Texte © Giuseppe Mazza
Tranduction en français par Henri Paulin De Feutcha
Quand les hommes préhistoriques étaient en difficulté, quand ils se sentaient en danger devant les forces de la nature, leur seul et unique recours était l’homme.
Trouver un de leurs semblables aux alentours, pouvait souvent vouloir dire être sauvé.
Pour cette raison, même maintenant, il nous arrive, instinctivement, de percevoir un visage dans les nuages, ou dans le profil d’une montagne.
Au Moyen Âge, il y avait plus de temps pour réfléchir. On observait d’avantage, et très d’attentifs aux formes de la nature, comparées à l’homme. Une “théorie des signes” a même vu le jour .
Le Bon Dieu voulait l’homme avec des signes ; et donc si la graine d’une noix avait la forme d’un cerveau, ce fruit était destiné à traiter les maux de tête ; si la feuille de la pulmonaire, avec ses points, rappelait un poumon, les médecins l’utilisaient pour les maladies pulmonaires ; et comme l’arbre de saule pousse avec ses racines dans l’eau, son écorce était un bon remède pour les rhumes.
Vous pouvez donc vous imaginer, avec cette mentalité, quel genre de réaction se produisit à la vue de la première noix de coco à deux lobes en provenance des Seychelles au début du seizième siècle.
Elle reproduisait à la perfection, comme par hasard, l’anatomie féminine. La région pelvien- ne. L’origine de la vie.
Le “Coco fesses”, tel est le nom qu’on leur attribua dès le début, avait certainement des pouvoirs magiques, un remède contre tous les poisons, et des pouvoirs aphrodisiaques … pour le moins visuels.
Viens voir ma collection de “Coco fesses”, pouvaient dire les puissants aux belles courtisanes, et ainsi le prix de ces grosses graines n’avait pas de limite.
On ne savait même pas d’où elles venaient.
Les voiliers qui naviguaient sur la route des Indes en ramenaient parfois et les marins racontaient qu’elles étaient ramassées en pleine mer.
D’où aussi le nom de “Cocos de mer”, et la croyance qu’ils naissaient d’un arbre mysté- rieux s’élevant, comme une algue, au fond de l’océan.
Et vu que, flottant ou tombant d’un navire des commerçants, un fruit avait été trouvé entre les vagues des îles des Maldives, en 1750, Rumphius, le premier botaniste à étudier la plante, lui donna le nom de Cocus maldivica .
Les vrais arbres furent découverts seulement plus tard, en 1768, à Curieuse et Praslin, pendant l’exploration française des Seychelles.
En 1801, le botaniste Français J. J. de La Billardière en fit une description précise à l’Académie des Sciences à Paris et lui donna à raison le nom géographiquement plus approprié de Lodoicea seychellarum .
Mais, c’est trop tard.
En 1917, conformément aux conventions internationales de la nomenclature scientifique, qui donnent priorité aux noms les plus anciens, la plante est définitivement étiquetée comme Lodoicea maldivica .
De nos jours, mis à part quelques spécimens sur l’île adjacente de Curieuse, où j’ai réalisé le reportage sur les → Tortues géantes des Seychelles, toute la population mondiale de cette espèce est concentrée dans Vallée de Mai, dans une surface de 19.5 hectares seulement, dans île de Praslin.
Une forêt imposante, peuplée presque exclusivement par des palmiers, déclarée patrimoine mondial de l’humanité par l’ UNESCO depuis 1983.
M. Lindsay Ching-seng, un natu- raliste local, qui a écrit un livre sur ces palmiers, nous guide sur un petit sentier bien aménagé.
“Se promener ici” il m’explique “c’est pour un botaniste comme faire un voyage dans le passé, et rencontrer de nos jours des colo- nies vivantes de dinosaures”.
Les rochers granitiques, polis par le temps, que nous voyons autour ont 650 millions d’années.
Elles sont parmi le plus anciennes de la planète et datent du pré- cambrien, quand ces terres éta- ient unies à l’Afrique et à l’Inde, et formaient le grand continent du Gondwana.
Le vent frappe les unes contre les autres des feuilles énormes , avec un bruit métallique.
Elles ont toutes des grandes nervures dirigées vers la tige, pour ramener le maximum possible d’eau pluviale aux racines.
