Famille : Hydridae
Texte © Prof. Giorgio Venturini
Traduction en français par Michel Olivié
La première description de l’hydre (Hydra vulgaris Pallas 1766), phyllum Cnidaria, classe Hydrozoa, famille Hydridae, est à attribuer probablement au microscopiste hollandais Antoni van Leewenhoek (1702-1703) mais l’étude la plus poussée et la plus complète est certainement celle du suisse Abraham Trembley 1744 qui a décrit de façon approfondie la morphologie, les extraordinaires capacités régénératives et les mécanismes de locomotion de cet animal.
Trembley a consacré la plus grande partie de ses observations à l’hydre verte (Hydra viridissima) et a reconnu son appartenance au règne animal. Pendant ses expériences sur la régénération Trembley a obtenu un exemplaire à sept têtes qu’il baptisa “Hydra” en souvenir de l’hydre de Lerne, ce monstre mythologique aux nombreuses têtes (neuf selon la plupart des versions) qui était capable de les régénérer quand elles étaient coupées et qu’Héraclès affronta et tua lors du second de ses célèbres “travaux” (pour cela Héraclès, aidé de son neveu Iolaos, recourut à un subterfuge déloyal : il coupa les têtes de l’hydre et Iolaos referma les plaies avec une torche).
L’analogie entre le monstre mythologique et notre hydre va plus loin. L’hydre de Lerne était très venimeuse : son haleine était mortelle et son sang fut utilisé par Héraclès pour empoisonner ses flèches (et par Déjanire pour empoisonner la célèbre tunique – la tunique de Nessus – qui causa finalement la mort d’Héraclès). Tout aussi venimeuse est la piqûre des cellules urticantes de l’hydre qui sont capables de paralyser en quelques instants des proies bien plus grandes que l’hydre elle-même. Sur la base des observations de Trembley et du nom de “hydre” qu’il avait donné à son exemplaire Linné en 1758 attribua au genre le nom de Hydra. “Hydra”, en grec “idra” (ὕδρα) veut dire serpent d’eau, de “udor” (ὕδωρ) = eau alors que les noms donnés aux cnidaires et aux organes qui leur sont associés, les cnidocytes et les cnidocystes viennent de “cnidé” (κνιδη), qui veut dire ortie.
Zoogéographie
Le genre Hydra est répandu dans les eaux douces des zones tempérées et tropicales de tous les continents. Le groupe Hydra vulgaris vulgaris comprend de nombreuses espèces et sous-espèces qu’il est difficile de distinguer et qui sont présentes sur tous les continents.
Habitat
L’hydre vit dans les eaux pures et bien oxygénées de mares, d’étangs et aussi de sources. En Italie l’espèce est relativement commune bien que la pollution ait fortement réduit sa présence. Malgré sa grande diffusion l’hydre est très difficile à observer dans la nature en raison du fait qu’elle s’accroche en général à la végétation aquatique. Ses petites dimensions et le fait que, quand elle est dérangée, elle se contracte et réduit encore plus sa taille font qu’il est très difficile de la repérer.
En Italie, en plus de Hydra vulgaris on trouve Hydra oligactis (Pallas 1766) et l’hydre verte (Hydra viridissima, Pallas 1766 synonymes : Chlorohydra vividissima Pallas 1766 et Hydra viridis Linnaeus 1767). Cette dernière espèce est très intéressante car elle coexiste dans une symbiose forcée avec une algue verte unicellulaire du genre Chlorella. Les algues sont logées à l’intérieur des cellules du gastroderme. Les substances nutritives que l’hydre extrait du symbiote contribuent fortement à son métabolisme ce qui fait que cette espèce est un prédateur moins vorace et que ses nématocystes sont plus petits que ceux des espèces non symbiotiques. Les prédateurs de l’hydre se composent de plathelminthes, de crustacés et d’insectes aquatiques.
