Nepenthes rafflesiana

Famille : Nepenthaceae


Texte © Prof. Pietro Pavone

 

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Traduction en français par Michel Olivié

 

Ascidie inférieure de Nepenthes rafflesiana. Le piège pour les fourmis et les araignées, large d'environ 5 cm, contient un suc digestif. Le couvercle réduit les excès d'eau de pluie

Ascidie inférieure de Nepenthes rafflesiana. Le piège pour fourmis et araignées, large d’environ 5 cm, contient un suc digestif. Le couvercle réduit les excès d’eau de pluie © Bernard Dupont

Nepenthes rafflesiana Jack (1835) est une plante carnivore de la famille Nepenthaceae répandue à Bornéo, Sumatra, dans la péninsule malaise et à Singapour. De façon plus précise elle est commune à Bornéo et dans l’archipel de Riau alors que son aire de répartition est réduite dans la péninsule malaise et à Sumatra où on ne l’a trouvée qu’entre Indrapura et Barus.  Outre Singapour on l’a découverte dans un certain nombre de petites îles telles que Bangka, Labuan, Natuna et les îles Lingga.

Nepenthes rafflesiana se trouve en général dans des zones ouvertes, sablonneuses et humides.

Elle est présente dans la forêt de tourbières de Sundaland, connue aussi sous le nom de forêt de Kerangas, dans les formations secondaires, sur les bords de la forêt de marais tourbeux et sur les falaises du bord de mer. Elle pousse à des altitudes qui vont depuis le niveau de la mer jusqu’à 1200 m et parfois 1500 m.

Nepenthes rafflesiana est très variable et comporte de nombreuses formes et variétés qui ont été observées et décrites bien qu’elles n’aient pas toutes été reconnues valides. Dans des régions isolées des côtes Nord-Ouest et Ouest de Bornéo on rencontre des individus sensiblement plus grands qu’ailleurs.

L'ascidie supérieure, étroite à sa base, haute jusqu'à 30 cm et large de 9, a une forme conique et capture en général des diptères, des blattes, des coléoptères, des sauterelles, de grosses fourmis et des lépidoptères. On a remarqué qu'elle devient plus petite et plus rouge quand la plante est à court d'azote et de phosphore

L’ascidie supérieure, étroite à sa base, haute jusqu’à 30 cm et large de 9, a une forme conique et capture en général des diptères, des blattes, des coléoptères, des sauterelles, de grosses fourmis et des lépidoptères. On a remarqué qu’elle devient plus petite et plus rouge quand la plante est à court d’azote et de phosphore © Robert Combes

Il existe dans la nature beaucoup d’espèces hybrides issues du croisement de cette espèce avec d’autres espèces voisines (par exemple N. albomarginata x N. rafflesiana, N. bicalcarata x N. rafflesiana, N. clipeata x N. rafflesiana, N. gracilis x N. rafflesiana, N. hemsleyana x N. rafflesiana, etc…)

En 2014 elle a été répertoriée par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) comme étant une espèce ne présentant qu’un très faible risque d’extinction (Least Concern, LC.)

Elle a été mentionnée dans l’Appendice II de la CITES (Convention on the International Trade for Endangered Species) sur le commerce international des espèces sauvages animales et végétales comme n’étant pas véritablement menacée d’extinction mais comme risquant de l’être si elle était commercialisée de façon excessive.

Le nom du genre Nepenthes vient de l’adjectif en grec ancien “nipenthos” formé du préfixe négatif “ne” = non et du substantif “penthos” = tristesse, douleur. Cet adjectif a été employé par Homère pour désigner le breuvage dit “Nepenthes pharmakon” que Hélène, en cachette, versa dans le vin que Télémaque, le fils d’Ulysse, et Ménélas, le roi de Sparte et son époux, étaient en train de boire afin de calmer grâce à sa propriété d’effacer les souvenirs la douleur et la nostalgie dues à leur éloignement de leur pays natal.

Linné, dans son ouvrage “Species plantarum, 1753 ” appela Nepenthes distillatoria L. une plante provenant du Sri Lanka en croyant que la vue de cette merveille de la Nature lui aurait fait oublier au terme d’un long voyage les fatigues qu’il éprouva pour la découvrir.

Cette espèce, découverte à Singapour par l’Écossais William Jack (1795-1822), botaniste et médecin auprès de la Compagnie des Indes Orientales, voulut la dédier à Sir Thomas Stamford Raffles (1781-1826), militaire et administrateur colonial, fondateur de la ville de Singapour, qui, au cours de son très long séjour en Asie, éprouva une vive passion pour la flore et la faune de ces régions au point qu’il soutint au retour dans sa patrie et juste un peu avant sa mort la fondation en 1826 de la Société Zoologique de Londres.

Dans la nature Nepenthes rafflesiana peut atteindre une hauteur de 4 m, parfois 9 m ou plus. Les plantes jeunes sont entièrement recouvertes de longs poils caducs, blancs ou marron. Les plantes adultes peuvent être totalement glabres ou posséder un duvet constitué de poils courts de couleur marron.