“Celles des jeunes plantes”, continue Lindsay, “atteignent même 14 m de longueur, mais dans les plantes adultes, leur taille devient plus raisonnable, car autrement, l’arbre tomberait sous le vent”.
Il me montre une sorte d’énorme “passoire” au sol.
C’est la base d’un vieux tronc. Et dans les trous qu’on voit, passaient d’innombrables fibres permettant à l’arbre d’onduler sans risque, comme sur rotule.
Pendant les 15 premières années de la vie, les Cocos de mer n’ont pas de tronc. Celui-ci se forme et pousse très lentement en 2-4 siècles. Il peut atteindre 24 m de hauteur chez les femelles, et 30 chez les mâles. Le Lodoicea maldivica est en effet une espèce dioïque, avec les sexes séparés sur des plantes différentes.
Dans la Vallée de Mai il y a actuellement environs 7.000 pieds, avec 200 mâles adultes et 800 femelles. “Les autres”, sourit Lindsay, “sont encore trop jeunes pour nous le dire”.
La maturité sexuelle est très variable. Généralement, il faut 20-40 ans pour que la plante porte son premier fruit, mais quand la nourriture est insuffisante, comme dans certaines zones de la forêt, même 50 années ne sont pas suffisantes.
Par contre, dans le Jardin Botanique de Victoria, un Coco de mer bien nourri, en plein soleil, avait déjà porté ses premiers noix de coco à 11 ans, et produit actellement, sans cesse, des énormes fruits avec plusieurs graines.
Les fruits ont normalement la forme d’un “cœur” avec une seule noix.
Ils prennent 6-7 ans pour mûrir, et en général une plante peut porter en même temps 30-45 noix à différents stades de maturation.
Entre neuf mois et un an après la fécondation, leur taille est presque définitive. A l’intérieur de la graine, pas encore formée, il y a une sorte de gelée translucide, comestible.
Dessert savoureux pour milliardaires, ou visiteurs importants, étant donné que le prix d’un seul fruit dépasse les 300 euros.
Puis la gelée se densifie et remplit toute la noix devenant solide comme de l’ivoire.
Et avec ses 20 kg de poids, la graine du Coco fesse est sans doute la plus grande du monde végétal.
“A la Vallée de Mai”, continue Lindsay, “on récolte 12.000 noix par an.”
Mais ce n’est pas suffisant pour répondre à la demande des touristes. 130.000 visiteurs, chaque année, friand de remporter chez eux, comme souvenir, cette graine impressionnante.
Il n’y a pas de noix identiques. Les courbes, plus ou moins provocantes, varient suivant la graine, et si à la maison il n’y a pas beaucoup de place, on peut choisir des jumeaux ou des triplets qui sont plus petits.
Pour les rendre transportables, et éviter la reproduction illégale hors de l’île, les graines sont coupées entre les deux lobes, vidées avec patience, et recollées avec soin.
Dans les magasins on peut trouver des versions pour tous les goûts. Celle “naturelle” pour des botanistes, ou la noix épluchée est simplement lavée et nettoyée; et celle “élaborée” , avec la coque polie ou vernie, sans parler des poils qu’on ajoute souvent au bon endroit pour les rendre plus sexy.
L’interieur, l’ivoire végétal, est encore envoyé de nos jours aux Indes, pour ses prétendues propriétés aphrodisiaques, ou utilisé comme matière première de créations artistiques.
Etant donné qu’il se casse facilement sur le plan horizontal, il se prête bien par exemple, à la fabrication des pièces de dominos.
L’inflorescence phallique des plantes mâles n’est pas moins étonnante.
Elle naît inclinée, puis elle se lève en s’allongeant jusque 2 m pour montrer sur les côtés de petites fleurs jaunes, riches en nectar sucré et pollen. Après environ 6 mois, avec l’âge, elle s’incline à nouveau et se réduit de taille en séchant.
Rien d’étonnant donc, si en 1881, le très sérieux Général Charles Gordon, en visite à la Vallée de Mai, ait élaboré une théorie plutôt imaginative selon laquelle l’île de Praslin avait été le berceau de l’humanité, le fameux Paradis Terrestre.
Nos ancêtres Adam et Eve avaient certainement vécu ici.
Et avec un fruit à forme de cœur, cette étrange inflorescence, et la graine aux formes interdites, le Lodoicea maldivica était sans doute, l’arbre du bien et du mal. Heureusement que le Général Charles Gordon n’était pas un botaniste curieux, et qu’il n’avait pas sous la main, comme moi, une échelle de 5 m, car il aurait été bien plus scandalisé.