Morphologie et physiologie
L’hydre est un petit polype d’eau douce qui a un corps tubulaire long d’environ 10 mm quand il est relâché et une “tête”, appelée hypostome, dotée d’un nombre variable de tentacules (jusqu’à 12, le plus souvent 5 ou 7). La bouche s’ouvre au centre de l’hypostome. Fortement extensible, elle conduit au coelenteron, la cavité qui occupe toute la longueur du corps et qui a une fonction digestive. Les proies ingérées et les résidus de la digestion passent par l’hypostome qui est la seule ouverture. L’extrémité inférieure du corps, le “pied”, produit une sécrétion adhésive qui permet son accrochage au support. Le corps ainsi que les tentacules sont constitués seulement de deux couches de cellules (c’est un organisme diploblastique), l’ectoderme pour la partie externe et le gastroderme pour la partie interne, qui sont séparées par une couche gélatineuse non cellulaire appelée mésoglée. Le gastroderme est riche en cellules glandulaires qui produisent des enzymes digestives qui se déversent dans la cavité gastrique. L’ectoderme contient des cellules myoépithéliales qui ont pour fonction le revêtement épithélial et la contraction, des cellules nerveuses et les cellules urticantes caractéristiques du phyllum Cnidaria, les nématocytes ou cnidocytes. Les nématocytes sont particulièrement abondants dans les tentacules où ils sont rassemblés en formant des groupes désignés sous le nom de “cellules en batterie”. Les nématocytes contiennent les petits organes urticants appelés nématocystes ou cnidocystes. Les tentacules sont extrêmement mobiles et extensibles. Quand ils sont contractés ils semblent être de petites protubérances de la tête alors que, quand ils sont relâchés, ils peuvent atteindre une longueur égale à cinq fois la longueur du corps.
Système nerveux
L’hydre possède le système nerveux le plus simple du monde animal. Il se présente sous la forme d’un réseau clairsemé de neurones répandu sur tout le corps sans qu’il y ait ni cerveau ni ganglions. Autour de l’ouverture de l’hypostome il existe un anneau de cellules nerveuses. Malgré son extrême simplicité anatomique le système nerveux de l’hydre est constitué de neurones comparables sur le plan fonctionnel à ceux des vertébrés.
De plus le système de transmission des influx nerveux de cellule à cellule utilise les mêmes mécanismes opératoires que ceux d’ organismes plus complexes et le mécanisme moléculaire des synapses utilise une grande partie des neurotransmetteurs et des neuromodulateurs connus chez les mammifères.
Locomotion
L’hydre utilise trois méthodes différentes pour sa locomotion.
La première, décrite avec précision par Trembley, consiste en une série de pirouettes. Tout en gardant son pied accroché au substrat l’hydre recourbe son corps jusqu’à ce qu’elle touche un support avec ses tentacules. Elle relâche alors son pied, effectue un tour complet avec son corps et accroche à nouveau son pied plus en avant avant enfin de relâcher ses tentacules. Cette manœuvre se répète sous forme d’une succession de pirouettes.
Un second procédé consiste pour l’hydre à accrocher ses tentacules au substrat et à relâcher son pied. L’hydre avance alors ses tentacules dont elle se sert comme s’il s’agissait de jambes.
Le troisième procédé est la flottaison qui est rendue possible par le fait que le pied de l’hydre a la capacité de secréter une petite bulle de gaz qui reste fixée au pied et sert de flotteur. L’hydre est alors transportée par les courants.
Il semblerait que le mécanisme permettant la production de la bulle de gaz soit analogue à celui utilisé par un autre cnidaire, la galère portugaise (Physalia physalis), pour gonfler son ballon de flottaison.
L’alimentation et la capture des proies
L’hydre est un prédateur performant qui se nourrit surtout de petits crustacés comme Daphnia ou Cyclops. En captivité on peut l’alimenter facilement avec des larves nauplius d’ Artemia salina.
La capture des proies, qui sont souvent plus grandes que le chasseur, est assurée par les nématocystes des tentacules. Quand la proie effleure un cil sensoriel (le cnidocil) qui sort de la cellule urticante, le nématocyte (ou cnidocyte) déclenche l’éclatement des nématocystes.
Il existe différents types de nématocystes mais celui qui détient le rôle clé est le nématocyste pénétrant ou sthénothèle. Celui-ci est doté d’un dard pointu formé de la réunion de trois stylets qui est projeté à une très grande vitesse et perfore les téguments de la proie. Les trois stylets se replient ensuite à l’extérieur et du nématocyste jaillit un long tube qui libère dans le corps de la victime un cocktail de toxines qui paralysent rapidement la proie.
