Famille : Muscicapidae
Texte © Dr. Gianfranco Colombo
Traduction en français par Catherine Collin
Soutenir qu’une guerre ait pu favoriser l’expansion territoriale d’un oiseau peut sembler un non-sens mais certains indices montrent que quelque chose s’est produit lors de la dernière guerre mondiale. Non qu’un animal ait participé à la conquête d’un pays, soutenu par un ennemi envahisseur ou qu’il ait été envoyé, camouflé, pour investir un poste ennemi. Il en fut tout autrement ! Ce n’est certes pas le comportement d’une créature qui ne connaît pas la signification de ces atrocités même si dans l’ancienne tradition d’Europe du Nord, un autre oiseau, le Jaseur boréal (Bombycilla garrulus) avait bien involontairement gagné le déplaisant qualificatif de porteur de calamités et de malfaisant. Nommé en allemand Kriegvogel, oiseau de la guerre, et aux Pays Bas Pestvogel, oiseau de la peste, rien qu’à entendre son nom son arrivée en terre étrangère ne présageait rien de de bon !
Pourtant il est arrivé, particulièrement en Europe du Nord, qu’un petit oiseau, qui n’était aperçu qu’exceptionnellement dans les villes, commence à s’y installer, à l’improviste et avec une grande rapidité, s’y trouvant tout à fait à son aise, et à les occuper systématiquement.
Les terribles bombardements subis par les villes anglaises, Londres et d’autres centres industriels en particulier, lors de la seconde guerre mondiale, provoquèrent la destruction d’un grand nombre de bâtiments et laissèrent des montagnes de décombres, créant ainsi un milieu désolé mais qui ressemblait, sous certains aspects, pour ce petit oiseau qui vivait en montagne, à un habitat de roches friables, de parois escarpées, d’éboulis et présentait un nombre incalculable de failles, de fissures et de trous, convenant parfaitement à ses habitudes.
C’est ainsi qu’au cours des années 40 les villes anglaises se trouvèrent envahies par une armée bien différente, une armée désarmée et non belliqueuse qui peut-être a réjoui de son chant, assez confus mais relativement mélodique, un monde de destruction et de silence, de décombres et de mort. Il s’agissait du Rougequeue noir (Phoenicurus ochruros – Gmelin, 1774) un élégant et gracieux oiseau de l’ordre Passeriformes et de la famille Muscicapidae, le groupe comprenant les gobe-mouches de l’Ancien monde.
D’abord habitant des enrochements désolés, des pentes escarpées et rocheuses, des cavernes et des aires sauvages, il trouva à sa disposition une aire nouvelle et vaste, identique et qui, par certains aspects, convenait encore mieux à ses exigences. Il s’adapta parfaitement et avec une extrême rapidité à ce nouvel habitat, jusqu’à devenir en l’espace de quelques années ce petit oiseau désormais si commun dans les villes.
Puis la reconstruction commença et l’obligea à quitter, bien à contrecœur, ces nouveaux habitats auxquels il s’était adapté. Mais plutôt que de s’éloigner de la ville, désormais habitué à cohabiter avec les humains, il chercha à reconquérir ces lieux d’une autre manière, prenant possession des magasins, des maisons abandonnées, des monuments, des docks et de n’importe quel lieu adapté.
Puis, arriva une nouvelle phase de rénovation, plus moderne et actuelle, avec une architecture différente peu accueillante pour ces petits oiseaux mais, inlassables, ils ont persévéré et occupent maintenant toutes les villes, incommodés par le trafic routier et tourmentés par un quotidien parfois difficile à supporter y compris pour l’être humain.
Tout cela pour montrer la faculté d’adaptation du monde animal et comment ses membres savent survivre et trouver des solutions à tous les aléas de la vie. L’évolution, rien d’autre que l’évolution !