La tige est épaisse, longue, ramifiée et recouverte, quand la plante est jeune, d’un fin duvet caduc de couleur vert clair. Les entre-noeuds sont distants d’environ 20 cm. Les vrilles peuvent avoir plus de 110 cm de long. Les feuilles, longues de 7 à 40 cm, sont alternes, lancéolées, dotées d’un pétiole amplexicaule et allongées. Elles ont un bord ondulé et une nervure centrale qui soutient les pièges (les ascidies) servant à capturer les insectes.

Les ascidies sont ordinairement de deux types. Celles du bas poussent à la surface du sol. Elles sont parfois regroupées sous forme de rosette, pubescentes, ressemblent à des ampoules et sont longues de 12 à 20 cm et larges de 5. Chez les formes les plus grandes elles parviennent à atteindre une longueur de 40 cm.

Nepenthes rafflesiana en fleur. Répandue à Bornéo, Sumatra, dans la péninsule malaise et à Singapour elle peut grimper jusqu'à plus de 9 m de haut. Elle pousse en général dans des zones ouvertes, sablonneuses et humides, du niveau de la mer jusqu'à 1200 à 1500 m

Nepenthes rafflesiana en fleur. Répandue à Bornéo, Sumatra, dans la péninsule malaise et à Singapour elle peut grimper jusqu’à plus de 9 m de haut. Elle pousse en général dans des zones ouvertes, sablonneuses et humides © Reuben C. J. Lim

Elles ont des ailes effrangées, bien formées et un ventre en général de couleur vert-jaunâtre avec des taches rouge pourpre de taille variable et une ouverture oblique légèrement rétrécie.

Le col, lisse à l’intérieur, est allongé. L’ouverture (le péristome) comporte des épines tournées vers le bas. Le couvercle empêche l’entrée de l’eau de pluie à l’intérieur de l’ascidie.

Les ascidies en partie haute, plus étroites à leur base, ont une forme conique en entonnoir et atteignent une longueur de 30 cm et 9 cm de large. Souvent attachées à des vrilles elles sont vertes ou de couleur crème ou bien presque complètement blanches avec des taches de couleur brun rougeâtre.

Leur suc digestif, très visqueux et élastique, empêche les proies de s’échapper jusqu’à ce qu’elles se noient.

On a remarqué que si la plante est en manque d’azote et de phosphore elle produit des ascidies de plus en plus petites mais plus colorées afin d’accroître la production d’anthocyanes.

En colorant des ascidies artificiellement de rouge et de vert on a constaté que les pourcentages des captures des ascidies rouges qui se forment donc dans des conditions de stress sont plus élevés que ceux des ascidies vertes parce que la couleur rouge est un signal visuel qui attire davantage les insectes.

On en déduit que la couleur rouge est un caractère adaptatif des plantes carnivores vu qu’elle augmente les pourcentages totaux des captures de proies.

Cette étude a mis en évidence le fait que les ascidies rouges sont plus efficaces car elles constituent, en plus des signaux olfactifs des nectaires, un stimulus visuel qui aide à orienter vers le piège les insectes et en particulier les diptères.

Le pouvoir d’attraction de la plante, en plus de la couleur et et des odeurs des glandes du nectar extra-floral, est aussi exercé par le péristome qui contraste avec le corps de l’ascidie et devient attirant. Ce fait est mis en évidence et s’observe dans les bandes des lumières ultra-violette, bleue et verte (respectivement 350 à 370, 430 à 470 et 490 à 540 nm).

À partir de l’analyse des ascidies supérieures et inférieures on a constaté que les proies sont différentes, ce qui laisse penser que le fait d’avoir deux ascidies fonctionnellement différentes pourrait être un avantage évolutif permettant de capturer une plus grande diversité d’insectes.

À partir d’une enquête sur le terrain on a observé que les ascidies en partie basse piègent nettement plus d’araignées (Araneae) ou d’opilionidés (Opiliones) et de fourmis de petites dimensions (Pheidole spp., Crematogaster spp., Tetramorium spp.) ou de dimensions moyennes (Nylanderia spp.). Les ascidies en partie haute piègent des blattes (Blattodea), des coléoptères (Coleoptera), des grillons ou des sauterelles (Orthoptera), des phalènes ou des papillons (Lepidoptera), des fourmis (Polyrachis spp.) et des fourmis géantes (Dinomyrmex gigas).

Il s’avère donc que chez les ascidies en partie haute les proies sont souvent de plus grandes dimensions et ont de ce fait un contenu nutritionnel plus élevé.

Détail d'une inflorescence mâle. Les filaments des étamines sont soudés en forme de colonne. Cette espèce est dioïque. Il y a donc des plantes mâles et des plantes femelles

Détail d’une inflorescence mâle. Les filaments des étamines sont soudés en forme de colonne. Cette espèce est dioïque. Il y a donc des plantes mâles et des plantes femelles © Reuben C. J. Lim

Nepenthes rafflesiana est dioïque et a des fleurs mâles et femelles qui se trouvent sur des plantes séparées. Les fleurs sont rassemblées sous forme d’inflorescences en racème longues de 15 à 50 cm qui chez les plantes géantes atteignent un mètre de long.