Les toxines des nématocystes de l’hydre sont semblables à celles des cuboméduses mortelles australiennes (Chironex fleckeri). D’autres types de nématocystes présents dans la cellule en batterie aident à capturer les proies. Les tentacules effectuent alors une série de mouvements afin de transporter la proie encore vivante jusqu’à l’hypostome qui procédera à son ingestion. Souvent, quand la proie est grande et résistante comme une Daphnia, qui est dotée elle aussi d’appendices chitineux pointus, l’ingestion est très laborieuse et parfois les parois du corps de l’hydre sont perforées sans qu’il en résulte de dommages définitifs étant donné sa capacité régénérative.
L’hydre peut ingérer rapidement à la suite diverses proies et pour éviter de régurgiter les proies précédentes elle procède, en passant d’une proie à l’autre, à des rétrécissements de son tube digestif, ce qui lui donne l’aspect d’un “chapelet de saucisses”.
Il est très intéressant de comprendre comment l’hydre, qui est dépourvue d’organes sensoriels complexes, peut distinguer une proie fraîche pouvant servir de nourriture d’un détritus ou, de façon plus générale, d’un matériau non vivant.
Son système se base sur la reconnaissance d’une substance uniquement présente chez les êtres vivants, le glutathion réduit (GSH). Il s’agit d’une molécule instable produite par le métabolisme qui se dégrade rapidement après la mort. Les tentacules de l’hydre, grâce à des molécules réceptrices spécifiques, reconnaissent la présence du GSH dans les fluides libérés par les blessures qui sont occasionnées par les nématocystes.
La connexion du GSH avec les récepteurs déclenche les mouvements des tentacules qui se replient vers la bouche. Si l’on met du GSH dans de l’eau en l’absence de toute proie les tentacules se replient et se déplacent vers la bouche qui, à son tour, s’ouvre et recueille les extrémités des tentacules ! (même des tentacules isolés réagissent au GSH et se replient). On peut considérer la réaction de l’hydre au GSH comme une forme précursive du sens olfactif.
Un aspect extrêmement intéressant de la biologie des nématocystes est celui qui a trait à la capacité qu’ont certains organismes prédateurs à ingérer les hydres ou d’autres cnidaires en neutralisant l’action des nématocystes et à s’approprier ces petits organes pour s’en servir ensuite comme moyens de défense. On connaît deux exemples de ce phénomène extraordinaire, un qui concerne des mollusques nudibranches comme, par exemple, Spurilla qui se nourrissent d’hydrozoaires marins et qui transportent les nématocystes non éclatés à travers tout leur appareil digestif et les introduisent dans leurs cérates dorsaux et un autre qui est le fait d’un plathelminthe du genre Microstoma. On ne connaît pas les mécanismes qui permettent d’éviter l’éclatement des nématocystes et provoquent leur transfert vers les organes destinataires. On ignore également le procédé qui permet au nouveau propriétaire de contrôler le fonctionnement des nématocystes qu’ il s’est appropriés.
L’hydre est capable de supporter des périodes de jeûnes très longues, voire de plusieurs semaines, et pour cela elle réduit progressivement les dimensions de son corps jusqu’à l’abaisser à moins d’un millimètre. Le mécanisme qui lui permet de supporter ce jeûne prolongé semble être dû à la capacité qu’ont ses cellules d’effectuer une auto-phagocytose : en fait l’hydre se dévore peu à peu elle-même.
Reproduction
L’hydre se reproduit soit par voie sexuelle soit de façon asexuée par bourgeonnement. Le bourgeonnement est le procédé le plus commun : la colonne du corps émet une protubérance qui croît rapidement et forme la couronne des tentacules. Le bourgeon est à même de capturer des proies de façon autonome avant même de se séparer du corps “maternel”.
Dans de parfaites conditions d’alimentation il existe en même temps sur l’hydre un ou deux bourgeons à différents stades de développement. Un bourgeon n’a besoin que de quelques jours pour se développer et se détacher.
La reproduction sexuée survient occasionnellement. Sur le tronc se forment de petites protubérances , des testicules et des ovaires, qui produisent les gamètes. Les spermatozoïdes sont libérés alors que la cellule de l’oeuf reste fixée temporairement au corps où elle est fécondée et où elle accomplit les premières étapes de son développement en s’entourant d’une enveloppe. L’embryon est relâché, entouré de l’enveloppe, et finalement une hydre miniature apparaît. Le même individu produit aussi bien des ovaires que des testicules mais leur apparition en général n’est pas synchronisée et il ne se produit donc pas d’autofécondation. On ne connaît pas avec certitude les stimuli qui déclenchent l’apparition de la reproduction sexuée. On pense que les conditions environnementales, lorsqu’elles ne sont pas optimales, peuvent stimuler la venue de la phase sexuée dans le but d’augmenter la diversité génétique de la population et donc sa capacité d’adaptation à un environnement instable. Dans les conditions d’élevage en aquarium la phase sexuée se produit et s’étend presque en même temps à tous les individus.
