Famille : Formicidae
Texte © Prof. Giorgio Venturini
Traduction en français par Carole Jouron
La fourmi tisserande (Oecophylla smaragdina Fabricius, 1775) est un hyménoptère appartenant à la famille des Formicidae.
Seule une autre espèce appartient au même genre, Oecophylla longinoda (Latreille, 1802), présente en Afrique subsaharienne. De nombreuses espèces fossiles sont connues pour avoir vécu en Europe entre l’Eocène et l’Oligocène.
Le nom du genre Oecophylla vient du grec “oikos” (οἶκος), = maison et “phyllon” (φύλλον) = feuille, donc “vivant dans les feuilles”, l’espèce smaragdina vient du latin “smaragdus”, à son tour du grec “smaragdos” (σμάραγδος) = émeraude, à cause de sa couleur verte typique.
Zoogéographie
La fourmi tisserande est présente dans le sud de l’Inde, le sud-est asiatique, jusqu’en Nouvelle-Guinée et au nord de l’Australie.
Il existe plusieurs sous-espèces dont la localisation est indiquée ci-après :
Oecophylla smaragdina var. fuscoides Karavaiev, 1933 – Indonésie (Java). Indomalais
Oecophylla smaragdina var. gracilior Forel, 1911 – Indonésie (Java)
Oecophylla smaragdina var. gracillima Emery, 1893 – Indonésie (Batjan I). Australasie
Oecophylla smaragdina var. selebensis Emery, 1893 – Indonésie (Sulawesi). Indomalais
Oecophylla smaragdina var. subnitida Emery, 1892 – Nouvelle Guinée. Australasie
Écologie-Habitat
Son habitat est essentiellement constitué d’arbres dans les forêts tropicales, mais dans les milieux tropicaux, les nids se trouvent également sur les toits des bâtiments et les poteaux électriques ou télégraphiques. Elle se nourrit de petits invertébrés que les ouvrières chassent activement, de miellat produit par des insectes comme les pucerons et les coccidés (Homoptera), élevés par ces fourmis pour la reproduction et la “traite” ; et aussi de nectar et de sécrétions végétales.
Morpho-physiologie
Les ouvrières d’Oecophylla smaragdina appartiennent à deux catégories en fonction de leur taille, l’une plus grande, entre 8 et10 mm et l’autre deux fois plus petite environ. Dans une colonie adulte, il n’y a pas d’individus de taille intermédiaire. La reine, plus grande, atteint les 20 à 25 mm. Elle est ailée mais perd ses ailes après l’accouplement. Les mâles, plus petits, sont ailés.
La couleur est variable, du brun rougeâtre au jaune, avec la tête et l’abdomen qui sont souvent verts, surtout chez les spécimens australiens. La tête est grande, plus large à l’arrière qu’à l’avant, avec des côtés arrondis, très convexe sur la partie supérieure. Les mandibules sont bien développées, triangulaires, avec des bords latéraux droits, une dent apicale incurvée et plusieurs encoches courtes.
Les antennes, formées de 12 segments, sont longues avec les deux segments terminaux en forme de bâton et le premier segment funiculaire très allongé. Les palpes sont très courts, les maxillaires ont 5 segments, les labiaux 4 segments. Les yeux sont grands, plus que chez la plupart des autres fourmis, et les ocelles sont absents. Le thorax est long et étroit. Le pétiole est long et fin, presque cylindrique. L’abdomen est court, de forme approximativement elliptique, avec une extrémité pointue. La caractéristique typique est la capacité de l’abdomen à se refléter sur le mésosome.
Éthologie-Biologie reproductive
Oecophylla smaragdina est bien connue pour son comportement complexe de coopération durant la nidification. La première description de ce phénomène intéressant est probablement due au naturaliste anglais Joseph Banks, qui a participé à l’expédition du capitaine Cook de 1768-1771.
Les colonies de fourmis tisserandes, qui peuvent compter jusqu’à un demi-million d’ouvrières, sont réparties dans un grand nombre de nids qui, surtout en Asie, sont généralement monogynes, c’est-à-dire qu’elles n’ont qu’une reine.