C’est un petit oiseau très semblable à son congénère Rougequeue à front blanc (Phoenicurus phoenicurus) estivant type et nichant dans les aires paléarctiques. Le Rougequeue noir doit être considéré comme l’équivalent hivernal de son très proche parent et à la mauvaise saison, plutôt que de migrer vers le Sahara afin de fuir la rigueur hivernale, il s’installe dans les aires laissées libres par le premier, créant un surpeuplement lors de l’arrivée des cousins migrateurs venus du nord de l’Europe. Même si leurs territoires se chevauchent en partie y compris pendant la période de nidification, les deux espèces ont pourtant des exigences spécifiques qui les tiennent souvent à distance, plaçant le Rougequeue noir en haute montagne et en général dans les milieux plutôt arides et frais et le Rougequeue à front blanc dans les aires boisées, arborées et plus douces. De toute façon, à travers toute l’Europe, les centres urbains, en particulier ceux d’Europe du Nord, semblent avoir absorbé les deux espèces qui souvent cohabitent dans une même ville.
Tous ses noms communs européens reprennent les couleurs de sa livrée. En anglais Black Redstart, en allemand Hausrotschwanz, en espagnol Colirrojo Tizón, en italien Codirosso spazzacamino et en portugais Rabirruivo-preto. Si tous ces noms reprennent fidèlement les couleurs de sa livrée, il ne fait aucun doute que son nom vulgaire italien est le plus folklorique puisque pour le distinguer de son cousin pratiquement semblable, on l’a fait… passer dans une cheminée pour ressortir tout noir comme un ramoneur (spazzacamino) !
L’étymologie du nom scientifique voit dériver le genre Phoenicurus de la combinaison de deux termes grecs “phoinix” = rouge pourpre et “ouros” = queue et le nom d’espèce “ochruros” de la fusion, toujours en grec, de “okhros” = ocre, jaune pâle et “ouros” = queue. Interprétation toute personnelle du classificateur de la réelle couleur de la queue.
Zoogéographie
Le Rougequeue noir est un habitant du paléarctique et a une vaste aire de répartition. Celle-ci s’étend des rivages de l’Atlantique, pénétrant à l’Est jusqu’à atteindre à travers les plaines d’Asie centrale les frontières de la Chine et touche au Sud le Moyen Orient, l’Anatolie, le Caucase et continue jusqu’à effleurer les grandes chaines de montagnes asiatiques. Il est présent au nord-ouest de l’Afrique et dans l’Atlas marocain/algérien sous la forme de divers noyaux. Les populations qui occupent le nord de l’aire qui borde les rives de la mer Baltique, celles du Centre et du Nord de l’Europe et celles correspondantes dans les régions asiatiques sont migratrices régulières et passent la mauvaise saison sous des latitudes inférieures au climat plus doux, pouvant atteindre lors des grands froids les côtes africaines pour les populations européennes et le sous-continent indien pour les populations asiatiques.
Les populations les plus au sud de l’aire de répartition sont pratiquement sédentaires et n’effectuent que des migrations limitées et à courte distance, avec des mouvements qui voient les populations de haute montagne descendre dans les vallées plus basses à la recherche de climats plus acceptables.
Écologie-Habitat
Le Rougequeue noir n’aime pas les bois et les forêts ni tous les lieux présentant une végétation dense pas plus que les aires totalement dépouillées comme les prairies, les aires de cultures intensives ou les marais. C’est un habitant type des collines rocheuses montrant des pentes escarpées, avec des éboulis rocheux au milieu des prés aux pieds de parois rocheuses, des pentes abruptes y compris de roche seule, des zones montagneuses de n’importe quelle hauteur jusqu’à une altitude élevée qui en Europe peut aller jusqu’à 3 000 m et dans l’Himalaya à plus de 5 000 m. En ville il apprécie les aires comprenant d’anciens bâtiments, hangars industriels, maisons abandonnées, églises. Il occupe également les endroits peu perturbés, les localités reculées et les villages de campagne.
Le Rougequeue noir est un oiseau très réservé mais comparé à son étroit congénère le Rougequeue à front blanc, il semble être un peu plus familier et n’hésite pas à se montrer à certains moments de la journée, perché sur le rebord d’un toit, une cheminée ou n’importe quel perchoir bien en vue, exposant à la vue de tous l’habituel tremblement de sa queue ainsi que l’irrépressible frémissement de tout son corps.
Il est très territorial et défend ce territoire avec acharnement. Ce n’est que pendant la période de nidification qu’il émet son habituel et persistant “tic tic tic” d’avertissement dès qu’il discerne l’arrivée de quelque danger ou la présence d’un intrus alors que l’hiver, quand il réside dans les villes du sud de l’Europe, c’est un petit oiseau pratiquement silencieux et qui compense ce manque de voix par une importante frénésie de tout le corps.