Régénération
L’hydre présente la capacité régénérative la plus poussée du règne animal. Comme cela avait déjà été observé par Trembley sa tête ainsi que son pied, lorsqu’ils sont amputés, se régénèrent en quelques jours.
De même de petits fragments du tronc reconstituent un individu complet en quelques jours. Grâce à ce système une seule hydre, sectionnée en plusieurs parties, peut produire de nombreux individus nouveaux. L’aspect peut-être le plus spectaculaire est celui de la reconstitution d’un individu complet à partir de cellules obtenues en disséquant un individu. Il est possible par des moyens mécaniques de disséquer entièrement des hydres de façon à obtenir un bouillon de cellules.
Des groupes de cellules se rassemblent à nouveau en formant de petites sphères qui, au bout de très peu de jours, laissent apparaître des tentacules puis de nouveaux axes de corps qui rapidement se détachent et forment des individus normaux.
Ces extraordinaires capacités régénératives peuvent se comprendre si l’on tient compte de la dynamique de renouvellement de cet organisme. Il se produit au centre de l’axe du corps une multiplication continuelle de cellules staminales qui migrent ensuite vers les deux extrémités en se différenciant pour produire tous les types de cellules du corps et en remplaçant progressivement les cellules préexistantes qui sont expulsées par les tentacules ou le pied ou phagocytées par d’autres cellules. En cas d’amputation les nouvelles cellules en migration reconstituent les parties manquantes.
Une conséquence stupéfiante de ce processus continuel de renouvellement cellulaire est le fait que l’hydre peut être considérée comme immortelle et toujours jeune ! Les marqueurs moléculaires du vieillissement s’avèrent toujours négatifs.
Élevage
L’hydre s’adapte aisément à la vie en aquarium. Il suffit en effet d’un bocal en verre ou même seulement d’un litre d’eau douce non chlorée. Les hydres doivent être nourries avec des larves nauplius d’ Artemia salina (cystes d’artémie que l’on fait éclore dans de l’eau de mer artificielle : 35 g par litre de sel de cuisine). Les larves nauplius doivent être soigneusement lavées à l’eau douce avant d’être placées dans l’aquarium (effectuer le lavage par filtration sur une gaze de nylon à mailles très fines). Quelques heures après le nourrissage il faut remplacer l’eau du bocal pour éliminer les artémies qui n’ont pas été ingérées ou les résidus qui ont été régurgités. Les hydres ont tendance à adhérer au verre. Celles qui se détachent au lavage peuvent être facilement récupérées par filtration sur une gaze de nylon.
Les hydres introduites accidentellement par l’intermédiaire de plantes aquatiques dans les aquariums décoratifs d’eau douce peuvent poser un difficile problème quant à leur élimination. Les dommages qu’elles provoquent sont d’ordre esthétique mais concernent surtout le fait que les hydres peuvent tuer des alevins. Certains poissons d’ornement comme les gouramis ou le Poecilia peuvent aider à mettre fin à ce genre d’invasion en consommant les hydres.
Les extraordinaires capacités régénératives de l’hydre et la simplicité de son système nerveux en ont fait un organisme modèle de grande valeur pour l’étude des mécanismes de la régénération et de la différenciation ainsi que pour l’étude de l’évolution des cellules nerveuses.
Un autre centre d’intérêt réside dans sa grande sensibilité à la présence de substances polluantes dans l’eau. On a en particulier observé que des substances tératogènes pouvant provoquer des malformations de l’embryon humain perturbent fortement la régénération de l’hydre.
On a donc réalisé des tests en laboratoire (hydra test) dans le but précisément d’utiliser cet organisme comme détecteur de l’action tératogène de substances ou de la présence de tératogènes dans l’eau à la suite de pollutions. L’usage de test constitue un pre-screening à faible coût et est admissible sur le plan éthique.
Synonymes
Hydra attenuata Pallas 1766; Hydra magnipapillata Ito 1947.