En Australie, au contraire, on rencontre plus communément des colonies polygines et, parfois, polyandres, c’est-à-dire issues d’un plus grand nombre de mâles. Dans le cas des colonies polygines, les reines vivent dans le même nid, mais dans des compartiments différents.
La reine, ailée, vole à la recherche d’un mâle puis s’accouple en vol ou sur une plante ou même au sol avec un ou plusieurs mâles. Après l’accouplement, elle part à la recherche d’un endroit propice à la création de la nouvelle colonie, perd ses ailes et commence à déposer le premier groupe d’œufs sur une feuille, puis nourrit les larves jusqu’à leur développement en ouvrières.
Les nymphes éclosent généralement après 17 jours, même si cette durée peut varier en fonction de la température. Après 28 jours, les premières ouvrières apparaissent. Ces premières ouvrières sont de dimensions intermédiaires par rapport aux deux catégories dimensionnelles, les plus grandes et les plus petites, typiques d’une colonie mature, et elles entreprennent la construction des nids.
Lorsque la colonie est formée, la reine continue de pondre, les œufs et les larves les plus jeunes restant dans le même nid qu’elle,, tandis que les plus grosses larves sont transportées par les ouvrières vers les différents nids.
Les œufs fécondés donnent naissance aux ouvrières ou aux reines, diploïdes, tandis que des œufs non fécondés donnent naissance aux mâles, haploïdes, mais habituellement ces œufs servent de nourriture aux larves. Parfois, les ouvrières elles-mêmes peuvent produire des œufs stériles, qui sont également utilisés comme nourriture. Ce n’est que lorsque la colonie est mature qu’elle produit d’autres reines et des mâles pour les colonies futures.
Les mécanismes qui déterminent la naissance d’une reine ou d’une ouvrière pour cette espèce en particulier, n’ont pas été étudiés en profondeur, mais sur la base de ce qui est connu pour des espèces similaires, il semble que des facteurs environnementaux et nutritionnels entrent en jeu. Une alimentation plus abondante, riche en miellat de puceron et en nectar, favorise la naissance d’une reine.
La taille de l’œuf semble également importante et les phéromones produites par la reine jouent un rôle essentiel, car elles empêchent la naissance de nouveaux reproducteurs.
La durée de vie d’une colonie est estimée à environ huit ans, avant qu’elle ne produise de nouveaux mâles et de nouvelles reines. Si la reine meurt, certaines ouvrières rendent leurs ovaires fertiles et produisent de nouveaux mâles. Cette stimulation peut toutefois prendre beaucoup de temps car le corps de la reine continue de libérer des phéromones qui empêchent l’activation des ovaires des ouvrières. Ces dernières accomplissent les tâches essentielles à la survie de la colonie, telles que soigner et élever les larves, les nourrir, construire, entretenir et défendre les nids, en échangeant des signaux chimiques et tactiles pour coordonner le travail.
La caractéristique principale des colonies réside dans leurs grands nids faits de feuilles froissées et “cousues” avec la soie produite par les larves, bien visibles sur les arbres des forêts qui abritent cette fourmi.
Au fur et à mesure que le nombre d’individus augmente, de plus en plus de nids sont construits, généralement placés sur des arbres voisins ou reliés par des branches ou des plantes grimpantes. La taille de chaque nid est très variable et certains atteignent une longueur de près d’un demi-mètre.
Nous avons vu qu’il existe deux catégories d’ouvrières, des grandes et des petites, aux fonctions différentes : les grandes construisent les nids, se procurent la nourriture et défendent la colonie, tandis que les petites, qui restent habituellement dans les nids, prennent soin des larves, les protègent et récoltent le miellat des insectes qu’elles élèvent dans ce but. Pour se défendre des intrus, les tisserandes, qui sont dépourvues de dard, utilisent leurs solides mandibules dont les morsures, associées à des giclées d’acide formique, peuvent également être très douloureuses pour les humains.
Oecophylla smaragdina est une fourmi arboricole qui utilise une technique complexe pour construire ses nids. En effet, les ouvrières, réparties en de nombreux groupes, saisissent avec leurs mandibules les bords des feuilles et les écrasent. Afin d’assembler des bords foliaires distants, elles s’unissent pour former de longues chaînes, où chaque fourmi saisit dans ses mandibules le pétiole de la précédente, aidée en cela par la grande mobilité de l’abdomen de sa compagne. Les bords des feuilles froissées sont ensuite collés à l’aide de la sécrétion soyeuse des larves : quelques ouvrières font glisser celles-ci le long du bord des feuilles, en les maintenant entre leurs mandibules.
