Numenius arquata

Famille : Scolopacidae

Texte © Dr. Gianfranco Colombo

 

Traduction en français par Catherine Collin

 

Le Courlis cendré est un oiseau vraiment singulier. On le reconnait facilement grâce à deux caractéristiques. La première est son très long bec, très arqué, hors normes par sa taille et sa forme et qui ressemble trait pour trait à celui de trois autres oiseaux n’appartenant pourtant pas au même ordre puisqu’ils sont classés parmi les Threskiornitidae, à savoir l’Ibis sacré (Threskiornis aethiopicus), l’Ibis falcinelle (Plegadis falcinellus) et le rarissime Ibis chauve (Geronticus eremita).

La seconde caractéristique est ce chant mélodieux, “cour liù”, audible de très loin, qu’il émet en permanence, aussi bien en vol qu’à terre, afin de garder le contact avec ses semblables ou de manière exacerbée lorsqu’il est isolé et recherche frénétiquement des congénères.

Un chant si particulier que dans les landes du nord de l’Europe où ce limicole niche, il a été désigné, avec celui des Plongeons, comme “sound of the moorland”, le “son des landes”, une mélodieuse complainte qui imprègne les étendues nordiques silencieuses et dépouillées.

Le Courlis cendré se différencie aussi des trois oiseaux lui ressemblant mentionnés plus haut par la couleur de sa livrée, sauf en ce qui concerne l’Ibis falcinelle et partiellement l’Ibis chauve qui comme lui montrent un plumage sombre, modeste et discret.

Par ailleurs, une rencontre avec l’Ibis chauve pratiquement éteint en occident, sauf pour les individus réintroduits artificiellement, est tellement improbable qu’on ne risque pas de les confondre.

Cependant, l’environnement humide et morose où vit le Courlis cendré, la brume persistante qui enveloppe ces lieux ou le partage potentiel des mêmes territoires avec ces oiseaux, peut induire en erreur lorsqu’on n’entrevoit que son étrange silhouette et alors le chant devient déterminant pour l’identification. Nous verrons aussi que certains congénères montrent une très grande ressemblance avec notre oiseau.

Le Courlis cendré, Numenius arquata (Linnaeus, 1758), appartient à l’ordre Charadriiformes et à la famille Scolopacidae. C’est le plus grand limicole européen appartenant à cette famille.

Tous les noms vulgaires qui lui sont attribués, que ce soit dans les régions italiennes ou européennes, le sont, pour la plupart, sur la base d’onomatopées ou liés à sa morphologie. Certaines formes dialectales des régions septentrionales italiennes reflètent naturellement la forme du bec: arcàsa, arcàia, arcagia, becasù, pivierù. Ailleurs en Europe, en plus des noms communs officiels, on lui a donné des surnoms tels que bec crochu, farièu et whaup.

En anglais il est appelé Eurasian Curlew, en italien Chiurlo ou Chiurlo maggiore, en allemand Großer Brachvogel, en espagnol Zarapito Real et en portugais Maçarico real.

L’étymologie du nom binominal met en évidence, comme c’est souvent le cas, l’imagination fantaisiste des anciens classificateurs. Linné assigna cet oiseau au genre Scolopax, le même que celui des bécassines. Le Courlis cendré est toujours placé dans la famille Scolopacidae mais Bresson a plus tard changé le nom de genre en Numenius qui tire son origine du grec “noumenia” nom composé de “neos”, nouveau, et “mene”, lune, nouvelle lune donc, pour la forme du bec. L’épithète spécifique arquata vient du latin “arcuatus”, en forme d’arc.

Zoogéographie

Numenius arquata s’installe en été dans des territoires plutôt frais pour ne pas dire froids, puisqu’il occupe une grande partie de la Sibérie, la Mandchourie jusqu’aux côtes de la Baltique, la péninsule scandinave jusqu’au cap Nord, la Grande Bretagne et l’Irlande, les Pays-Bas et le Danemark et de manière fragmentaire certaines régions d’Europe continentale, mais toujours au nord des Alpes et des Pyrénées et, de façon presque identique, des Carpates.

Son aire de répartition atteint dans sa partie Sud les rivages de la mer Noire, ceux de la mer Caspienne et les lacs des républiques d’Asie Centrale, jusqu’à la Mongolie septentrionale et la Mandchourie.