Morpho-physiologie
Le Rougequeue noir montre les mêmes mesures que tous les muscicapidés du vieux monde même s’il prend parfois des positions qui donnent l’impression qu’il est plus mince et allongé alors qu’en réalité il est légèrement plus grand et plus arrondi. Il mesure environ 15 cm pour un poids de 16/17 g et une envergure aux alentours de 25 cm, donc parfaitement dans la lignée de ses congénères. Plaçons ici la plaisanterie rebattue selon laquelle en ce qui concerne les vêtements… le gris amincit !
C’est une espèce polytypique avec certaines sous-espèces qui montrent de très légères différences dans la coloration de la livrée. Le mâle type présente une couleur générale gris ardoise qui couvre entièrement les parties supérieures et inférieures du corps mettant en évidence un petit masque noir qui couvre la partie antérieure de la face jusqu’à la ligne oculaire, à peine souligné sous la gorge.
Les rémiges sont noires et montrent sur la partie supérieure un miroir alaire blanchâtre très caractéristique permettant d’identifier l’espèce. La queue et le croupion sont orange vif avec les rectrices centrales noirâtres.
Les jeunes mâles, la première année, bien que déjà en mesure de se reproduire ne montrent pas toujours des couleurs aussi vives que les individus matures, leur livrée prendra son éclat au cours des années.
La femelle, assez semblable à celle du Rougequeue à front blanc (Phoenicurus phoenicurus) présente un coloris uniformément gris-brunâtre très adouci et ne porte aucun masque facial ni le miroir alaire blanchâtre mais montre elle aussi une queue orangé un peu moins vif.
Le juvénile est complètement noirâtre lors de l’envol. Il perdra cette livrée lors de la mue partielle d’automne pour devenir très semblable à la femelle en livrée hivernale. La queue rougeâtre est quant à elle immédiatement évidente.
Il existe diverses sous-espèces dispersées dans l’aire asiatique parmi lesquelles Phoenicurus ochruros rufiventris et Phoenicurus ochruros phoenicuroides tous deux présentant un ventre et une poitrine entièrement d’un ton rougeâtre très vif.
Éthologie-Biologie Reproductive
Dans son milieu naturel, le Rougequeue noir niche dans n’importe quelle anfractuosité, faille ou fissure disponible, qu’elle soit sur une paroi rocheuse en surplomb ou sous un éboulis rocheux, sur le versant abrupt d’une montagne et même dans une grotte. Dans les lieux anthropisés il s’adapte à n’importe quel abri reproduisant les mêmes conditions, la poutre d’un porche, sous une tuile, une cabane à outil dans le jardin ou même un nichoir. Le couple est monogame pour la saison de nidification. La femelle a la charge de la construction du nid, apportant des herbes, des petites racines et des mousses et garnissant ensuite l’intérieur avec des matériaux plus fins et moelleux ainsi que des plumes.
Elle y pond ensuite de 4 à 7 œufs blancs, ceux du Rougequeue à front blanc étant bleus, qui sont couvés, par la femelle uniquement, pendant environ deux semaines.
La durée du séjour au nid peut varier significativement selon les impératifs et la sécurité offerte par le refuge mais c’est généralement après une quinzaine de jours que les petits commencent à s’agiter et quelques jours après qu’ils prennent leur envol. La femelle effectue habituellement deux couvées par saison. L’espèce est parasitée par le Coucou.
Le Rougequeue noir est strictement insectivore lors de la saison de reproduction et se nourrit d’invertébrés aussi bien terrestres qu’aériens: insectes et leurs larves, araignées et vers. En automne et en hiver il ajoute à son régime des végétaux comme des fruits et des petites graines. Les populations citadines, beaucoup plus évoluées, ne dédaignent pas quelques friandises offertes par l’homme, sautant, toujours avec la plus grande précaution, sur les rebords de fenêtres ou dans les mangeoires bien garnies. Encore un signe de l’évolution !
Ce n’est pas une espèce en danger, vu l’étendue de son territoire et l’importance des diverses populations. Comme tous les petits oiseaux ils sont l’objet de prédation de la part de faucons et de rapaces nocturnes auxquels s’ajoutent les chats domestiques pour les populations citadines. Encore l’évolution bien sûr !
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