Famille : Serranidae
Texte © Giuseppe Mazza
Traduction en français par Michel Olivié
Connue sous le nom de Badèche de roche ou de Mérou à nageoire jaune à cause de la partie dorée toujours présente à l’extrémité de ses nageoires pectorales Mycteroperca venenosa (Linné, 1758) appartient à la classe des Actinopterygii, les poissons aux nageoires rayonnées, à l’ordre des Perciformes, à la famille des Serranidae et à la sous-famille des Epinephelinae.
Le nom du genre Mycteroperca créé par Gill en 1862 vient de “mycterus”, narine, par référence à ses narines postérieures voyantes qui sont presque deux fois plus grandes que ses narines antérieures, et de “perca”qui est le nom employé depuis l’Antiquité et repris par Linné pour désigner la perche à laquelle il ressemble en gros.
Le nom de l’espèce venenosa, venimeuse en latin, indique que la chair de ce mérou présente très souvent un risque de ciguatera, une grave intoxication alimentaire provoquée fréquemment dans les Caraïbes par des espèces qui se nourrissent de poissons ayant accumulé dans leurs tissus la toxine produite par le dinoflagellé Gambierdiscus toxicus.
Zoogéographie
Mycteroperca venenosa vit dans l’Ouest de l’Atlantique, des Bermudes et du golfe du Mexique aux Caraïbes, puis au Sud au Venezuela et au Brésil jusqu’à San Paulo.
Écologie-Habitat
Les adultes fréquentent en général les milieux madréporiques ou rocheux entre 5 et 35 m de profondeur mais évoluent aussi à une profondeur de 2 m et peuvent descendre au-delà de 100 m, une observation ayant été faite à 137 m.
Les juvéniles grandissent en général dans les prairies sous-marines de Thalassia testudinum, une phanérogame fréquente dans les Caraïbes et connue sous le nom d’Herbe à tortue parce qu’elle est souvent broutée, en plus des poissons herbivores, par ces grands reptiles.
C’est un habitat où abondent des mollusques, des crustacés et des petits poissons et où les jeunes mérous trouvent ce qui leur est nécessaire pour se nourrir et se mettre à l’abri.
Même une fois adulte Mycteroperca venenosa est un mérou craintif qui éprouve le besoin de se cacher.
Il ne choisit pas en effet l’emplacement de son abri, en général des grottes ou des épaves, parce qu’il est favorable à la prédation mais parce que c’est un lieu sûr.
Morphophysiologie
La Badèche de roche peut atteindre 1 m de long et un poids maximum attesté de 18,5 kg mais sa taille normale est d’environ 45 cm.
La partie centrale de son corps qui est allongé et comprimé est presque rectangulaire et a la même hauteur entre la première partie de la nageoire dorsale et le début de la nageoire anale.
Le museau dépasse de beaucoup le diamètre de l’œil. Sa grande bouche qui s’ouvre d’un coup en aspirant les poissons vivants a des lèvres charnues et une mâchoire inférieure plus longue.
De nombreuses dents acérées et peu saillantes permettent de retenir les proies qui n’ont pas été avalées du premier coup.
Le pré-opercule est arrondi et comporte de légères échancrures mais n’a pas de lobe osseux saillant sur le côté.
Les écailles cténoïdes qui existent aussi à la base de la nageoire dorsale et de la nageoire anale sont rugueuses chez les juvéniles et lisses chez les adultes qui possèdent de petites écailles auxiliaires.
Elles sont beaucoup plus nombreuses sur le corps et disposées par rangées de 69 à 146 éléments tandis que la ligne latérale comporte 72 à 81 écailles.
La nageoire dorsale a 11 rayons épineux et 15 ou 16 rayons mous, la nageoire anale 3 rayons épineux et 10 à 12 rayons inermes. Les nageoires pelviennes n’ont pas d’épines et les nageoires pectorales ont 16 à 18 rayons mous.
La nageoire caudale est plus ou moins tronquée comme c’est en général le cas chez les mérous.