L’aire d’hivernage est quant à elle très vaste. Elle comprend toutes les côtes africaines, les grands lacs et les zones humides transsahariennes comme australes, Madagascar, la péninsule Arabique, la péninsule Indienne et celle du sud-est asiatique ainsi qu’une partie de l’Indonésie. Pratiquement tous les littoraux africains et asiatiques jusqu’au Japon sont aussi compris dans ces aires hivernales. Il peut aussi passer l’hiver dans le bassin méditerranéen, en Espagne, en Italie, dans les Balkans, en Turquie et sur les côtes d’Afrique du Nord.

Dans certains territoires comme l’Irlande et la Grande Bretagne, certaines parties du nord de la France et sur tout le littoral de la mer du Nord, le Courlis cendré est en partie résident et durant la migration les différentes populations se superposent.

Numenius arquata est une espèce polytypique comptant deux ou trois sous-espèces selon les interprétations taxonomiques. Numenius arquata arquata l’holotype qui occupe tout le continent européen, Numenius arquata orientalis, qui niche de l’Europe à la Mandchourie et à travers la Sibérie et Numenius arquata suschkini, de l’aire asiatique la plus méridionale, des républiques centrales jusqu’à la Chine qui n’est pas occupée par tous. Le Courlis cendré est donc, pour une grande partie de ses populations, un migrateur au long cours mais certains individus sont sujets à l’erratisme, sans but précis, toujours en évitant les climats rigoureux de l’hiver paléarctique.

Ecologie et Habitat

Le Courlis cendré est un limicole et comme tel il peuple assidûment les lieux humides, les rives des lacs et des rivières, les littoraux et les prairies inondées mais il fréquente aussi les prés et les champs cultivés, les exploitations agricoles, les landes et la toundra. Pour exploiter au mieux son long bec incurvé, il doit trouver un sol boueux et mou dans lequel faire pénétrer les plus de 15 cm de cet appendice hors normes.

En effet, lorsque le sol présente ces caractéristiques, le Courlis cendré est capable de sonder à des profondeurs qu’aucun autre limicole ne parvient à atteindre, se réservant ainsi la microfaune dont il se nourrit, en particulier des vers, des crustacés, des larves et des mollusques.

Sur des sols à la consistance différente, il se nourrit généralement de divers insectes, tels que sauterelles et criquets, de larves et de chrysalides, n’utilisant son bec que pour récolter ses proies.

Dans le nord de son aire de répartition, la lande et partiellement la toundra arctique sont ses habitats préférés et comme déjà mentionné, il en est l’habitant caractéristique et habituel. Il n’aime ni les forêts denses, ni les terrains très boisés, mais les espaces assez ouverts où il peut se promener librement et s’alimenter tout en observant attentivement les lieux alentours.

Il n’aime pas non plus les sols arides ni les landes desséchées pas plus que les températures élevées, mais au contraire il apprécie les climats humides, pluvieux et venteux tout en évitant soigneusement les fortes gelées et la neige.

C’est pour cette raison que durant la saison froide, en particulier pour les populations de notre continent, résidentes ou sujettes à l’erratisme, le Courlis cendré choisit des lieux non soumis à de fortes variations de température ni sujets à de fortes gelées, ce qui l’empêcherait de trouver sa subsistance. C’est à cette période, plus qu’à tout autre moment de sa vie, qu’il fréquente les vasières et les littoraux qui lui garantissent les conditions minimales de survie.

Morpho-physiologie

Numenius arquata est un limicole de grande taille et, comme mentionné, il est le plus grand scolopacidé du Paléarctique. Il atteint 60 cm de longueur, un poids qui, à certaines périodes, peut largement dépasser les 1000 g et une envergure de 110 cm.

Il a un bec long, mince et fortement courbé vers le bas, de couleur vert-chair. Ce bec devient avec l’âge de plus en plus fort et allongé. Chez la femelle, légèrement plus grande que le mâle, il peut atteindre 18 cm quand elle est adulte et cette plus grande taille est l’un des caractères rendant possible la distinction entre les sexes.

Chez les juvéniles, le bec est d’abord peu incurvé et plus court de quelques centimètres, mais atteint rapidement la bonne taille. La livrée de cet oiseau ne montre rien de remarquable.

