Enhydra lutris

Famille : Mustelidae

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Texte © Prof. Giorgio Venturini

 


Traduction en français par Carole Jouron

 

Enhydra lutris, Mustelidae, loutre de mer

Autrefois présente du Japon à l’Alaska et la Californie, Enhydra lutris est aujourd’hui une espèce en danger © Giuseppe Mazza

La loutre de mer (Enhydra lutris Linneo, 1758) appartient à la famille des Mustelidae et c’est le seul membre du genre Enhydra.

Le terme Enhydra vient du Grec “en” (εν) = dans et “hydor” (υδορ) = eau, soit “dans l’eau”, en raison de son habitat; lutris est le nom Latin de la loutre.

Zoogéographie

Autrefois cet animal occupait une très grande partie du Pacifique Nord selon un arc allant du nord du Japon (Hokkaidō), en passant par l’île Sakhaline, les îles Kouriles, la péninsule du Kamchatka, les îles Aléoutiennes, la côte sud de l’Alaska et vers le sud jusqu’à la Californie. Sa population était très nombreuse puisqu’elle comptait plusieurs centaines de milliers de spécimens.

Chassée depuis le milieu du XVIIIe siècle, la population des loutres de mer a fortement diminué puisqu’on ne comptait probablement plus que 2000 individus au début du  XXe siècle.

L’arrêt de la chasse et les politiques de conservation ont connu un succès extraordinaire puisqu’on estime à présent que 100 000 à 150 000 individus vivent en colonies, principalement situées en Russie, en Alaska, en Colombie Britannique, dans l’état de Washington et en Californie. La Russie et l’Alaska comptent le plus grand nombre d’animaux.

Leur territoire s’étend du 57e degré de latitude nord, là où la mer commence à geler, jusqu’au 22e degré de latitude nord, aux limites des forêts de kelp, habitat principal de la loutre de mer.

Trois sous-espèces de répartition géographique différente sont acceptées : Enhydra lutris lutris (Linnaeus, 1758) présente au Japon, dans les îles Kouriles, dans la péninsule du Kamchatka et sur les îles du Commandeur, Enhydra lutris kenyoni (Wilson, 1991), des îles Aléoutiennes à l’Alaska, au Canada et à l’Oregon et Enhydra lutris nereis (Merriam, 1904) en Californie.

Cette espèce ne doit pas être confondue avec l’autre loutre dite de mer (Lontra felina), un mustélidé terrestre à prédominance sud-américaine qui fréquente les habitats estuariens.

Ecologie-Habitat

La loutre de mer vit dans les eaux côtières de moyenne profondeur (généralement 10 à 30 m), préférant les zones abritées des vagues par des roches émergées, les barrières côtières  et surtout les forêts de kelp (Macrocystis pyrifera, laminaires, algues brunes). Celles-ci offrent un environnement extrêmement riche en proies pour les loutres, aussi bien des invertébrés que des poissons. La loutre utilise également les longs rubans de kelp comme ancre pour éviter d’être entraînée par les courants lorsqu’elle dort ou se nourrit.

Enhydra lutris, Mustelidae, loutre de mer

Tête aplatie de marmotte et longues vibrisses sensibles pour trouver les proies dans les eaux troubles © G. Mazza

Comme la loutre habite les forêts de kelp, sa zone de prédilection varie fortement en fonction de la répartition de ces algues qui peuvent parfois s’étendre à plusieurs milles des côtes, comme dans certaines régions de l’Alaska. Les loutres semblent préférer les environnements où le couvert de kelp, c’est-à-dire la partie apicale des longues branches, atteint la surface.

Morpho-physiologie

La loutre de mer est la plus lourde des loutres et celle qui a l’apparence la plus trapue.

La loutre géante d’Amazonie Pteronura brasiliensis la dépasse en longueur mais pas en poids.

Les mâles pèsent entre 22 et 45 kg, pour une longueur de 1,2 à 1,5 m, tandis que les femelles, plus petites, pèsent entre 14 et 33 kg, pour une longueur de 1 à 1,2 m.

La queue représente environ un tiers de la longueur totale. La loutre d’Alaska, qui correspond à la sous-espèce kenyoni, est légèrement plus grande que celle de Californie, de la sous-espèce nereis. Mis à part les dimensions, le dimorphisme sexuel est très rare.

