Famille : Mycteria leucocephala
Texte © Dr. Gianfranco Colombo
Traduction en français par Catherine Collin
Le Tantale indien (Mycteria leucocephala Pennant, 1769) appartient à l’ordre Ciconiiformes et à la famille Ciconiidae. Il est l’homologue asiatique du Tantale ibis (Mycteria ibis).
Excepté par de petits détails uniquement observables de près et par des spécialistes connaissant parfaitement les deux espèces, il serait assez difficile de pouvoir les distinguer au sol. Même livrée, même comportement, même taille, mêmes habitats. S’ils ne vivaient sur des continents différents, le problème se compliquerait grandement mais quelques milliers de kilomètres de distance sont suffisants pour permettre de différencier ces deux espèces et on n’a jamais vu de superposition de leurs territoires.
Il n’est pas difficile d’imaginer pourquoi cette cigogne a communément été appelée bariolée ou colorée. Habitués au traditionnel habit noir et blanc de nos cigognes et de tant d’autres à travers le monde, les explorateurs occidentaux de l’époque, au premier contact avec ces oiseaux, n’ont pu faire autrement que de remarquer ses caractéristiques les plus évidentes.
Si l’on considère que le Tantale indien est une espèce qui a toujours été en contact avec l’homme, jusqu’à pratiquement vivre parmi les populations, aussi bien rurales que citadines, cette particularité n’est certainement pas passée inaperçue.
Tous ses noms vulgaires font référence à son appartenance au monde indien et certains à ses couleurs. En anglais Painted Stork, Indian wood stork, rosy wood ibis, en allemand Buntstorch, en espagnol Tántalo Indio, en italien Tantalo variopinto et en portugais Tântalo-indiano.
Comme on peut le remarquer avec les différents noms européens, y compris l’italien, on le nomme Tantale. Ceci fait référence au personnage de la mythologie grecque condamné à un tourment éternel par les Dieux de l’Olympe pour leur avoir dérobé le nectar et l’ambroisie dont ils se nourrissaient. Cette référence a aussi mené à l’acceptation d’un néologisme très utilisé dans le monde anglo-saxon, “to tantalize”, pour rappeler un long et pénible tourment. Mais que vient faire le tourment avec notre oiseau ? Peut-être est-ce en rapport avec la torture ou plutôt la pression obsessionnelle montré par le petit envers ses parents pour obtenir de la nourriture.
Le nom de genre Mycteria vient du grec “mukterizo” = nez, tirer le nez vers le haut, retrousser, pour le gros bec dont il est doté et le nom d’espèce leucocephala de “leukos” = blanc et kephalos = tête pour ses caractéristiques, même si la tête montre une couverture rouge parfois bien plus marquée que chez son congénère Mycteria ibis.
Zoogéographie
Le Tantale indien vit dans le sous-continent indien occupant de façon systématique tout le territoire délimité par la vallée de l’Indus et par la chaîne himalayenne ainsi que du Bangladesh jusqu’à une grande partie du Sri Lanka. Étrangement il est absent de la région du Kerala où pourtant l’environnement est bien plus adapté à sa présence que d’autres territoires occupés. Il est aussi présent au Cambodge et sur la façade littorale de la Chine, de la Mandchourie jusqu’au nord du Vietnam. Il en existe également une petite colonie en Malaisie, à proximité de Kuala Lumpur. Il est présent dans les parcs zoologiques de Singapour et de Bangkok. Sa présence au parc zoologique de New Delhi, où il y en a une très importante colonie depuis des décennies, démontre la grande sociabilité dont cette cigogne a toujours fait preuve envers l’homme.
Ce tantale est sédentaire et n’est sujet qu’à de brefs déplacements, toujours à l’intérieur du territoire occupé, liés à la situation météorologique ou à la nidification.
Les jeunes, eux, sont sujets à un erratisme qui les porte à divaguer, jamais sur de longues distances, dans la même aire jusqu’à ce qu’ils atteignent leur maturité. A ce moment, ils cessent de vagabonder et s’installent définitivement sur le territoire choisi.
Dans certaines aires de l’extrême sud-est asiatique, il cohabite avec le Tantale blanc (Mycteria cinerea) un congénère assez semblable avec lequel on a remarqué une hybridation. Hors du continent asiatique vivent deux autres espèces assez semblables : le Tantale d’Amérique (Mycteria americana) d’Amérique et le Tantale ibis (Mycteria ibis) d’Afrique.
Ecologie-Habitat
Le Tantale indien vit en étroit contact avec l’eau et c’est pourquoi il est impossible de le rencontrer dans des aires prédésertiques ou totalement privées de marais ou de cours d’eau, pas plus que dans des forêts denses ou des aires grandement arborées ni même des zones de collines et de montagnes.
C’est un oiseau typique des plaines inondées, avec des bosquets isolés de grands arbres où se reposer ou nicher, si possible sans une importante couverture de roseaux. On le voit souvent chasser le long des côtes.
Moins spécialisée que le Tantale ibis sur le type d’habitat, cette cigogne s’adapte à n’importe quel milieu pourvu qu’il soit riche en plans d’eau, marais, lacs ou en cours d’eau ou trouver sa nourriture.
