Famille : Opistognathidae
Texte © Giuseppe Mazza
Traduction en français par Michel Olivié
Pour perpétuer leur espèce la plupart des poissons de mer misent sur la quantité et confient aux courants des milliers d’oeufs.
À la limite une seule femelle de Molva molva, un poisson au corps long d’environ 1 m qui rappelle celui des anguilles, peut pondre de 20 à 60 millions d’oeufs.
D’autres, comme les sardines, se déplacent et se reproduisent en bancs en relâchant des nuages d’oeufs planctoniques et diverses espèces se rassemblent pour des accouplements de masse, plusieurs mâles fécondant ensemble les oeufs flottants.
Les poissons qui pondent sur les fonds surveillent souvent les oeufs jusqu’à leur éclosion en repoussant les prédateurs.
Les hippocampes les portent près d’eux dans une poche ventrale et c’est ensuite au mâle d’accoucher comme c’est le cas pour Hippocampus kuda. D’autres les collent sous leur queue ainsi que le font Phyllopteryx taeniolatus et Solegnathus spinosissimus ou sous leur ventre comme pour Dunckerocampus dactyliophorus.
Enfin il y a ceux qui décident de jeûner jusqu’à l’éclosion en protégeant les oeufs fécondés dans leur bouche.
C’est le cas pour les eaux douces de divers poissons incubateurs appartenant à la famille des Cichlidae où chez certaines espèces la bouche grande ouverte de la “mère” offre en plus un refuge sûr aux alevins tant qu’il y a de la place et aussi après leur naissance.
Les mâles de certains Siluriformes africains font de même puis gardent également les petits pendant deux semaines.
En Méditerranée et dans l’Est de l’Atlantique, du golfe de Gascogne au golfe de Guinée, les mâles de Apogon imberbis gardent les oeufs dans leur bouche jusqu’à leur éclosion et sur les rives des Caraïbes Opistognathus aurifrons fait de même en se réfugiant en outre, quand c’est nécessaire, sous terre dans un refuge qu’il creuse, ce qui lui a valu en italien le nom de Pesce minatore ( Poisson mineur).
Il appartient à la classe des Actinopterygii, les poissons aux nageoires rayonnées, à l’ordre des Perciformes et à la famille des Opistognathidae qui compte 4 genres et 84 espèces, pour la plupart de petits poissons à la tête et à la bouche élargies et au corps étroit et effilé qui s’abritent souvent dans des terriers creusés dans le sable où il entrent en marche arrière depuis la queue.
Le nom du genre Opistognathus vient, comme celui de la famille, du grec “ὄπῐσθεν” (opisthen), en arrière, et “γνάθος” (gnathos), par référence à sa mâchoire supérieure voyante qu’il utilise pour creuser alors que le nom latin de l’espèce, aurifrons, indique que c’est un poisson dont le front est doré, une caractéristique qui se retrouve dans l’appellation anglaise de “Yellowhead jawfish”, c’est-à-dire Poisson-mâchoire à tête jaune.
En français on l’appelle “Marionnette tête d’or” par référence, sans oublier la tête, à la posture verticale typique qu’il prend près de son repaire où il se déplace en haut et en bas, comme tiré par un fil invisible, pour attraper au vol le zooplancton de passage.
Zoogéographie
Opistognathus aurifrons a une aire de distribution très vaste dans l’Ouest de l’Atlantique, de la Caroline du Sud et des Bermudes au Mexique, au Belize puis, côté Est, aux îles Caïmans, à la Jamaïque, à Cuba, aux Bahamas,aux îles Turks Caicos, à Haïti, à la République Dominicaine, à Porto Rico, aux îles Vierges, à Antigua, à la Guadeloupe, à la Martinique et aux îles voisines jusqu’à la Barbade, Grenade, Trinité-et-Tobago, Aruba, Curaçao et enfin les côtes du Venezuela et du Brésil et rejoint même l’archipel de Trindade et Martin Vaz à plus de 1.000 km des côtes de Espirito Santo.
Écologie-Habitat
La Marionnette tête d’or est une espèce benthique qui vit en général entre 3 et 40 m de profondeur, souvent dans de petites colonies, sur des fonds sableux où se trouvent en abondance des débris coralliens, des cailloux et des coquillages.