Les membres antérieurs ont des griffes rétractables, le bout des doigts et la paume sont glabres et assurent une bonne adhérence et un grand sens du toucher. Les membres postérieurs ont des doigts palmés dont la longueur augmente du premier au cinquième doigt, donc le gros orteil est le plus court et le petit doigt est, au contraire, le plus développé. Cette caractéristique lui confère un membre postérieur en forme de nageoire, optimisé pour la nage.

La tête est courte et trapue et le museau doté de longues vibrisses sensibles qui permettent d’identifier les proies dans les eaux troubles.

Les yeux ont un pouvoir d’accommodation très élevé, d’environ 60 dioptries, ce qui permet une bonne vision tant dans l’air que dans l’eau. Comme chez les animaux nocturnes, la surface postérieure de la rétine est réfléchissante (tapetum lucidum) et non noire comme chez les animaux diurnes (tapetum nigrum).

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De tous les mammifères, Enhydra lutris a la fourrure la plus dense : 100 000 à 400 000 poils par cm2. Ils sont de 2 types, les poils supérieurs, ou poil de garde, qui bloquent l’eau, et les poils inférieurs, épais et fins, la fameuse bourre, qui retiennent l’air avec une isolation thermique extraordinaire : 4 fois plus qu’une couche équivalente de graisse © Giuseppe Mazza

Cette caractéristique lui confère une sensibilité élevée à la lumière, utile voir dans des environnements peu éclairés comme sous l’eau. Ainsi, les rayons lumineux réfléchis par le tapetum ludicum se répercutent sur les cellules photosensibles de la rétine ce qui, en pratique, double la sensibilité .

On en connaît peu sur leur sens de l’odorat mais les cornets sont bien développés, suggérant une grande surface de muqueuse olfactive, et on sait que les mâles reconnaissent à l’odeur les femelles en chaleur et suivent leur trace dans l’eau.

Les canines sont bien développées et les grosses molaires sont aplaties, avec des surfaces arrondies, capables d’écraser les coquillages. Les loutres possèdent 4 incisives inférieures (deux de chaque côté) au lieu de 6, ce qui les rend uniques chez les carnivores.

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A part ses incisives, c’est un carnivore hors du commun aux molaires arrondies très puissantes, faites pour briser les coquilles les plus dures © Giuseppe Mazza

Contrairement aux autres mammifères marins, la couche de graisse sous-cutanée de la loutre est très mince et c’est sa fourrure qui la protège contre le froid. La fourrure est composée de deux types de poils, les poils protecteurs, ou poil de garde, plus longs et plus robustes, généralement plus clairs, et les poils inférieurs appelés bourre, plus épais et plus fins, généralement plus foncés.

Le poil de garde, imperméable à l’eau, protège et maintient au sec la couche inférieure qui emprisonne l’air et assure l’isolation thermique. Le pouvoir d’isolation thermique de cette fourrure est très élevé, environ quatre fois supérieur à celui d’une couche équivalente de tissu adipeux.

De tous les mammifères, la loutre de mer est celle qui a la fourrure la plus dense: entre 100 000 et 400 000 poils au centimètre carré, une quantité énorme si l’on considère que chez le chien les poils sont entre 1000 et 9000/cm2 et que l’homme ne compte que 100 000 cheveux sur la tête entière. On comprend pourquoi les loutres étaient autant appréciées des marchands de fourrure !

La peau de la loutre contient des glandes sébacées spécifiques qui sécrètent une substance grasse augmentant le pouvoir hydrofuge de la fourrure, et semblable à la sécrétion de la glande uropigène (croupion) des oiseaux aquatiques.

Les glandes anales odoriférantes, présentes chez les autres mustélidés, sont ici absentes. Les loutres possèdent des plis cutanés à la base des pattes avant qui leur servent de poche pour maintenir leurs proies ou des pierres qu’elles utilisent comme outils.

Intimement liée à la vie marine et faite pour la plongée, la loutre présente de nombreuses adaptations morpho-fonctionnelles à ce mode de vie, parfois plus prononcées que celles des pinnipèdes et proches de celles des cétacés.