Morpho-physiologie
Comme le dit son nom commun italien, Le Tantale indien est une cigogne qui présente une livrée très colorée et voyante. Bien que de loin son plumage semble être noir et blanc, dès que l’on s’approche ou qu’on observe plus attentivement sa livrée, on découvre une variété de couleurs d’une grande délicatesse, montrant des nuances très raffinées. Le corps et le dos sont entièrement blanc poudré d’un léger ton rose qui s’accentue notablement sur la queue jusqu’à colorer d’un rose très soutenu la partie terminale des couvertures secondaires.
Les couvertures primaires et la queue sont totalement noir-verdâtre et sont mises en évidence quand il vole, aussi bien sur le dessus que sur le dessous de l’aile qui paraît donc totalement noirâtre. Sur la partie supérieure de l’aile, court une bande blanche qui couvre les rémiges noires et qui forme un contraste supplémentaire accentué quand il vole. Les couvertures primaires bien que noires de base sont elles aussi traversées par une fine ligne de pointillés blancs, alignés jusqu’à former de nombreuses rides parallèles courant sur tout le long de l’aile.
La poitrine blanche est elle aussi traversée d’une large bande noire saupoudrée de pointillés de plumes blanchâtres qui forment un collier uni sur la poitrine, caractéristique qui le distingue de l’espèce africaine qui, elle, a la poitrine totalement immaculée.
Ses pattes sont rougeâtres et sont le pendant de la tête qui présente une partie faciale nue qui devient presque rouge carmin durant la période nuptiale. Son congénère le tantale africain lui aussi montre cette partie très colorée, mais alors que celle du Tantale indien monte sur le front jusqu’à couvrir la moitié de la tête, celle du Tantale ibis est généralement plus réduite et n’arrive habituellement qu’à peine sur la ligne des yeux.
Le bec est massif, conique, assez long et jaune vif, légèrement arqué vers le bout. Les yeux montrent un iris ocré et présentent un anneau périocculaire jaunâtre. Les juvéniles sont totalement différents des adultes et ont une livrée brun-grisâtre sur tout le corps.
C’est un oiseau de grande taille. Il a un corps long de 100 cm, pèse plus de 3 kg et son envergure dépasse 150 cm.
Ethologie-Biologie reproductive
Lorsqu’il recherche de la nourriture, le Tantale indien applique une technique assez spectaculaire. Se déplaçant lentement dans l’eau il y plonge presqu’entièrement son bec massif, tenant partiellement ouvertes les deux mandibules, les déplaçant en zigzag jusqu’à ce qu’il touche un petit poisson ou un amphibien, il referme alors son bec prenant au piège la proie. Une rapidité incroyable doublée d’une sensibilité hors norme.
Le Tantale indien se nourrit principalement de petits poissons, d’amphibiens, de crustacés, de vers mais aussi de petits animaux terrestres et de jeunes oiseaux. Cette cigogne est souvent l’objet de prélèvements de la part des populations rurales soit pour la consommation familiale mais aussi à fins commerciales.
C’est un oiseau extrêmement sociable qui passe toute sa vie parmi ses semblables, en groupes parfois importants surtout durant la nidification. Il est difficile de l’observer seul que ce soit durant la recherche de nourriture ou durant le vol commun sur les thermiques survolant leur territoire, moment important dans leur vie sociale. L’espèce est monogame mais le couple peut varier chaque saison. Le mâle effectue la parade nuptiale directement sur l’arbre où il a décidé de faire son nid. Ce ne sont que voltiges et caquetages, souvent accomplis avec un rameau sec dans le bec ou en se lissant les plumes des ailes dans un élan fébrile, comme s’il voulait montrer par le soin qu’il montre envers son plumage, l’attention qu’il montrera pour la nichée.
Il choisit de grands arbres avec une large cime où la colonie bâtira des nids qui dureront, rénovés, de nombreuses années, parfois jusqu’à la mort de l’arbre. L’assiduité à fréquenter les mêmes lieux montrée par cet oiseau l’a conduit à la formation de colonies durables même dans des lieux inimaginables comme au centre de ville surpeuplées.
Comme ses congénères, cette cigogne pond de 2 à 4 œufs blanchâtres couvés par les deux parents pendant environ 30 jours. Les œufs sont pondus espacés, les naissances se trouvent donc progressives, ce qui induit la présence dans le même nid de poussins d’âges divers provoquant parfois, en cas de carence en nourriture, le dépérissement et la mort des plus faibles.
La nourriture ramenée par les parents est régurgitée dans le nid au pieds des petits, de façon à ce qu’ils apprennent à se nourrir seuls mais quand il s’agit de l’eau pour rafraîchir ou se désaltérer celle-ci est directement versée dans la gorge des poussins.
Il est habituel pour ces cigognes d’uriner sur leurs pattes afin de se les rafraîchir lors de fortes chaleurs car le nid est exposé toute la journée au soleil des tropiques. Pour cette raison, on voit souvent des ciconiidés ayant les pattes très blanches. Les petits prennent leur envol à 8 semaines mais restent avec leurs parents pendant quelque temps encore même s’ils sont capables de trouver leur nourriture eux-mêmes. La maturité est atteinte vers la troisième année. L’espèce a une espérance de vie qui dépasse les 20 ans et n’est pas menacée.
Synonyme
Tantalus leucocephalus Pennant, 1769.
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