En observant de près les jeunes inflorescences femelles, on découvre en effet des étranges boules disposées en zigzag qui ressemble de façon troublante à des seins avec mamelon.
Je cris à Lindsay et à mon épouse Giusy, de bien tenir l’échelle, car je vais me pencher dangereusement entre les feuilles, pour mieux voir la structure.
À la différence des mâles, les inflorescences femelles ont très peu de fleurs. Dans mon cas, pour le moment, il y en a sept. Elles sont logées dans des coupes formées par des bractées superposées.
Ce que je recherchais, le stigmate, l’organe féminin des fleurs, se trouvant au centre d’une coupe, perforée par sa pointe orange.
“Vous avez eu beaucoup de chance de le voir”, m’explique Lindsay, “parce qu’il ne fait surface que pour quelques heures, juste le temps du mariage”.
Puis, le jour suivant, il flétrit.
Je monte sur l’objectifs, tous les bagues allonge disponibles pour photographier à taille doble du naturel sur le capteur ce rare “mamelon”.
Comme beaucoup de stigmates, il est glutineux et émane le même doux parfum des fleurs mâles.
“Sur une inflorescence”, continue Lindsay, “en général 3 ou 5 seulement sont fécondés.”
A différence d’autres palmiers, pollinisés par le vent, le Lodoicea maldivica utilise une stratégie mixte.
D’un côté, la production exagérée de pollen, et le fait que les plantes mâles sont plus hautes que les femelles, font penser à une pollinisation anémophile. Mais d’autre part la couleur très voyante du stigmate et des petites fleurs étoilées, le nectar copieux et le doux parfum, montrent un évident intérêt pour le monde animal.
En effet pendant mes prises de vues photos, des nombreux diptères et abeilles bourdonnaient autour de moi. Et nous avons également vu quelques reptiles.
Pendant le jour, il est facile de rencontrer les geckos verts (Phelsuma sp. ) léchant le nectar qui sort à la base des anthères, ou étourdis par le parfum des inflorescences allongé au soleil qui filtre entre les branches.
Dans la nuit, est de ronde le Gecko bronzé (Ailuronyx trachygaster), plus corpulent avec des grandes pattes qui semblent faites exprès pour la pollinisation.
En vue de la propagation de l’espèce, on peut se demander aussi à quoi sert des fruits si gros et lourdes.
Ils sont ronds, et comme dit Lindsay, quand ils tombent de 10-20 m de hauteur, peuvent rouler à une bonne distance, surtout quand le terrain est en pente comme dans la forêt de la Vallée de Mai.
Mais le fait qu’ils accumulent des kilos et des kilos de réserves pour traverser l’océan, et coloniser en flottant d’autres îles, est pure invention.
En effet s’ils tombent à la mer les fruits du Lodoicea maldivica sont si lourds, qu’ils vont immédiatement au fond comme une pierre.
Seulement quelques graines, déjà partiellement décomposées, pourront peut-être flotter, mais n’iront certainement pas bien loin.
Par contre, la plante donne preuve de prudence et de prévoyance dans la stratégie germinative.
Trois ou six mois après que le fruit soit tombé, l’écorce se décompose.
D’une fissure entre les deux lobes sort une étrange pousse, elle aussi plutôt phallique, avec un bout épaissi à forme de lance qui contient le bourgeon.
Elle peut s’enfoncer de suite dans le sous-sol comme dans la photo à droite, ou ramper comme un serpent, même pour une dizaine de mètres, contournant les grosses masses granitiques jusque ce qu’elle trouve un terrain fertile avec une épaisseur d’au moins 60 cm.
C’est le moment de s’arrêter et de s’enraciner, même très loin de l’endroit où la graine est tombée.
Il faut attendre une année, pour voir la première feuille sortir du sol, et encore deux ans avant que soient complètement épuisées les réserves de nourriture que la maman Cocos fesses a accumulées patiemment dans la graine pendant sept ans.
C’est alors que le cordon ombilical peut disparaître, la forêt peut se réjouir d’un nouvel arbre.
En plus du Lodoicea maldivica la forêt de Vallée de Mai, abrite six espèces de palmiers primitifs endémiques des Seychelles.