Comme la loutre de mer passe le plus clair de son temps dans l’eau, même lorsqu’elle mange ou prend soin de sa fourrure et même pendant le sommeil ou l’accouchement, elle a besoin d’une grande flottabilité pour ne pas avoir à nager continuellement pour se maintenir à flot. Cette propriété garantie par son épaisse fourrure qui emprisonne une grande quantité d’air et à des poumons très développés, qui fournissent également une grande quantité d’oxygène lors d’une longue apnée pendant la chasse sous-marine.

Un autre avantage pour ses longues apnées est sa grande capacité à exploiter son métabolisme anaérobie, c’est-à-dire à obtenir l’énergie des sucres sans recourir à l’oxygène. Au moment de la plongée, une série de réactions physiologiques se met en place pour économiser l’oxygène. Tout d’abord, le rythme cardiaque passe de 125 pulsations à 10 pulsations par minute. Cela permet de réduire la consommation d’oxygène par le cœur, laissant une plus grande part aux autres organes.

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Comme les singes les plus évolués, elle a appris à utiliser des outils pour se nourrir : des pierres spéciales qu’elle prend sous l’eau entre les plis de sa fourrure. Elle martèle impitoyablement les pauvres Haliotis pour les détacher des rochers, les écrase, puis remonte à la surface pour les déguster au soleil © Giuseppe Mazza

Deuxièmement, la vasoconstriction sélective se produit dans les régions périphériques du corps, comme les membres et la peau, laissant plus de sang pour le cœur et le cerveau.

Les muscles continuent d’être oxygénés malgré la réduction du débit sanguin grâce à leurs importantes réserves internes d’oxygène. Les muscles de la loutre, comme d’autres mammifères, contiennent une protéine, la myoglobine, qui peut se lier à l’oxygène et ensuite le restituer au muscle si nécessaire. Chez les mammifères terrestres, la concentration moyenne de myoglobine est de 1 g/100 g de muscle, tandis que chez la loutre, la concentration, et donc la capacité à stocker l’oxygène, est beaucoup plus élevée (3 g/100g).

Dans son adaptation à la vie marine, la loutre doit également faire face au problème de la salinité : elle se nourrit d’invertébrés marins à forte teneur en sels et boit de l’eau de mer avec une forte concentration en chlorure de sodium. L’alimentation de la loutre est également très riche en protéines.

Il lui faut donc éliminer par l’urine l’excès de sels et de déchets liés au métabolisme des protéines , sans perdre une quantité excessive d’eau.

Le rein multilobé de la loutre y pourvoit avec une capacité extraordinaire à concentrer l’urine et donc à économiser l’eau tout en éliminant les sels et les déchets en excès. On peut quantifier cette efficacité en considérant la concentration de solutés dans l’urine de la loutre, qui est plus de deux fois supérieure à l’eau de mer et cinq fois supérieure à l’urine humaine.

Par conséquent, en buvant de l’eau de mer, la loutre peut retenir l’eau et éliminer à la fois les sels et les déchets de son métabolisme.

Ethologie-biologie de la reproduction

De tous les mammifères, à l’exception des cétacés et des siréniens, la loutre de mer est celle qui est le plus étroitement liée à la vie aquatique. Enhydra lutris, même si elle peut se déplacer sur terre, passe la plupart de son temps dans l’eau, où elle chasse, se nourrit, dort, s’accouple, donne naissance et élève ses petits.

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Sa queue lui sert de gouvernail pour atteindre 100 m de profondeur dans de très longues apnées. Afin d’économiser l’oxygène lors de l’immersion, le rythme du coeur passe de 125 à 10 pulsations par minute, les vaisseaux sanguins se contractent, favorisant le cœur et le cerveau au détriment des muscles qui puisent l’oxygène nécessaire dans des réserves spéciales, 3 fois supérieures à celles des mammifères terrestres, grâce à une protéine, la myoglobine, capable de lier l’oxygène pour le redonner au muscle si besoin © Mazza

Lorsqu’elles se reposent ou dorment, les loutres flottent sur le dos les pattes arrière hors de l’eau et les pattes avant repliées sur la poitrine ou pour se couvrir les yeux et elles s’enveloppent souvent dans les feuilles des algues pour ne pas être entraînées par le courant. Lorsqu’elle n’est pas engagée dans la chasse, la loutre entretient sa fourrure avec soin afin de préserver ses qualités isolantes.

