Famille : Lacertidae
Texte © Dr. Luca Tringali
Traduction en français par Jean-Marc Linder
Podarcis muralis (Laurenti, 1768), le Lézard des murailles, est un saurien de la famille des Lacertidae qui compte 377 espèces réparties en 45 genres, largement présents en Afrique et en Eurasie. En conséquence des travaux biomoléculaires les plus récents, de nombreux auteurs divisent la famille en deux sous-familles : Gallotiinae, avec seulement deux genres, et Lacertinae, qui regroupe tous les autres genres. Ces mêmes travaux ont aussi conduit à élever au rang spécifique des taxons précédemment considérés comme des sous-espèces.
Les Lacertidés sont très probablement originaires d’Europe, d’où ils ont gagné l’Afrique pendant le Miocène moyen, il y a 16 à 14 millions d’années (Ma), avant d’atteindre les îles Canaries. La dispersion, dans la majeure partie de l’aire de distribution européenne, de l’ancêtre des genres actuels de petite et moyenne taille, remonte à 16 à 12 Ma.
La progression ultérieure vers l’Asie a eu lieu plus récemment, vers 10 Ma.
Podarcis muralis tire son nom générique du grec “ποδαρκής” (podarkís), pied rapide, qui évoque l’extrême agilité de ces lézards. L’épithète spécifique muralis (du latin) se retrouve dans le nom commun du lézard des murailles et fait référence à l’un des habitats préférés du reptile, comme l’indique la description originale du naturaliste autrichien Josephus Nicolaus Laurenti en 1768 : “habitat in maenibus, ruderibus, aggeribus, lapidosis passim ubique” (il vit partout dans les murs, les ruines, les talus et les endroits pierreux).
Zoogéographie
On suppose que l’origine du genre Podarcis remonte à l’Oligocène, 33,9 Ma, la diversification des espèces actuelles ayant commencé plus tard, au Miocène.
Actuellement, ce genre compte 27 espèces, dont Podarcis muralis qui a la plus large distribution géographique.
Le Lézard des murailles présente une zoogéographie complexe. Son origine se situe dans la partie centrale et méridionale de l’aire actuelle de répartition, aujourd’hui occupée par la péninsule italienne et plus précisément par la Calabre.
Sa première expansion a eu lieu vers la Péninsule Ibérique à l’ouest et les Balkans à l’est. Il a ensuite poursuivi sa progression vers le centre de l’Europe.
Après avoir été isolé il y a 480 000 ans dans quelques refuges, dont plusieurs en Italie et un dans les Pyrénées, pendant la glaciation la plus importante du Pléistocène, la glaciation d’Elster, Podarcis muralis a recolonisé l’Europe le long de la côte atlantique et des systèmes fluviaux du Rhône, du Rhin et de la Moselle, assumant ainsi sa répartition géographique actuelle.
Cette espèce est aujourd’hui présente en Europe continentale depuis l’Italie, l’Espagne, le sud des Balkans et l’Asie mineure, jusqu’aux Pays-Bas et au centre-sud-ouest de l’Allemagne.
Sa présence dans les régions les plus septentrionales de l’Europe se limite à des populations isolées, souvent introduites.
Des introductions récentes d’origine anthropique ont considérablement agrandi l’aire de répartition de cette espèce, désormais établie au Canada, aux États-Unis et en Grande-Bretagne, où résident aujourd’hui au moins 150 populations allochtones.
La variabilité considérable de la morphométrie, du nombre d’écailles et de la couleur du corps de Podarcis muralis a conduit, par le passé, à multiplier le nombre de sous-espèces, décrites à partir de critères morphologiques, et dont la validité a régulièrement été contestée.
Malgré les progrès et les résultats des travaux phylogéographiques et phylogénétiques les plus récents, la situation subspécifique du lézard des murailles reste à clarifier, notamment pour ce qui est des populations qui ont colonisé l’archipel toscan.
Dans l’état actuel des connaissances, au moins cinq sous-espèces seraient validées :
– la sous-espèce nominale Podarcis muralis muralis (Laurenti, 1768), d’Europe centrale et orientale, des Balkans et de Turquie.
– Podarcis muralis brongniardii (Daudin, 1802), distribué dans le nord-ouest de l’Espagne, en France, aux Pays-Bas.