Le charmant Nephrosperma vanhoutteanum , que nous voyons à gauche, près d’une jeune Deckenia nobilis , porte le joli nom créole de Latannyen milpat. Beaucoup plus petit que les Cocos de mer, montre des feuilles découpées en d’innom- brables “petites pattes”, et produit de petits fruits rouges.
Le jeune Phoenicophorium borsigianum , Latannyen fey, en haut à droite de la photo, est le palmier le plus commun des Seychelles. Ses grandes feuilles solides sont traditionnellement utilisées pour couvrir des toits.
Le Verschaffeltia splendi- da , en créole Latannyen lat, pousse près des ruisseaux, dans les endroits les plus humides du parc.
Une fois adulte, on le reconnaît de suite par ses spectaculaires racines disposées en pyramide autour du tronc comme pour le soutenir.
Les feuilles des jeunes plantes, arrondies, sont très décoratives et créent des jeux de lumières magiques dans le sous bois.
Mais la ” perle rare ” de la Vallée de Mai est le Roscheria melanochaetes .
Il a un tronc très mince et peu de feuilles profondément découpées
La forêt abrite seulement deux ou trois jeunes exemplaires, qui passent inaperçus au regard expéditif des touristes, en raison de leur petite taille.
Le Palmis (Deckenia nobilis), au contraire, se fait remarquer de suite par ses grands étuis jaunes voyantes, qui s’ouvrent comme des cosses, et tombent, le long des sentiers, on sait pas d’où.
A première vue, en effet, on arrive pas à voir le sommet de l’arbre, avec ses belles feuilles qui ondulent au vent, car avec ses 40 m de hauteur dépasse largement la voûte des feuilles de Coco fesses.
A la jonction des feuilles, placée comme une couronne autour du tronc, ces grands étuis épineux protègent les jeunes inflorescences et tombent dès que l’inflorescence se déplie.
On ne sait pas bien quel est le rôle des épines. Peut être était il une forme de défense contre les animaux qui aujourd’hui ont disparu.
En général, à part le Lodoicea maldivica , on remarque que tous ces palmiers endémiques ont des feuilles et des troncs épineux dans leur jeunesse.
Probablement, c’était pour les protéger de la voracité des tortues géantes qu’il y a seulement quelques siècles étaient des maîtres incontestés de l’île.
Puis l’homme arriva, et même la pauvre Deckenia nobilis , malgré ses épines, a aujourd’hui des problèmes , car ses bourgeons sont très savoureux, et ont déjà reçu l’appellation “salade de milliardaires”.
La forêt elle-même est en danger.
Après avoir fait face à des millénaires, dans sa splendide solitude , autour des années 1930, elle a été achetée par un particulier, comme résidence secondaire avec un grand jardin enrichi d’arbres fruitiers et d’ornements exotiques.
En 1948, elle a été rachetée par le gouvernement, étant nécessaire pour le projet de collecte d’eau à Praslin, et déclarée réserve naturelle en 1966. Mais c’était trop tard, les dommages étant déjà faits.
Les noix de muscade, les vanilles, et les philodendrons avaient envahi les lieux, sans parler de nombreux palmiers exotiques, qui avaient été introduits par le propriétaire pour créer une sorte de jardin botanique. De nos jours, les la plupart des envahisseurs ont été arrachées. Mais beaucoup d’espèces étrangères ont désormais dispersé leurs graines, et la lutte contre des épiphytes paraît très difficile.
Les communs philodendrons, qui dans nos maisons européennes ont des difficultés à survivre, attachés à leurs tuteurs moussus, ici grandissent à vue d’œil, en étouffant les troncs des plantes. Et si on les arrache, il y a toujours un petit fragment de racine ou de feuille, quelque part là-haut, entre les branches, qui régénère toute la plante.
Il y a enfin le risque d’incendie. Si on pense que la presque totalité de Cocos de mer est concentrée dans cette petite bande de terre, le risque pour l’espèce est extrêmement élevé.
En 1990, le feu avait déjà avalé une grande partie de la forêt, et on ne peut pas enlever les feuilles mortes au sol, car elles le protègent de l’érosion des eaux pluviales et gardent l’humide nécessaire pour la création de l’humus.
On a donc créé, autour de ce bijou vert, une bande déboisée de terre nue pour couper le feu, mais comme pour notre planète, on vit ici tous les jours sur le bord du rasoir.
Texte et photos de Giuseppe Mazza
– 2008 –