèrent une expansion vers l’occident au Pléistocène moyen-inférieur.
À l’heure actuelle, le Chamois est répandu, selon des densités différentes, dans les principaux systèmes montagneux d’Europe centro-méridionale et d’Asie mineure.
On l’observe principalement dans les Alpes françaises, italiennes, suisses, autrichiennes et bavaroises, au Liechtenstein, dans le Jura, en Slovénie et dans les Balkans. Au début du XXème siècle, il fut introduit en Nouvelle-Zélande pour la chasse. Il s’y est naturalisé, atteignant 100.000 individus.
En Italie, il est répandu, plus ou moins uniformément tout le long de l’arc alpin. Les concentrations les plus importantes se situent dans les provinces de Trente, Bolzano et Vérone (Préalpes véronaises) et dans le Piémont, région dans laquelle on estime que vivent 62% des chamois italiens. Au Sud, la limite de son aire se trouve en Ligurie, jusqu’à la province d’Imperia, avec quelques observations dans la province de Savone.
La population est actuellement considérée comme stable par l’UICN. Il est donc inséré dans la Liste Rouge des Espèces Menacées comme Préoccupation Mineure (LC-Least Concern).
En ce qui concerne le Chamois, la chasse est règlementée en Italie depuis 1992 et on ne peut le chasser que selon les règles de la chasse de régulation des ongulés.
Écologie-Habitat
L’habitat du chamois peut varier en fonction des saisons et de la couverture neigeuse et s’étend sur trois étagements altitudinaux: l’étage montagnard, caractérisé par des forêts mixtes de conifères et de feuillus avec un sous-bois fourni, entrecoupées de parois rocheuses, de ravins et de clairières; l’étage subalpin avec des mélèzes dispersés, des bosquets de pins mugo et des fourrés; l’étage alpin marqué par la prairie, les arbustes nains et les zones rocheuses, jusqu’à l’horizon nival (2600-3000 m), à la limite supérieure de la végétation pérenne.
Pendant les mois les plus chauds, en l’absence de couverture neigeuse, le Chamois fréquente surtout les prairies de haute altitude et les pentes en herbe, aires caractérisées par la disponibilité d’une riche variété d’espèces végétales à divers degrés de maturation et trouve refuge dans des zones boisées si les températures )(sont trop élevées.
Lors de la dernière partie de la gestation, soit aux alentours du mois de mai, les femelles gravides s’éloignent du reste de la harde pour rejoindre des pentes rocheuses ou des parois en surplomb, de façon à se préparer à mettre bas dans des endroits peu accessibles aux éventuels prédateurs.
Pendant les mois d’hiver, avec l’arrivée des premières chutes de neige, le Chamois descend de ces hauteurs. À ce moment, il a tendance à préférer les versants et les parois accidentées où la neige ne s’accumule pas trop et ne recouvre pas totalement la végétation disponible.
Dans cette dynamique, le puissant lien du Chamois avec l’élément rocheux, pour des motifs liés à l’alimentation et aux possibilités de fuite, devient déterminant dans le choix de l’aire.
Morpho-physiologie
Le Chamois est un bovidé de taille moyenne. Sa longueur varie de 110 à 140 cm pour une hauteur moyenne de 80 cm au garrot, c’est-à-dire la zone correspondant aux premières vertèbres dorsales.
Le dimorphisme sexuel repose surtout sur la plus grande taille des mâles et la morphologie plus longiligne des femelles.
Le poids de cet animal varie de 25 kg minimum pour les femelles à 40-45 kg maximum pour les mâles. Ce poids est très variable au cours de l’année et atteint son maximum en octobre-novembre par l’accumulation de graisse destinée à garantir une réserve énergétique durant la saison hivernale, alors que le poids minimum, chez les mâles, est atteint à la fin de la période de reproduction de par l’importante dépense d’énergie engendrée par les combats pour la conquête des femelles.
Le manteau lui aussi est sujet à d’importantes variations saisonnières; il est l’objet de deux mues, une en automne et une au printemps.
Lors des mois d’hiver, le poil est plus sombre, tirant vers le noir, de façon à absorber au maximum le rayonnement solaire et plus épais pour permettre une isolation thermique efficace. Durant cette période, le masque facial foncé qui caractérise le museau et qui s’étend de la base des cornes jusqu’au nez est beaucoup plus marqué allant jusqu’à couvrir les yeux. Le reste de la tête, le ventre et le disque caudal sont les seules zones restant plus claires.
Vers le mois de mars, le manteau hivernal est progressivement remplacé par le manteau estival, caractérisé par un poil plus court et plus hérissé et des tons brun rougeâtre. Les pattes restent plus foncées ainsi qu’une bande médiane sur le dos, au niveau de la colonne vertébrale.
Le caractère le plus distinctif de cette espèce est sans aucun doute les cornes, différentes de celles des autres bovidés. Elles sont noires et se dressent verticalement en formant à l’extrémité un crochet retourné vers l’arrière. Leur longueur moyenne est de 20 à 25 cm et elles sont présentes chez les deux sexes mais avec de légères différences comme, chez le mâle, un diamètre à la base légèrement supérieur et un angle d’inclination du crochet moindre.
Celles-ci commencent à pousser dès la naissance et plus rapidement au cours des trois premières années de vie. La corne est formée par un étui corné composé de kératine qui recouvre une cheville osseuse. La croissance a lieu au printemps-été tandis qu’en hiver elle marque un arrêt hivernal et l’alternance de ces deux phases détermine la formation d’anneaux de croissance à partir desquels il est possible d’estimer l’âge de l’animal.