– Podarcis muralis breviceps (Boulenger, 1905), en Calabre et dans les Pouilles, sur l’éperon du Gargano.
– Podarcis muralis maculiventris (Werner, 1891), dans le nord de l’Italie, l’ouest de l’Autriche, le sud de l’Allemagne, le sud de la Suisse, l’ouest de la Slovénie, le nord de la Croatie, la Roumanie, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, le Canada.
– Podarcis muralis nigriventris Bonaparte, 1838, trouvé dans le centre et le nord de l’Italie.
On pourrait y ajouter trois sous-espèces de l’archipel toscan, une de l’île de Tinetto (Liguria) et une de Santo Stefano (Lazio), dont la validité demeure incertaine. La validité de la sous-espèce Podarcis muralis albanica (Bolkay, 1919) reste également à confirmer.
Écologie-habitat
Podarcis muralis se trouve dans une grande variété de milieux, naturels comme artificiels : parmi les lézards européens, c’est celui qui fréquente le plus les zones urbaines.
Dans les régions septentrionales, l’espèce est largement répandue entre le niveau de la mer et plus de 2000 m. Elle est pratiquement omniprésente, fréquentant indifféremment des environnements ouverts ou recouverts de végétation, de préférence dans des endroits plus secs quand l’altitude s’élève.
En revanche, au midi de son aire de répartition, elle fréquente plutôt les collines et les montagnes, en particulier les zones plus humides et abritées du soleil.
Elle affectionne les habitats caractérisés par la présence de surfaces verticales comme les parois rocheuses, les murs, les arbres, qu’elle utilise pour la thermorégulation, c’est-à-dire la régulation de la température corporelle, en jouant sur la coexistence de zones ensoleillées et de zones ombragées.
En outre, ces environnements surélevés sont idéaux pour l’observation ou “scan behaviour” et pour la prédation ; en complément, les fissures et les cavités sont autant de refuges potentiels.
Podarcis muralis est une espèce plutôt thermophile, à la température corporelle de 32-36 °C, et dont la période d’activité, fortement influencée par les conditions climatiques, s’étale de février-mars à octobre-novembre, souvent plus chez les mâles.
Par temps favorable, on peut observer, même en hiver, de jeunes individus et des mâles adultes en activité extérieure.
L’activité diurne au printemps et en automne est presque permanente. En été, elle se manifeste de manière bimodale et est pratiquement suspendue pendant les heures les plus chaudes ; l’exposition au soleil pour la thermorégulation et l’activité de prédation qui s’ensuit ont lieu pendant les premières heures de la matinée.
Podarcis muralis est un reptile généraliste et opportuniste dans la mesure où son spectre alimentaire est principalement déterminé par les ressources disponibles là où il se trouve.
Espèce principalement insectivore, ce lézard se nourrit d’une grande variété d’invertébrés terrestres sans montrer de préférences claires pour des groupes systématiques spécifiques, bien que le cœur de son régime alimentaire soit plutôt constitué de Araneae, Coleoptera, Hemiptera, Heteroptera et Hymenoptera.
Podarcis muralis pratique une prédation active, mais peut occasionnellement chasser en embuscade.
Comme chez d’autres espèces du genre Podarcis, on a pu observer chez lui des cas de saurophagie et de cannibalisme.
De rares cas d’ingestion de sa propre queue et de sa propre peau pendant la mue ont également été décrits.
Devant réguler sa température corporelle par l’exposition au soleil, Podarcis muralis est particulièrement sujet aux attaques lors de ces pauses prolongées.
Ses prédateurs sont des reptiles, des oiseaux et des mammifères.
Ses comportements anti-prédation sont essentiellement au nombre de deux, souvent combinés : la fuite, car c’est un animal particulièrement rapide, et l’autotomie de la queue, du grec αυτός (autós = soi-même) et τέμνω (témno = couper).
La capacité de perdre la queue et de la régénérer est une stratégie de défense qui a atteint un niveau évolutif élevé chez les Lacertidés.
Il existe, au niveau des vertèbres caudales, des points de rupture prédéterminés qui donnent à ces reptiles la capacité de provoquer volontairement la rupture de la queue, ou d’une partie de celle-ci, en présence de prédateurs et en cas de danger de mort, en abandonnant une partie non vitale pour distraire le prédateur et permettre au lézard de s’enfuir.