Les ouvrières et les larves travaillent ensemble comme une sorte de machine à coudre mobile. Les adultes ne produisent pas cette sécrétion.
Ce comportement, qui est à l’origine du nom commun de fourmi tisserande, fait d’Oecophylla smaragdina l’un des rares animaux non primates capables d’utiliser un outil.
Les ouvrières ont une force et une capacité d’adhérence extraordinaires : elles peuvent supporter un poids égal à 100 fois celui de leur corps. L’adhérence aux surfaces lisses est probablement favorisée par la présence d’une fine couche de liquide sécrétée par leurs pattes.
La définition et le contrôle du territoire reposent sur un éventail complexe de signaux chimiques. Le territoire d’une colonie couvre une superficie qui peut être supérieure à 1000 m2 et qui occupe également plus de 20 arbres. La surveillance d’une zone aussi vaste, simplifiée par la subdivision de la colonie en plusieurs nids chacun contrôlant une zone spécifique, est principalement confiée à des ouvrières âgées logées dans des nids spéciaux, tels des casernes situées aux limites du territoire. L’ennemi est identifié par un mécanisme, probablement de nature chimique, ce qui déclenche l’attaque contre l’envahisseur.
Compte tenu de la complexité de ces colonies réparties sur de nombreux nids, il n’est pas surprenant que la fourmi tisserande accueille une variété de locataires, tels que des hôtes, des symbiotes ou des parasites.
Parmi les parasites, on se souvient de l’araignée myrmécophile salticide Cosmophasis bitaeniata qui peut pénétrer dans les nids protégés par des signaux chimiques en imitant ceux produits par les fourmis pour s’en prendre aux larves. Malgré la protection chimique, l’araignée n’est pas complètement à l’abri des attaques des principales ouvrières, qu’elle essaie d’éviter.
Un cas intéressant de mimétisme est celui de la petite araignée salticide asiatique Myrmarachne plataleoides, qui exploite sa remarquable ressemblance morphologique avec la fourmi tisserande pour vivre près de ses nids et ainsi se protéger des autres prédateurs qui, connaissant l’agressivité des fourmis, veillent à ne pas approcher,.
En Asie du Sud-Est, Oecophylla smaragdina a une relation symbiotique avec Anthene emolus, un papillon lycène, obligatoirement myrmécophile .
Les papillons femelles déposent leurs œufs sur les nids d’Oecophylla smaragdina et les larves sont adoptées par les fourmis qui les transportent à l’intérieur du nid, où elles peuvent se nourrir des feuilles. Si nécessaire, la chenille émet des phéromones pour attirer les ouvrières qui prendront soin d’elle. Les larves, qui ne peuvent pas survivre en dehors des nids, où elles sont en permanence aux soins des fourmis, sécrètent des liquides nutritifs très appréciés par ces dernières. Les substances produites par les larves du papillon représentent un apport énergétique important pour les fourmis.
Les nymphes, même si elles ne produisent pas de liquides attractifs, ne sont cependant pas attaquées par les fourmis. Toutefois, après l’éclosion, les adultes ne sont pas protégés des attaques et doivent immédiatement s’éloigner des nids s’ils ne veulent pas être tués. Il existe huit autres espèces de papillons lycènes et, en Australie, elles ont la même relation avec la fourmi tisserande.
Utilisation par l’homme
Les fourmis tisserandes, au stade d’œufs, de larves ou d’adultes, sont parmi les insectes les plus appréciés comme nourriture, tant pour l’homme que pour les animaux domestiques, pour leur goût agréable, leur richesse nutritive et leurs propriétés curatives. Oecophylla smaragdina est riche en protéines, sucres, vitamines C, E, B1, PP, sels minéraux et anti-inflammatoires. Dans certains pays comme la Thaïlande, elles sont vendues à des prix élevés et leur commerce contribue de manière significative à l’économie de certaines régions. En Indonésie, l’utilisation des larves est très répandue et elles sont commercialisées comme nourriture pour les oiseaux ou comme appâts pour la pêche, tandis qu’en Inde, en Chine et en Australie, les populations locales les utilisent dans une large mesure comme nourriture ou en médecine traditionnelle.