Même si la loutre est surtout un chasseur diurne, elle peut aussi chasser la nuit. La loutre nage par des mouvements ondulatoires dorso-ventraux de l’arrière du corps et de la queue, comme le phoque et le dauphin, grâce à des articulations particulièrement mobiles. Les pattes arrière et la queue, ainsi que la propulsion, sont utilisées pour contrôler la direction. Même si des plongées maximales allant jusqu’à 100 m ont été observées, les loutres pêchent généralement à des profondeurs plus faibles. Une plongée dure de une à quatre minutes, avec des profondeurs généralement comprises entre 20 et 30 mètres.

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Les antérieures sont munies de griffes rétractables et de doigts ridés et sensibles avec lesquels elles portent les aliments à la bouche © Giuseppe Mazza

Les proies sont capturées avec les membres antérieurs, grâce aux doigts plissés et sensibles  pourvus de griffes. Elles se composent essentiellement d’invertébrés marins, tels que les oursins, les mollusques, notamment les pétoncles géants (Crassadoma gigantea, parent des pétoncles), les moules, les palourdes et les abalones ou ormeaux ou (Haliotis), qui sont souvent les proies privilégiées, mais également les céphalopodes et crustacés. Les loutres pêchent plus rarement des poissons et très exceptionnellement des oiseaux de mer.

Leurs molaires arrondies très puissantes permettent de briser les coquilles les plus dures. Pour ouvrir les oursins, la loutre brise la coquille du côté oral, qui est moins épineux, puis en lèche le contenu.

Peut-être un cas unique chez les mammifères non primates, Enhydra lutris utilise des outils. Les loutres de mer utilisent des pierres recueillies sur le fond pour détacher la proie du substrat et pour briser sa coquille. Parfois, elles frappent leur proie sur une pierre posée sur leur poitrine et dans d’autres cas, elles utilisent la pierre pour briser la proie qu’elles tiennent sur leur poitrine.

Des plis cutanés situés entre les pattes avant et la poitrine servent de poches pour contenir des pierres et/ou des proies. La même pierre est souvent utilisée pour plusieurs plongées. Ces animaux ont aussi l’habitude de laver leurs proies et le font en tenant la proie sur la poitrine et en se retournant dans l’eau.

Même si la loutre n’est pas un animal social, elle vit souvent en groupes de quelques dizaines d’individus, mais chaque individu chasse seul ou en couple, généralement formé par la mère et l’enfant. Des cas de vol de proies entre loutres ont été observés. Pendant le repos, au contraire, on peut voir des groupes plus ou moins nombreux et non structurés, parfois de quelques dizaines de spécimens flottant à proximité les uns des autres.

Pendant la période de reproduction, le mâle défend son territoire en empêchant l’incursion d’autres mâles. Les femelles, plus nombreuses, se déplacent librement entre les territoires des mâles. Les mâles qui n’ont pas de territoire propre vivent généralement en groupe.

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Un couple heureux à l’heure du déjeuner avec des crustacés et un calamar. Enhydra lutris n’est pas un animal social et le lien amoureux dure au maximum 3 jours © Giuseppe Mazza

Les loutres de mer communiquent principalement par contact corporel ainsi que par vocalisations, même si ce ne sont pas des animaux particulièrement bruyants. Les plus bavards sont les petits qui appellent leur mère. Huit types différents d’émissions vocales ont été décrits, mais on ne sait pas dans quelles situations elles sont émises. L’odorat joue également un rôle important et il semble que chaque individu a son odeur propre qui indique son identité, son genre et son état physiologique de reproduction.

La loutre consacre beaucoup de temps à l’entretien soigneux de sa fourrure (toilettage) en nettoyant, peignant et aérant surtout la couche inférieure des poils les plus épais et les plus fins.

La loutre de mer est un animal polygame, c’est-à-dire que chaque mâle s’accouple avec plus d’une femelle. Généralement, les femelles donnent naissance chaque année ou parfois tous les deux ans.