Le processus de régénération aboutira alors à la formation d’un nouvel appendice, extérieurement peu différent de l’original, mais quelque peu modifié sur les plans musculaire, nerveux et squelettique. Surtout, les vertèbres d’origine sont remplacées par une structure cartilagineuse vide, et les ganglions rachidiens, qui contiennent des cellules nerveuses sensorielles, ne sont pas non plus régénérés.
Il faut souligner que l’autotomie de la queue ne se produit que dans des situations particulières de danger grave, car sa perte réduit la mobilité, la capacité de reproduction et le statut social de l’animal.
Les stratégies anti-prédatrices comprennent également la capacité du Lézard des murailles à distinguer l’odeur d’un serpent saurophage de celle d’un reptile inoffensif, et donc d’éviter de partager la galerie d’un individu dangereux.
Morphophysiologie
Podarcis muralis est un lézard de taille petite à moyenne, élancé et aplati ; la longueur moyenne des mâles adultes, habituellement plus grands que les femelles, est de 160 à 230 mm. Comme le corps, les pattes sont longues et la tête est large. Les deux sexes présentent en outre un collier assez visible, composé de 7 à 17 écailles.
La coloration du corps est éminemment variable, tant entre les différentes populations qu’au sein d’une même population : ce polymorphisme chromatique se traduit par les couleurs du dos qui peuvent être brunâtres, grisâtres ou verdâtres.
Chez les individus à coloration dorsale brune, les flancs sont parcourus par deux rayures claires entourant une bande longitudinale plus sombre, souvent réticulée chez les mâles et plus homogène chez les femelles. Chez les individus verdâtres, les bandes sont souvent absentes et remplacées par des points jaune-vert brillants et une réticulation noire plus ou moins dense.
Par ailleurs, le Lézard des murailles présente trois types principaux de motifs dorsaux : un type linéaire avec une raie vertébrale sombre plus ou moins continue, un type réticulé dans lequel la raie vertébrale est remplacée par un motif réticulé, et un type intermédiaire dans lequel le motif réticulé forme une raie vertébrale plus ou moins continue.
Il existe une forte corrélation dans la distribution géographique des motifs dorsaux, qui confirme l’origine italienne de Podarcis muralis. Le centre de la Péninsule est en effet la seule région où les trois morphes sont uniformément répartis, alors que la forme linéaire tend à prévaloir ailleurs en Europe.
La question de savoir si le polymorphisme dorsal de cette espèce est lié à des bénéfices en termes de thermorégulation sous différentes conditions climatiques, à un certain degré de protection contre les rayons ultraviolets, à la sélection sexuelle, à un cryptisme lié à des environnements différents, à l’histoire évolutive de l’espèce en tant que telle, ou à une combinaison de ces hypothèses, reste à éclaircir.
Au niveau du polymorphisme ventral, Podarcis muralis présente également six morphes principaux de couleur : trois purs (blanc, jaune et rouge), et trois intermédiaires (blanc-jaune, blanc-rouge, jaune-rouge). Les femelles se distinguent des mâles par des flancs plus sombres, des bandes dorsolatérales pâles, une strie vertébrale absente ou tachetée de sombre, des pattes postérieures plus courtes et une tête plus petite ; les mâles présentent un motif réticulé, des flancs souvent légèrement tachetés et une plus grande taille.
En général, les individus des populations sous climats plus frais et aux hautes latitudes croissent plus lentement que ceux des régions plus chaudes, ce qui leur permet de vivre plus longtemps : des recherches sur les populations de Turquie ont montré une plus grande longévité, jusqu’à 16 ans, chez les individus d’altitude élevée, par rapport aux populations de basse altitude qui atteignent 14 ans au mieux.
Ethologie – Biologie reproductive
Espèce ovipare qui se reproduit plusieurs fois par an, Podarcis muralis atteint sa maturité sexuelle à l’âge de deux ou trois ans ; sa période de reproduction couvre les mois de mars à juin, en fonction de la latitude, de l’altitude et des conditions climatiques locales.
