Famille : Syngnathidae
Texte © Giuseppe Mazza
Traduction en français par Michel Olivié
Proche parent du Dragon de mer commun Phyllopteryx taeniolatus (Lacépède, 1804) le Dragon de mer feuillu Phycodurus eques (Günther, 1865) a poussé sa ressemblance avec les algues à un point tel que personne ne le prendrait pour un poisson.
Son aspect mimétique aux excroissances ramifiées et voyantes le rend en effet identique à une touffe d’algues errantes et de cette façon il passe totalement inaperçu aux yeux des prédateurs et des proies.
Le nom du genre Phycodurus est issu, sans que ce soit dû au hasard, du grec ancien latinisé “phykon” = algue et “derma” = peau, en raison de sa peau ressemblant à une algue alors que le nom de l’espèce eques = cheval en latin fait également référence à son aspect. Un hommage donc à la mythologie grecque plus un clin d’œil à la mythologie asiatique.
Le Dragon de mer feuillu est, du reste, un très proche parent des hippocampes étant donné qu’il appartient tout comme les poissons-aiguilles à la même famille des Syngnathidae qui est incluse dans l’ordre des Syngnathiformes et la classe des Actinopterygii qui rassemble tous les poissons aux nageoires rayonnées.
Zoogéographie
Comme le Dragon de mer commun Phycodurus eques est lui aussi une espèce endémique du Sud de l’Australie dont l’aire de répartition se superpose en grande partie à celle du précédent et va de Geraldton en Australie Occidentale à Melbourne sans toutefois atteindre la côte Est ni la Tasmanie.
Écologie-Habitat
Il vit en général à une profondeur comprise entre 4 et 30 m et à des températures qui se situent entre 13,3 et 29,8°C et sont légèrement plus élevées que celles où nage d’habitude Phyllopteryx taeniolatus et qui oscillent entre 10,5 et 23,2°C.
Il se trouve souvent dans les zones sableuses à côté de récifs où il côtoie diverses espèces d’algues avec une préférence pour les touffes de Ecklonia ovalis et de Ecklonia radiata ou les superbes formations colonnaires de Macrocystis pyrifica et de Macrocystis angustifolia, des microcosmes particuliers où vivent les crustacés qui sont à la base de son régime alimentaire et qui appartiennent pour la plupart à l’ordre des Mysida.
Morphophysiologie
Le Dragon de mer feuillu atteint 35 cm de long avec un record aux alentours de 45 cm.
Un peu plus petit que Phyllopteryx taneniolatus il a un corps moins rectiligne et en zigzag qui le rend véritablement semblable à un dragon.
Comme le précédent il est dépourvu d’écailles, possède sous la peau une cuirasse faite de plaques osseuses, est protégé par de petites épines et a un long museau cylindrique résultant de la soudure des deux mâchoires comme c’est le cas pour tous les Syngnathiformes à l’exception des adultes du genre Bulbonaricus qui, tel Bulbonaricus brauni, en sont dotés seulement quand ils ont jeunes lors des premières phases de leur croissance.
Sa petite bouche édentée est protractile et crée par son déplacement le vide nécessaire qui lui permet d’aspirer d’un coup dans le tube les minuscules proies qu’il avale entières.
Les ouvertures branchiales sont circulaires et non en forme de demi-lune comme c’est généralement le cas chez les poissons. Les excroissances qui ressemblent à des feuilles et sont parfois presque transparentes ne sont pas utilisées pour la nage mais servent seulement au camouflage.
Les nageoires pelviennes et la nageoire caudale sont absentes.
Comme chez Phyllopteryx taeniolatus la queue n’est pas préhensile.
Les déplacements sont assurés par les ondulations d’une modeste nageoire dorsale qui est placée en retrait sur la queue et par les petites nageoires pectorales, à peine visibles sur le côté de la tête, qui servent à maintenir l’équilibre et à effectuer les changements de direction.
À cause de tous ses appendices les mouvements du Dragon de mer feuillu sont particulièrement maladroits. Quand il se déplace il semble davantage partir à la dérive plutôt que nager, une façon de faire qui est d’ailleurs en adéquation avec son aspect d’algue flottante.
On a observé qu’il reste souvent immobile jusqu’à deux ou trois jours ou se déplace à la vitesse de 150 m à l’heure. Quand il s’éloigne des endroits où il vit il est souvent capable de les retrouver grâce à sa grande capacité d’orientation.
Sa livrée qui comporte des barres verticales de couleur claire est souvent jaune ou verdâtre avec des taches foncées sur les membranes mimétiques mais sa couleur de fond peut changer suivant son régime alimentaire, son âge et ses émotions. En général ceux qui vivent en surface ont des teintes claires alors que ceux qui fréquentent les eaux profondes ont des teintes qui tendent vers le marron foncé ou le rouge bordeaux.