À l’arrière des cornes on trouve les glandes rétrocornales destinées à marquer le territoire, et chez les mâles, elles sécrètent une substance, dont l’odeur est beaucoup plus forte au moment du rut, dans le but d’attirer les femelles et de les inciter à l’accouplement; pour cela, elles sont appelées “glandes du rut”.
Le lien indissociable de cet animal avec le milieu montagnard est favorisé par des adaptations physiologiques et morphologiques particulières comme par exemple la structure du sabot, dont les bords sont effilés, qui permet l’adhérence même sur les plus petites saillies et sur la glace à laquelle s’ajoute une membrane interdigitale qui permet une démarche agile même sur la neige fraîche.
En raison de la plus faible quantité d’oxygène en altitude, des poumons plus efficaces, un cœur plus gros et un nombre de globules rouges plus élevés assurent au Chamois une bonne oxygénation du sang.
Le Chamois appartient au sous-ordre des ruminants, animaux dont l’estomac est divisé en quatre cavités et qui pratiquent la “rumination”: ils ingèrent de grandes quantités de nourriture pour ensuite, tranquillement, les ramener vers la bouche, les mastiquer à nouveau afin de définitivement les digérer.
Ce comportement est propre à de nombreuses espèces herbivores. Il est considéré comme une adaptation évolutive visant à minimiser le temps d’exposition à d’éventuelles attaques de prédateurs tout en garantissant l’ingestion d’une quantité de nourriture suffisante qui sera ensuite digérée en toute tranquillité.
La distribution de cette espèce est étroitement liée à ses besoins alimentaires; il est considéré comme un brouteur intermédiaire qui sélectionne, en fonction des disponibilités saisonnières, à la fois l’espèce et la partie de la plante à consommer. Au printemps, son régime alimentaire se compose principalement de bourgeons et d’inflorescences de graminées et, avec l’arrivée de l’été, période de plus grande luxuriance végétale, il tend à intégrer à son régime alimentaire diverses espèces herbacées comme le trèfle alpin; pendant cette période, on assiste également à une augmentation de la quantité de nourriture ingérée dans le but d’accumuler des réserves énergétiques en vue de la saison froide.
En hiver, le Chamois doit se contenter de lichens, de mousses, d’herbes sèches et de quelques pousses de conifères qu’il trouve en creusant dans la neige.
Enfin, l’eau est fournie par la rosée ou en profitant de quelques sources.
Éthologie-Biologie Reproductive
Les chamois sont des animaux grégaires, surtout les femelles.
Elles vivent en hardes de 15 à 30 individus, composées également des cabris et de quelques jeunes de 2 ou 3 ans, menées par les femelles les plus âgées et les plus expérimentées. Nous sommes donc là en présence d’une société de type matriarcal.
Les avantages de cette vie en collectivité résident sûrement dans la protection qu’offre le groupe à chaque individu si un potentiel danger de la part d’un prédateur se présente.
Ainsi chaque membre veille sur la harde et, s’il perçoit une menace, il émet un sifflement aigu et prolongé qui met tout le monde en alerte.
Si le danger s’avère important, s’ensuit la fuite : un guide prend la tête de la harde, les petits se placent derrière leur mère et les jeunes en rang comme arrière-garde.
Les mâles adultes vivent généralement en solitaires la majeure partie de l’année et se joignent à la harde durant la période de reproduction, entre novembre et décembre.
Au cours de cette période, les mâles les plus âgés tendent à éloigner les jeunes et à adopter une attitude territoriale: ils cherchent à maintenir les femelles dans une zone définie, marquée en frottant leurs cornes sur des arbustes et des rochers; ce comportement est presque toujours suffisant pour tenir les autres mâles à distance, mais, dans le cas contraire, surtout s’il y a un chevauchement territorial entre deux mâles adultes du même âge et donc d’un niveau hiérarchique similaire, on peut arriver à la confrontation physique.
Si l’accouplement est fructueux, s’ensuit une gestation qui dure de 160 à 170 jours. Entre fin mai et début juin, les chèvres donnent en général naissance à un unique chevreau. On assiste parfois à la naissance de jumeaux.
À la naissance, le poids du cabri est d’environ 2 kilogrammes et il est entièrement développé et ses yeux sont ouverts. Les mises bas sont en général synchronisées et quelques jours après les naissances, les femelles se réunissent et forment des groupes constitués de mères et de nouveau-nés.
Dans les alpages elles trouvent les ressources nécessaires pour garantir au cabri un lait riche et nourrissant qu’il boira pendant les six premiers mois de sa vie.
Dès la naissance, un lien particulier s’instaure entre la mère et son petit, qui, quelques heures après sa naissance, est en mesure de la suivre; ce lien durera environ un an, jusqu’au prochain accouplement lorsqu’elle l’éloignera. Si, pour diverses raisons, la mère meurt, les autres femelles du groupe s’occupent du petit de moins d’un an.
Parmi les prédateurs naturels les plus communs du Chamois, on trouve le renard, le loup et des rapaces tels l’Aigle royal (Aquila chrysaetos) et le Gypaète barbu ou Vautour des agneaux (Gypaetus barbatus). Ceux-ci, profitant du manque d’expérience des chevreaux les attaquent lorsqu’ils franchissent les parois abruptes, cherchant à les faire tomber dans le vide. L’aigle mangera la chair et le gypaète les os.
Synonymes
Rupicapra tragus Gray, 1843; Capra rupicapra Linnaeus, 1758; Antilope rupicapra (Linnaeus, 1758).