Jusqu’à trois épisodes reproductifs peuvent se produire par an, à un rythme mensuel, mais le nombre de pontes semble surtout corrélé à l’âge de la femelle : plus la femelle est âgée, plus le nombre de pontes est élevé au cours d’une même année.
Chaque ponte regroupe 2 à 10 œufs déposés le plus souvent dans de petits terriers creusés dans un sol meuble.
L’éclosion survient après 9 à 11 semaines ; les jeunes individus issus d’œufs incubés à des températures relativement basses, autour de 28 °C, sont en moyenne plus grands et plus rapides. Des cas de couvées communes à plusieurs femelles ont également été observés, en cas de pénurie de nids présentant les conditions optimales pour la ponte.
Podarcis muralis est une espèce très territoriale : les adultes des deux sexes occupent leur territoire et le défendent, en particulier pendant la saison de reproduction.
Les jeunes et les adultes sans territoire propre vivent dans un état de mobilité permanente, dans des environnements sous-optimaux et en marge des populations résidentes.
La taille du territoire varie entre 6 et 50 m² ; elle est plus grande pour les mâles et est corrélée à leur taille corporelle : plus le mâle est grand, plus le territoire qu’il contrôle est grand et plus le nombre de femelles qui l’habitent est important.
Podarcis muralis présente un système de reproduction polygynandrique (du grec πολύς, polús = beaucoup ; γυνή, giné = femme ; ἀνήρ, anér = homme) dans lequel mâles et femelles s’accouplent avec plusieurs membres du sexe opposé.
Les mâles contrôlent une zone qui, typiquement, chevauche le territoire d’une ou plusieurs femelles, et la défendent agressivement contre l’intrusion d’autres mâles. Ils sont capables de percevoir, de décoder et d’utiliser les informations fournies par les sécrétions fémorales relatives à la taille et au statut social de leurs adversaires, et de moduler en conséquence l’intensité de leur veille et de leur agressivité.
Ils montrent la même agressivité pendant la parade nuptiale, lorsqu’ils tentent de bloquer la femelle en la mordant sur le côté tout en introduisant l’un des deux hémipénis.
Sont toujours discutées les hypothèses d’une sélection sexuelle par les femelles sur la base de stimuli olfactifs produits par les glandes fémorales des mâles, de stimuli visuels en relation avec les différents morphes ventraux qui prévaudraient, ou encore de formes d’interaction entre ces deux stimuli.
Une autre hypothèse porterait sur le non-choix par les femelles, qui ne joueraient pas de rôle actif dans la recherche du mâle et seraient plutôt des “partenaires passives”.
Les observations de terrain suggèrent plutôt que le polymorphisme ventral des femelles est lié aux stratégies de reproduction : les femelles à ventre jaune pondraient beaucoup de petits œufs, et celles à ventre blanc opteraient pour des pontes plus petites aux œufs plus gros, toutes deux indépendamment de l’âge ; enfin, les femelles à ventre rouge adopteraient une stratégie de reproduction mixte en fonction de l’âge : œufs peu nombreux mais gros lorsqu’elles sont plus jeunes, puis œufs plus petits mais en plus grand nombre.
Podarcis muralis est évalué “LC, Least Concern” sur la liste rouge des espèces menacées de l’UICN. En effet, il n’est pas clairement menacé grâce à sa capacité à s’adapter à différents environnements, même dans des zones géographiques très éloignées de son aire de répartition naturelle, où il parvient à établir des populations stables.
Le fait que Podarcis muralis soit une espèce très envahissante est démontré par la propagation de cette espèce aux États-Unis d’Amérique : introduite volontairement dans l’Ohio, elle compte actuellement des populations bien établies en Californie, au Kansas, dans le New Jersey, dans l’État de New York et, peut-être, dans l’État du Missouri. Néanmoins, les altérations environnementales des habitats et l’augmentation des activités agricoles peuvent être des facteurs limitant la présence du Lézard des murailles dans certains endroits, en particulier dans les régions insulaires.
Synonymes
Seps muralis Laurenti, 1768 ; Lacertus terrestris Garsault, 1764 ; Lacerta maculata Daudin, 1802 ; Lacerta muralis Sonnini & Latreille, 1802 ; Lacerta fasciata Risso, 1826 ; Lacerta porphyria Dehne, 1856 ; Podarcis muralis Boulenger, 1920.
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