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L’accouplement se fait également en mer. Le mâle repère l’odeur d’une femelle en oestrum, l’immobilise en lui saisissant le museau entre ses mâchoires et accomplit sa mission © Giuseppe Mazza

Dans les cas où le petit ne survit pas, la mère peut être de nouveau en chaleur et s’accoupler à nouveau la même année.

Lorsqu’un mâle trouve une femelle réceptive, les deux adoptent un comportement ludique voire même agressif. Ils restent unis pendant toute la durée de l’oestrus, soit environ trois jours. Pendant l’accouplement, qui a lieu dans l’eau, le mâle saisit avec ses mâchoires la tête ou le museau de la femelle. Il n’est pas rare d’observer des femelles portant des cicatrices sur le museau, souvenir des blessures laissées lors de l’accouplement.

La durée de gestation est très variable, allant de quatre à douze mois. Cette variabilité dans la durée de la gestation est liée au fait que les loutres connaissent le phénomène de l’implantation retardée, ou diapause embryonnaire : après la fécondation, l’embryon ne s’implante pas immédiatement dans l’utérus mais peut rester en état de dormance pendant quelques mois. Lorsque l’implantation a eu lieu, la gestation elle-même dure quatre mois.

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Les mâles ne participent pas à l’éducation de la progéniture. Contrairement à la plupart des carnivores, les femelles n’ont que deux mamelles © Giuseppe Mazza

C’est une stratégie que certains animaux utilisent pour empêcher les bébés de naître dans des périodes défavorables.

La naissance elle aussi a lieu dans l’eau et généralement un seul bébé est mis au monde. D’un poids d’environ 1,5 à 2 kg, il ne sait pas encore nager, mais sa fourrure retient tellement d’air qu’il peut flotter.

Les mâles ne participent pas à l’éducation de la progéniture.

Contrairement à de nombreux carnivores, la loutre de mer n’a que deux mamelles. Le lait a une teneur en matières grasses de 20 à 25% et les jeunes sont allaités pendant environ 6 mois, mais commencent à manger des aliments solides bien avant le sevrage. En cas de danger, les femelles saisissent le bébé dans leurs mâchoires et plongent.

Vers l’âge de 8 mois, les jeunes deviennent indépendants et entre 3 et 5 ans, ils sont sexuellement matures, les femelles plus tôt que les mâles.

Leur durée de vie moyenne est estimée à 10-12 ans, avec un maximum observé de 23 ans.

Comportement à terre

Bien que la loutre de mer passe le plus clair de son temps dans l’eau, on peut rencontrer de petits groupes d’animaux à terre, généralement sur des rochers couverts d’algues. Il semble que les séjours à terre soient plus fréquents en hiver, lorsque la mer est très agitée et le plus souvent dans les zones moins fréquentées par l’homme. Enhydra lutris est considérée par les écologistes comme une espèce “clé de voûte”, car sa présence régule de manière importante l’abondance de nombreuses autres espèces, tant animales que végétales, et sa protection est donc un outil important pour le contrôle de l’écosystème marin côtier.

La loutre consomme chaque jour une quantité importante d’invertébrés marins ce qui régule la population des espèces benthiques. Une loutre de mer consomme environ 30 % de son poids par jour, ce qui pour un animal de 25 kg représente près de 8 kg par jour. Une population de 5000 à 8000 habitants comme celle d’une des îles Aléoutiennes représente une consommation d’environ 56 tonnes par jour ! En Californie, dans les zones fréquentées par les loutres, les gros oursins sont absents à l’extérieur des fissures étroites des rochers, où ils leur sont inaccessibles, alors qu’ils abondent en l’absence de loutres.

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Les bébés sont allaités pendant 6 mois bien avant qu’ils aient commencé à manger des aliments solides. Enhydra consomme environ 30% de son poids par jour, ce qui pour un animal de 25 kg représente presque 8 kg par jour. La sédentarité a donc un impact environnemental important, par exemple en contrôlant la prolifération des oursins qui menacent les étoiles de mer et les grandes formations de laminaires © Giuseppe Mazza

En réduisant le nombre d’oursins, la loutre favorise également le développement de la forêt de varech que les oursins, en proliférant, peuvent endommager.

Un autre effet positif est la prévention contre les étoiles de mer dont la prolifération excessive est néfaste pour les fonds marins. D’autre part, l’élimination d’espèces d’intérêt commercial telles que l’ormeau met les loutres en concurrence avec les pêcheurs.