Les fleurs sont régulières et d’un diamètre pouvant atteindre 1,5 cm. Elles ont un périanthe formé de 4 tépales en forme de coupe servant à contenir le nectar. Elles sont réunies à leur base et rougeâtres. Les fleurs mâles ont des étamines dont les filaments sont soudés en formant une colonne et sont d’abord jaunes puis rougeâtres. Les anthères sont jaunes. Les fleurs femelles ont un ovaire supère et tétragonal. Le style n’est pas ramifié et le stigmate est pelté. La surface du stigmate est de couleur vert clair pendant environ deux semaines et devient ensuite foncé. L’ovaire contient de nombreux ovules.

La pollinisation est assurée par des mouches et des phalènes nocturnes. Le fruit est une capsule coriace, loculicide, déhiscente à quatre valves qui contiennent de nombreuses graines filiformes qui sont dispersées par le vent.

En Malaisie les racines bouillies de Nepenthes rafflesiana étaient autrefois transformées en cataplasmes qui servaient à soigner les maux d’estomac et la dysenterie. D’autre part la décoction de la tige était employée pour calmer les fièvres et la toux.

Inflorescence femelle. La pollinisation est assurée par des mouches et des phalènes de nuit. Utilisée pour des cordages et des récipients Nepenthes rafflesiana a aussi des vertus médicinales

Inflorescence femelle. Pollinisé par des mouches et phalènes de nuit, Nepenthes rafflesiana sert de cordages et de récipients et présente aussi des vertus médicinales © Reuben C. J. Lim

À Bornéo on utilisait le suc des ascidies encore fermées pour hydrater la peau, soulager les brûlures et soigner les inflammations oculaires. Avec les tiges on fabriquait des cordes ou des tissus artisanaux.

Aux Philippines les ascidies sont utilisées en guise de récipients pour boire, cuisiner et transporter de l’eau.

Autrefois, dans la communauté malaise, on avait recours à des shamans, appelés Bomoh, qui pratiquaient la médecine traditionnelle et avaient des pouvoirs surnaturels. Les ascidies de Nepenthes rafflesiana étaient utilisées pour guérir, exorciser et même faire tomber la pluie.

Nepenthes rafflesiana est une plante très répandue sous forme cultivée.

On peut la reproduire au moyen de ses graines ou par bouturage. C’est une plante peu exigeante et facile à cultiver. C’est une espèce lowland (de plaine) qui a besoin d’un terrarium où doivent être recréées les conditions des zones des basses terres tropicales avec des taux d’humidité très élevés (entre 70 et 80%) et des températures constantes de jour comme de nuit, en général entre 25 et 28°C. Cette plante doit être exposée à la lumière, même directement avec un peu de soleil mais seulement le matin ou l’après-midi .

Fruits mûrissants et ouverts. Ce sont des capsules coriaces déhiscentes à 4 valves contenant de nombreuses gaines filiformes dispersées par le vent © L. Neo (gauche)

Fruits mûrissants et ouverts. Ce sont des capsules coriaces déhiscentes à 4 valves contenant de nombreuses gaines filiformes dispersées par le vent © L. Neo (gauche) © Reuben C. J. Lim (droite)

On la cultive sur des terrains légers, pauvres et aérés tels que la tourbe et les vermiculites ou le sable siliceux et un peu de terre d’orchidée obtenue à partir d’écorce de pin. Il est conseillé d’utiliser de l’eau de pluie ou déminéralisée pour l’arrosage mais seulement après que la surface du substrat est devenue sèche. L’eau en excès ne doit pas rester dans le pot car il pourrait alors se produire des attaques fongiques. Comme pour toutes les plantes carnivores l’emploi d’engrais n’est pas généralement nécessaire mais on peut au maximum utiliser de temps en temps une petite dose d’engrais à base de sang de boeuf. Le rempotage peut aussi être effectué chaque année mais il faut veiller à ne pas abîmer les racines et les  ascidies en partie basse.

Synonymes : Nepenthes rafflesiana Jack; Nepenthes hemsleyana Macfarl.;  Nepenthes hookeriana H.Low ex Becc.; Nepenthes kookeriana H.Low; Nepenthes kookeriana H.Low ex Becc.; Nepenthes nigropurpurea (Mast.) Mast.; Nepenthes nigropurpurea Anon.; Nepenthes rafflesiana var. alata J.H.Adam & Wilcock; Nepenthes rafflesiana var. ambigua Beck; Nepenthes rafflesiana var. elongata Hort.; Nepenthes rafflesiana var. glaberrima Hook.f.; Nepenthes rafflesiana var. insignis Mast.; Nepenthes rafflesiana var. longicirrhosa Tamin & M.Hotta; Nepenthes rafflesiana var. minor Becc.; Nepenthes rafflesiana var. nigro-purpurea Mast.; Nepenthes rafflesiana var. nivea Hook.f.; Nepenthes rafflesiana var. subglandulosa J.H.Adam & Hafiza; Nepenthes sanderiana Burbidge.

 

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