Éthologie-Biologie reproductive
Phycodurus eques vit généralement seul mais pendant la période de reproduction il nage souvent en couple et peut aussi se trouver dans de petits groupes qui comptent une dizaine d’individus au maximum.
Comme les hippocampes le Dragon de mer feuillu n’a pas non plus d’estomac et doit donc se nourrir presque sans arrêt vu que sa rapide digestion intestinale est peu performante.
Il cherche et aspire d’un coup avec son long museau des crevettes microscopiques flottantes et benthiques, des amphipodes, des larves de poissons et du plancton.
Après les rituels de séduction la femelle, au moyen d’un long ovopositeur, colle sur la queue du mâle jusqu’à 250 ovules aussitôt fécondés et recouverts d’une substance visqueuse qui stimule la formation sur la peau spongieuse de son partenaire de nombreuses petites cellules vascularisées individuelles, soit une par œuf.
Les embryons grandissent de la sorte, nourris en plus du vitellus, par le sang paternel qui assure en outre une bonne oxygénation.
Les œufs, longs de 7 mm et larges de 4 mm, sont au début de couleur rosée et tendent ensuite vers l’orange ou le violet.
Pendant l’incubation qui dure environ 9 semaines suivant la température de l’eau les mâles se déplacent souvent vers les fonds pour ne pas courir le risque de s’échouer à cause de tempêtes soudaines en même temps que leur couvée.
Quand s’approche le moment de la mise bas ils gonflent leur queue en pompant de l’eau pendant 1 ou 2 jours afin d’espacer les œufs et de signaler aux petits qu’il est temps de sortir.
Les naissances sont contrôlées par le mâle qui pour cela secoue et frotte sa queue contre des rochers et des algues et sont étalées sur 6 ou 7 jours de façon à réduire le plus possible les risques liés à leur dispersion.
À leur naissance ils sont encore reliés au sac vitellin, une réserve de nourriture pour quelques jours, pendant qu’ils remontent vers 5 à 7 m de profondeur où ils grandissent en se nourrissant au début seulement de plancton, essentiellement des copépodes et des rotifères.
Ils mesurent environ 20 mm mais seule une très petite partie d’entre eux parviennent à grandir car ils finissent presque toujours entre les tentacuIes urticantes des anémones de mer.
Ils atteignent en général la maturité sexuelle entre leur première et leur seconde année de vie alors qu’ils mesurent environ 20 cm. Dans les grands aquariums ils peuvent vivre jusqu’à 7 à 8 ans.
La résilience de cette espèce est bonne, ses effectifs pouvant doubler en moins de 15 mois. Son indice de vulnérabilité associé à la pêche s’établissait en 2022 à à peine 25 sur une échelle de 100.
Ce n’est pas en effet une espèce menacée par le chalutage étant donné qu’elle ne vit pas ancrée au fond ni persécutée, comme c’est le cas pour Hippocampus kuda, par la médecine traditionnelle chinoise bien que quelques Dragons de mer feuillus desséchés soient encore vendus en poudre à un prix élevé aux naïfs qui croient encore de nos jours, comme pour la corne de rhinocéros, à leurs miraculeuses vertus thérapeutiques.
Il n’est pas d’autre part recherché pour les aquariums domestiques. Ses dimensions mises à part, il a en effet besoin de bacs réfrigérés et d’une alimentation permanente constituée de petites proies vivantes, sans compter les paramètres de l’eau.
Seuls quelques aquariums publics peuvent l’accueillir et ne représentent évidemment pas une menace.
Cette espèce figure donc actuellement dans la Liste Rouge des espèces en danger avec la mention “Least Concern”, c’est-à-dire “risque minimal” mais il est évident que la dégradation environnementale liée aux activités humaines et le risque de pollution par les fertilisants et les insecticides qui s’accumulent dans la mer ne peuvent continuer sans avoir de conséquences sur les eaux profondes où il vit.
En Australie Méridionale toutefois c’est par chance une espèce qui est très aimée et protégée aussi parce qu’étant très photogénique et facile à approcher elle favorise le tourisme subaquatique.
En 2006 on a tourné un dessin animé de court métrage “The Amazing Adventures of Gavin, a Leafy Seadragon” qui a pour but d’impliquer les jeunes dans la conservation du milieu marin et tous les deux ans, dans la péninsule de Fleurieu, non loin d’Adélaïde et en face de l’île des kangourous, on célèbre un festival dédié à l’environnement et centré sur le Dragon de mer feuillu qui attire des milliers de participants et de touristes.
Synonymes
Phyllopteryx eques Günther, 1865.