Elle ne se cherche pas un refuge mais le crée. Pour le construire elle creuse d’abord avec sa bouche un trou profond d’environ 10 cm et légèrement plus large en un va-et-vient continuel et en crachant du sable tout autour. Puis, en partant de la base, elle construit une sorte de pyramide à degrés enterrée en utilisant comme briques des fragments de madrépores, de roches et de coquilles.
Ceux-ci constituent de nombreux murets à sec qui, consolidés à l’extérieur par du sable, forment au-dessus de la chambre à coucher, en se rapprochant vers le haut, un couloir qui s’ouvre sur le monde extérieur.
Le jour, tout en se tenant prête à faire marche arrière au premier signe de danger, la Marionnette tête d’or émerge à la verticale au-dessus de son trou afin de se nourrir.
Elle s’éloigne au maximum de 1,5 m de son repaire et le soir quand elle va dormir elle s’enferme par prudence dans sa maison en se servant souvent en guise de porte de la coquille d’un bivalve.
Morphophysiologie
Opistognathus aurifrons peut atteindre 10 cm de long. Elle porte une livrée très élégante qui comporte sur la tête des teintes jaunes contrastant de façon raffinée avec le bleu azur des nageoires. Ses yeux, qui ont eux aussi des parties bleu ciel, sont saillants.
Sa tête est dépourvue d’écailles alors que celles du corps qui sont de couleur gris perle sont cycloïdes. La ligne latérale qui n’est présente que dans la moitié antérieure du corps se situe nettement en hauteur, peu au-dessous de la longue nageoire dorsale. Celle-ci est unique et compte 11 rayons épineux et 15 à 16 rayons mous. La nageoire anale a 3 épines suivies de 14 à 15 rayons inermes. Les nageoires pectorales possèdent 18 à 20 rayons mous.
Nettement décalées vers l’avant, à côté de la tête, les nageoires pelviennes ont 1 rayon épineux et 5 rayons inermes. Longues et fines elles sont souvent tendues en avant comme deux bras. Elles contribuent à assurer la stabilité du poisson et, au moment de la cour, elles envoient des signaux amoureux précis à la compagne.
Avant la période de reproduction les mâles peuvent porter des taches noires sur la nuque et, suivant les endroits, certains individus présentent deux traits foncés sur la gorge et des lignes bleues sur la tête.
Il est difficile de dire si cela fait partie de la variabilité de l’espèce. Pour le Brésil certains font état d’une nouvelle espèce ou sous-espèce qui resterait à décrire.
Éthologie-Biologie reproductive
Opisthognathus aurifrons se nourrit de petits invertébrés benthiques et planctoniques, y compris les méduses microscopiques qui passent près de sa demeure.
Quand un poisson animé de mauvaises intentions s’approche il se met aussitôt à l’abri. Sinon, si la taille de l’intrus le permet comme dans le cas de petits gobies qui voudraient lui voler son repaire, il défend son habitation de toutes ses forces en crachant à leur face du sable et des cailloux.
Opistonathus aurifrons est parfois la proie de Epinophelus striatus, un mérou des Caraïbes qui, en agitant à la façon d’un éventail sa nageoire caudale, recouvre son repaire de sable pour le contraindre à sortir.
Mais la Marionnette tête d’or ne se laisse pas troubler et peut attendre tranquillement dans sa demeure jusqu’à 10 heures que le mérou obstiné soit distrait par d’autres proies.
Pour la reproduction le mâle courtise la femelle la bouche grande ouverte en nageant dans une position arquée, les nageoires tendues vers sa compagne.
Les oeufs fécondés sont aussitôt recueillis par le mâle. L’incubation orale dure environ une semaine.
Collés les uns aux autres ils forment une boule que le mâle crache, rattrape au vol et secoue régulièrement pour assurer une bonne oxygénation. Au début ils sont jaunes puis deviennent orange foncé, presque noirs. Dans la dernière phase, quand on voit bien les yeux des futurs nouveau-nés, ils sont brillants, transparents et argentés, ce qui laisse présager l’heureux événement.
Opistognathus aurifrons peut aussi se reproduire en aquarium où on doit le nourrir de larves d’Artemisia salina et de crevettes surgelées du genre Mysis.
La résilience de cette espèce est inconnue mais sa vulnérabilité à la pêche est très faible et s’établit à peine à 10 sur une échelle de 100.
Elle figure donc en tant que “Least Concern, c’est-à-dire “Préoccupation mineure”, dans la Liste Rouge de l’UICN des espèces menacées.
Synonymes
Gnathypops aurifrons Jordan & Thompson, 1905.