Les Aborigènes d’Australie l’utilisent pour adoucir l’eau, en pressent l’abdomen dans la bouche pour s’en nourrir et comme médicament contre les maladies respiratoires. Le goût de l’abdomen pressé (d’après l’expérience personnelle de l’auteur) est indéniablement agréable et rappelle une limonade sucrée, avec l’acide formique qui apporte son goût aigre, tandis que le goût sucré est probablement dû au miellat ou au produit des chenilles des papillons symbiotiques qu’elles consomment.
Les aborigènes d’Australie font bouillir les nids et boivent ensuite le liquide filtré, ou en inhalent la vapeur pendant l’ébullition (qui a inventé les aréosols pour la bronchite ?). On peut également frotter les fourmis sur la peau en guise de répulsif. Les femmes qui accouchent frottent les nids contre leurs seins afin que les fourmis les mordent. L’inflammation ainsi provoquée facilite la montée du lait.
Au Kerala (Inde), des groupes tribaux utilisent des fourmis broyées pour fabriquer une “sauce piquante” grâce la présence de l’acide formique. Elle est également transformée en huile, par extraction à chaud sur les fourmis terrestres, et utilisée contre l’arthrite et comme anti-inflammatoire. La sécrétion des glandes abdominales a une action antibactérienne et antifongique.
Les fourmis tisserandes, chasseuses et amatrices du miellat d’autres insectes, sont également attirés par le nectar ou d’autres substances sucrées sécrétées par les plantes. Ainsi, les plantes en question, qui attirent les fourmis agressives et voraces, bénéficient d’une protection contre les insectes ou autres animaux qui mangent leurs feuilles.
L’homme utilise cette caractéristique depuis l’antiquité et, de fait, les fourmis tisserandes sont probablement le plus ancien cas documenté d’utilisation d’un insecte pour la lutte biologique contre les parasites des cultures. Déjà vers l’an 300 après J.C., les paysans chinois répandaient des colonies d’Oecophylla smaragdina dans les champs d’agrumes pour combattre les parasites et les nids de fourmis furent commercialisés dans ce but. Pour encourager les fourmis à coloniser tous les arbres, on disposait des lattes de bambou entre les arbres comme “ponts” de communication. Actuellement, dans certains pays, cette pratique est reprise comme alternative à l’utilisation d’insecticides chimiques pour combattre les parasites de la mangue et d’autres plantes, par exemple dans la lutte contre la punaise pentatonique Cyclopelta siccifolia qui infeste Pongamia pinnata, un arbre asiatique d’intérêt commercial pour ses propriétés médicinales.
Il est intéressant d’observer qu’Oecophylla smaragdina agit également comme pollinisateur, un rôle d’importance dans certaines régions d’Australie où il n’existe pas d’autres pollinisateurs pour les plantes de grand intérêt agricole comme les mangues et les mandarines.
Les colonies de fourmis tisserandes, malgré leur rôle positif pour les plantes qui les abritent, en combattant leurs parasites, peuvent aussi avoir un effet négatif, à la fois en éloignant les animaux utiles à la pollinisation des fleurs et à la dispersion des graines, et en protégeant les animaux nuisibles tels que les cochenilles et les pucerons qu’elles élèvent pour obtenir le miellat.
Comme la soie produite par les araignées et les vers à soie, celle des larves d’Oecophylla smaragdina a suscité l’intérêt des chercheurs en tant que biomatériau potentiel, en particulier en tant que matrice pour l’adhésion des cellules humaines en culture pour les greffes de tissus.
Synonymes
Formica virescens (Fabricius); Formica viridis (Kirby); Camponotus smaragdinus (Fabricius); Echophylla virescens (Fabricius); Formica smaragdina (Fabricius); Formica macra (Guérin-Méneville); Formica zonata (Guérin-Méneville);
Lasius virescens (Fabricius); Oecophylla macra (Guérin-Méneville); Oecophylla virescens (Fabricius); Oecophylla viridis (Kirby).