Son plumage est entièrement brun. C’est celui d’un oiseau cryptique comme celui des femelles de nombreux anatidés, avec des nuances plus claires disséminées sur toute la couverture alaire, une poitrine tachetée de la même couleur avec des taches et des ponctuations qui progressivement, en descendant du cou, s’estompent sur la poitrine jusqu’à devenir sur les flancs des dessins en pointe de flèche qui disparaissent sur le bas-ventre, blanchâtre et généralement dépourvu de marques.

En vol, il montre un croupion blanc bien évident. Ses yeux sont noirs et ses pattes, longues et robustes, d’un coloris gris bleuté. Les juvéniles sont assez semblables aux adultes.

C’est un oiseau très prudent et méfiant. Au moindre soupçon de danger il est effrayé et s’enfuit rapidement en poussant son habituel cri plaintif.

Pendant la nidification il n’est pas sociable, même avec ses semblables, et préfère rester en couple bien que sur les lieux d’alimentation puissent momentanément se former de petits rassemblements. Au contraire, lors de la migration ou dans les quartiers d’hivernage, des troupes de plusieurs centaines d’individus peuvent se former. Elles se dissoudront au moment de la nidification.

Dans le Paléarctique, en plus du Courlis cendré on trouve deux autres congénères assez similaires qui, lorsqu’ils sont observés seuls, peuvent induire en erreur les ornithologues.

Le Courlis corlieu (Numenius phaeopus) qui est nettement plus petit que le Courlis cendré se différencie par des rayures noirâtres sur la tête.

Il y a aussi le Courlis à bec grêle (Numenius tenuirostris), très semblable au précédent mais pratiquement introuvable. Il a été vu pour la dernière fois il y a une vingtaine d’années et le rencontrer signifierait le ressusciter et confirmer son existence actuellement incertaine.

Il existe également d’autres espèces, typiques de l’Extrême-Orient et de l’Amérique du Nord, montrant une morphologie proche de notre Courlis cendré, parmi lesquelles le très rare Courlis esquimau (Numenius borealis), désormais signalé comme étant à la limite de l’extinction.

Les autres sont le Courlis nain (Numenius minutus), le Courlis d’Alaska (Numenius tahitiensis), le Courlis à long bec (Numenius americanus) et le Courlis de Sibérie (Numenius madagascariensis) nommé de façon erronée de Madagascar alors qu’il n’est présent qu’en Australie et aux alentours. Les deux derniers ont des becs tout à fait hors normes mesurant de 21 à 23 cm de long!

Ethologie-Biologie Reproductive

Le nid de Numenius arquata est un petit creux sur le sol garni de quelques matériaux et parfois de quelques plumes. Le mâle creuse une série de petites dépressions sur le terrain, toujours dans un endroit sec, généralement adossées à une touffe d’herbe ou de bruyère qui les abrite partiellement d’un côté. La femelle choisit le nid qui lui convient et termine la construction en y apportant des herbes et quelques plumes.

Les œufs sont gros et très ovales, de couleur olivâtre avec des petites taches noirâtres et rougeâtres, qui les camouflent dans leur environnement. La femelle y pond en moyenne 4 œufs qu’elle couve pendant environ un mois. Cette tâche est souvent partagée, femelle et mâle se relayant pour couver.

L’éclosion est synchrone et immédiatement après la naissance les petits quittent le nid et se dispersent dans les environs, surveillés par les deux parents. Les petits sont déjà autonomes pour se nourrir mais les parents s’en occupent encore pendant une longue période, jusqu’à ce qu’ils soient capables de voler.

La maturité sexuelle est atteinte la deuxième année et on pense que le Courlis cendré peut vivre plus de dix ans.

La chair de cet oiseau est appréciée depuis le Moyen-Age et il est encore aujourd’hui chassé et mangé. On sait qu’en Grande-Bretagne, jusqu’à la seconde guerre mondiale, le Courlis cendré était bien représenté sur les marchés et qu’on le trouvait facilement chez le boucher. A l’heure actuelle, dans certains endroits, les populations sont en déclin et il figure sur la Liste rouge des espèces menacées de l’UICN comme “Near Threatened”, c’est-à-dire quasi menacé.

Pour en revenir au chant plaintif du Courlis cendré et à l’impression que ce son si doux à laissé depuis des temps lointains, il faut se rappeler qu’il fut immortalisé dans un ancien poème anglais du Xème siècle qui rappelle comme il était romantique et agréable d’entendre ce chant : “Je ressens un plus grand bonheur en entendant le chant du Courlis … que les rires des hommes”.

Synonyme

Scolopax arquata Linné 1758.

 

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