Enhydra lutris est également considéré comme un indicateur de l’état de santé de l’écosystème marin côtier.

Étant un animal relativement sédentaire et au sommet de la chaîne alimentaire, elle peut accumuler dans son organisme les polluants auxquels elle est particulièrement sensible.

Comme elle se nourrit principalement d’invertébrés qui filtrent et emmagasinent des toxines et des micro-organismes dans leurs tissus, la loutre est particulièrement fragilisée par de nombreux polluants, notamment ceux insolubles dans l’eau mais présents dans les algues et les sédiments, et les micro-organismes pathogènes. Un cas exemplaire est celui de l’empoisonnement par des toxines des dinoflagellés.

Il faut savoir que certains dinoflagellés produisent des toxines extrêmement puissantes : pendant les périodes de “floraison” de cette algue microscopique, le mollusque filtre peut accumuler de grandes quantités de toxines et devenir toxique pour les humains et les animaux. La loutre est fortement exposée à ce risque et ce phénomène a entraîné sa mort.

Cependant, il semble que les loutres soient capables de percevoir la présence de toxines et, dans ce cas, elles changent leur type d’alimentation. Selon certains observateurs, elles jettent même certaines parties des mollusques plus chargées en toxines.

Des études ont montré que 60 % de la mortalité chez les loutres dans certaines zones est due à des maladies infectieuses liées aux rejets urbains ou agricoles.

Par exemple, la toxoplasmose, probablement due à la contamination des rejets urbains par les excréments de chats, a causé la mortalité des loutres en Californie. Le protozoaire Sarcocystis neurona peut aussi causer une myéloencéphalite mortelle chez la loutre. Ce protozoaire est un parasite intestinal de l’opossum (Didelphis virginiana, hôte final), qui émet des sporocystes dans les selles. La loutre, qui est l’un des hôtes intermédiaires, peut être infestée par les excrément rejetés dans l’eau. Le problème le plus courant est celui du corynosome des acanthocyphes intestinaux, qui contamine les loutres par le biais des crustacés qu’elles consomment.

Enhydra lutris est actuellement considérée comme une espèce menacée (Annexes I et II de la CITES), non plus par la chasse mais par les dangers liés aux dommages causés à l’environnement, en particulier la pollution par les hydrocarbures et autres polluant et la pêche au filet. On estime que l’accident du pétrolier Exxon Valdez en 1989, avec le déversement de 50 à 150 000 mètres cubes de pétrole brut, a causé la mort de milliers de loutres en Alaska et que la pollution de la région provoque encore aujourd’hui des dommages sur les populations animales.

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Avec un poids pouvant atteindre 45 kg, les loutres de mer mâles sont plus nombreuses que les loutres géantes d’Amazonie, légèrement plus longues © Giuseppe Mazza

Le pelage de la loutre de mer est très sensible à la contamination par les hydrocarbures et autres polluants qui, en facilitant la pénétration de l’eau dans les couches internes de la fourrure, peut réduire son pouvoir isolant et entraîner l’hypothermie, la pneumonie et la mort. Les contaminants tels que la tributyline, utilisée dans les peintures antisalissure, les insecticides tels que le DDT (maintenant interdit) et les PCB (polychlorobiphényles) ont également causé et continuent de causer de graves dommages à cet animal.

Outre les problèmes des pathologies illustrées, certains prédateurs peuvent s’attaquer aux loutres, parmi lesquels les épaulards, les otaries et surtout les requins, notamment le requin blanc (Carcharodon carcharias), qui est probablement le principal ennemi des loutres. Les jeunes sont parfois la proie du pygargue à tête blanche (Haliaeetus leucocephalus). À terre, la loutre peut être attaquée par les coyotes (Canis latrans).

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Cétacés et siréniens mis à part, Enhydra lutris est le mammifère le plus aquatique © G. Mazza

Relations avec l’homme.

La loutre de mer a été décrite en 1741 par Georg Steller, médecin, zoologiste et explorateur allemand après l’expédition de Vitus Bering qui a exploré les mers arctiques pour le compte de la Russie. Lors du naufrage du navire “San Pietro”, la plupart des membres de l’équipage sont morts, y compris Béring (ou peut-être Béring est-il mort plus tard du scorbut). Steller était parmi les survivants et il a vu les premières loutres sur l’île Avača, maintenant appelée île de Bering, où il avait trouvé refuge (il en a d’ailleurs tué un millier).