La livrée de Mycteroperca venenosa varie extrêmement sous l’action des chromatophores. Elle est généralement verdâtre chez les poissons qui vivent dans des eaux peu profondes et rougeâtre chez ceux qui évoluent en profondeur.
Son corps est constellé de taches foncées et ovales, plus ou moins alignées, le plus souvent noires sur le dessus et rouges du côté du ventre.
Tous ces motifs mimétiques peuvent cependant disparaître en une seconde et le poisson peut devenir uniformément gris clair sur le dessus et presque blanc au niveau du ventre et même totalement noir, une livrée qu’il adopte en général quand il a peur et veut se cacher.
Il existe un léger dimorphisme sexuel.
Les mâles, plus grands, se différencient par une tache jaune sur la mâchoire inférieure alors que cette tache est rougeâtre chez les femelles.
Au moment de la reproduction ou pour envoyer des messages à ses congénères sa tête peut devenir très claire alors que le corps est foncé mais dans toutes les versions la partie jaune des nageoires pectorales, plus ou moins brillante, reste toujours visible.
Éthologie-Biologie reproductive
Mycteroperca venenosa est une espèce hermaphrodite protogyne. Les femelles atteignent la maturité sexuelle quand elles sont longues d’environ 1,5 m et âgées de 4 à 5 ans et peuvent se transformer en mâles lorsqu’elles ont 8 ou 9 ans et une longueur de 65 à 80 cm.
La Badèche de roche se nourrit à 90 % de poissons mais aussi de calamars et si elle n’est pas pêchée ou dévorée par des requins tels que Carcharhinus perezzi, Galeocerdo cuvier ou Negaprion brevirostris elle peut vivre plus de 15 ans, voire 30 pour certaines d’entre elles. Les juvéniles sont malheureusement très souvent la proie du tristement célèbre Pterois volitans introduit imprudemment dans les Caraïbes.
La Badèche de roche mène une vie solitaire mais au moment du frai qui a lieu généralement pendant l’hiver il se forme des rassemblements plus ou moins importants qui peuvent compter jusqu’à des centaines d’individus et dans divers endroits connus des pêcheurs il se produit souvent comme pour le Mérou de Nassau (Epinephelus striatus) des massacres d’adultes.
Un des sites les plus connus est le Grammanik Bank, un étroit replat long d’environ 100 m et à 25 m de profondeur situé au Sud de St-Thomas dans les îles Vierges britanniques.
Ce rassemblement a lieu généralement quelques jours après la pleine lune. Les mâles à la tête blanche émettent des sons à basse fréquence pour se faire remarquer par les femelles. La fécondation s’effectue à la surface. Les œufs, confiés aux courants, éclosent 24 heures après. Les larves planctoniques rejoignent les fonds une semaine ou deux mois après la naissance suivant les secteurs.
La couleur des alevins tend vers le rouge et comporte des taches claires qui deviennent plus foncées avec le temps.
La résilience de Mycteroperca venenosa est faible, le temps minimal nécessaire au doublement de ses effectifs étant de 4,4 à 14 ans.
Sa vulnérabilité à la pêche est élevée et s’établit à 62 sur une échelle de 100. Ses populations sont en net déclin, la perte globale de ses effectifs étant d’au moins 30 % de 1980 à nos jours.
Cette espèce figure donc en tant que “NT, Near Threatened”, c’est-à-dire “Presque menacée” dans la Liste Rouge de l’UICN des espèces en danger.
Synonymes
Bonaci cardenal Parra, 1787; Perca venenosa Linnaeus, 1758; Trisotropis venenosus (Linnaeus, 1758); Bodianus apua Bloch, 1790; Johnius guttatus Bloch & Schneider, 1801; Bodianus marginatus Bloch & Schneider, 1801; Serranus cardinalis Valenciennes, 1828; Serranus rupestris Valenciennes, 1833; Serranus petrosus Poey, 1860; Mycteroperca bowersi Evermann & Marsh, 1900.