Au sujet de l’abondance des loutres et de leur absence de crainte envers l’homme, Steller écrit : “Il y en avait tellement que nous n’avions pas assez de mains pour les tuer, des bancs entiers recouvraient la côte……. Au début, elles n’avaient pas peur de l’homme et ne se sont pas déplacées à notre passage… nous en avons tué plus de huit cents et, si notre bateau n’avait pas été si petit, nous aurions pu en prendre le triple.

L’homme chasse la loutre de mer depuis des millénaires, attiré par la qualité de la fourrure, mais pendant des siècles la récolte est restée modeste. Depuis que Steller et l’expédition de Bering, qui a fait naufrage, ont ramené en Russie les peaux des loutres qu’ils avaient chassées et les ont vendues à un prix élevé (10 ou 20 fois le prix de la précieuse zibeline), les marchands de fourrure ont chassé plus d’un million d’animaux. Après les Russes, ce fut le tour des Espagnols de Californie, puis des Américains des régions côtières du Nord-Ouest et des Japonais.

Alors que l’espèce était au bord de l’extinction, la Russie, le Japon, la Grande-Bretagne et les États-Unis, en 1911, ont décidé d’arrêter la chasse. Comme nous l’avons vu, la vitalité de l’espèce a permis, en 150 ans, de ramener les chiffres à des niveaux sans doute similaires à ceux d’autrefois. Malgré le succès de cette initiative, le danger n’est pas totalement éloigné, pour les raisons  mentionnées plus haut, comme en témoignent les fluctuations préoccupantes observées ces dernières années dans la population d’Enhydra lutris.

En plus de la fourrure, certains autochtones des côtes fréquentées par les loutres de mer les chassaient pour leur viande. Si certains voyageurs décrivent le goût comme écœurant (mais meilleur que la viande de phoque), selon les explorateurs, beaucoup d’autochtones n’étaient pas du même avis et mangeaient la viande même sans sel et mal cuite.

Même les naufragés affamés n’avaient pas autant de scrupules quant au goût et pour Steller et ses compagnons les loutres étaient la nourriture principale après le naufrage, avec une prédilection particulière pour la viande des femelles et des jeunes.

L’homme représente toujours le principal danger pour les loutres, même après l’interdiction de la chasse : la capture accidentelle par les filets et les lignes et les blessures causées par les hélices des bateaux s’ajoutent aux effets de la pollution et de la destruction de leur environnement.

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Lorsqu’elles se reposent ou dorment, les loutres de mer (Enhydra lutris) flottent sur le dos en gardant leurs pattes arrière hors de l’eau et leurs pattes avant repliées au-dessus de leur poitrine ou de leurs yeux, se protégeant ainsi de la lumière. Pour ne pas dériver, elles s’accrochent souvent aux solides algues laminaires flottantes comme à une ancre © Giuseppe Mazza

Les populations indigènes en contact avec la loutre de mer ont engendré des mythes et des traditions liés à cet animal. A titre d’exemple, on peut citer un conte des îles Aléoutiennes sur les origines de la loutre : “Il était une fois une belle jeune fille qui vivait avec son frère dans un village près de la falaise, là où vivait  le puissant Esprit du Nord . Un jour, l’Esprit enleva la jeune fille pour l’épouser et elle se retrouva toute seule et effrayée jusqu’au jour où son frère réussit à la libérer et à la ramener chez elle. L’Esprit, en colère, voulut détruire le village et provoqua une terrible tempête. Les villageois, terrifiés, chassèrent les deux jeunes gens. Ils se réfugièrent sur la plage, mais une énorme vague les entraîna vers la mer. Ils se seraient certainement noyés si l’impitoyable Déesse de la mer ne les avait pas transformés en deux belles créatures marines, leur offrant la plus belle fourrure, qui les protégerait du froid même dans l’océan le plus glacial. Ainsi naquirent les loutres de mer. »

Synonymes

Mustela lutris (Linnaeus, 1758), Latax lutris (Merriam, 1904).

 

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