Famille : Ardeidae
Texte © Dr. Gianfranco Colombo
Traduction en français par Catherine Collin
Dans le paléarctique tout le monde connaît l’Aigrette garzette, ou tout au moins les plus attentifs l’ont sûrement observée alors qu’ils traversent les campagnes et qu’elle s’envole avec une grande élégance ou se repose, tranquille, sur le bord d’un fossé ou d’une route.
En Europe, lors des dernières décennies, c’était peut-être le seul héron blanc présent sur notre territoire avant l’arrivée soudaine du Héron garde-bœufs et de la Grande Aigrette, cette dernière assez rare dans le passé.
Il n’est pas difficile de remarquer sa présence même si elle est posée assez loin, parce que le blanc immaculé de sa livrée se détache clairement sur le vert environnant, en particulier dans la campagne, milieu qu’elle fréquente de plus en plus, bien qu’elle soit une espèce de milieux aquatiques, marais et roselières.
Les anglais, sûrement les plus experts dans l’art de l’ornithologie et en même temps les plus prompts à donner aux oiseaux des noms communs simples, de façon à en simplifier l’identification et éviter des confusions avec d’autres espèces, l’ont simplement baptisée “Little Egret”, petite aigrette, la distinguant ainsi de la “Great white Egret”, Grande Aigrette (Ardea alba) et de la “Cattle Egret”, Héron garde-bœufs (Bubulcus ibis).
Pourtant, comme nous le verrons, elle n’est pas si petite puisqu’elle est souvent confondue par les non experts avec la Grande Aigrette susmentionnée, puisqu’elle présente la même couleur et les mêmes comportements. Seule une comparaison directe montre immédiatement la différence de taille entre les deux espèces.
L’Aigrette garzette (Egretta garzetta-Linnaeus, 1766) appartient à l’ordre Pelecaniformes et à la famille Ardeidae, c’est un oiseau très commun, présent dans le monde entier.
Cette aigrette, ainsi que tant d’autres de son groupe, a été l’objet d’une chasse sans merci, lors d’une période à cheval sur le XIXème et le XXème siècle, pour ses superbes plumes vaporeuses utilisées par les modistes et les couturiers de l’époque afin d’orner les vêtements et les chapeaux des dames à la mode. La capture de ces oiseaux avait principalement lieu pendant la période d’accouplement quand ces plumes, si particulières et élégantes et éléments essentiels pour la parade nuptiale et la formation des couples, ornaient leur livrée.
Ce n’est pas la seule espèce à avoir été victime de cette chasse, la Grande aigrette (Ardea alba) aussi fut une victime inconsciente et involontaire de cette frivolité.
Les chroniques de l’époque rapportent qu’à la fin du XIXème siècle, sur le seul marché anglais, plus de 2 millions de peaux de ces oiseaux étaient mises en vente à l’usage des modistes, provoquant de graves dommages à l’espèce, à tel point que cet oiseau finit par disparaître du Royaume-Uni et les populations européennes en subirent les dramatiques conséquences.
Comme il arrive souvent, la mode se tourna vers d’autres choix pour les parures et la mise en place d’une législation protégeant cet oiseau permit à l’Aigrette garzette d’en récolter rapidement les bénéfices.
L’étymologie du binôme scientifique est peut-être l’une des rares ne provenant ni du grec ancien ni du latin. Les deux termes ont une racine vulgaire qui se rapporte à une désignation dialectale qui nous est parvenue à travers des siècles de tradition orale, remontant à si loin qu’on a perdu la trace de la provenance du nom d’origine.
Egretta du Provençal “aigron” = héron, dans sa forme diminutive aigrette, pour la distinguer de ses semblables de plus grande taille mais l’origine est plus probablement germanique “heigir” ensuite devenu “aghirone” et par la suite transcrite “airone” en Italie et “aigron” en France.
Garzetta vient du nom donné dans les campagnes lombardes à ce petit héron, sgarzetta ou garzetta qui semble pourtant lui-même dérivé de l’espagnol du XIVème siècle “garceta” semblant provenir de l’arabe “ḡarzah”, un objet pointu contondant, peut être comme le bec de l’Aigrette garzette. Les espagnols des Asturies utilisent le terme “garceta” pour indiquer une mèche de cheveux longs couvrant la nuque, nous ramenant ainsi à la morphologie de cet oiseau.
Au travers de ces digressions, toujours à interpréter, on peut comprendre comment, dans les temps anciens, périodes que l’on considère souvent comme sombres et fermées, les différents langages ont traversé les barrières territoriales, sans limites de frontières.
En Europe on la nomme Little Egret en anglais, Seidenreiher en allemand, Garceta común en espagnol, Garzetta en italien et Garça-branca-pequena en portugais.
Zoogéographie
On rencontre l’Aigrette garzette en Europe, en Asie, en Afrique et en Australie avec différentes sous-espèces propres à chaque territoire.
Trois sous-espèces ont été classifiées : Egretta garzetta nigripes, propre à l’extrême sud-est asiatique comprenant la Nouvelle-Guinée, Egretta garzetta immaculata, d’Australie mais par beaucoup considérée comme appartenant à la souche précédente et Egretta garzetta garzetta d’Europe, d’Afrique et de la partie restante d’Asie.
Auparavant, l’Aigrette à gorge blanche (Egretta gularis) d’Afrique et du Moyen-Orient et l’Aigrette dimorphe (Egretta dimorpha) d’Afrique de l’Est et des îles voisines de l’Océan Indien étaient également considérées comme sous-espèces.
En Asie, le territoire occupé par l’Aigrette garzette ne concerne que l’aire tropicale au sud de la chaîne himalayenne, la partie méridionale de la Chine et la péninsule indochinoise
Historiquement, elle est absente des Amériques mais lors des dernières décennies on a assisté à une conquête territoriale progressive qui semble être le prélude à une future occupation de tout le continent.
En Europe, elle est largement présente, en particulier dans les aires centro-continentale et méditerranéenne mais elle délaisse les zones plus au Nord où les températures sont plus rigoureuses. C’est un oiseau migrateur en ce qui concerne les populations continentales et celles occupant les limites nord de l’aire de répartition, avec des déplacements vers le Sud pouvant les mener jusque dans des quartiers d’hiver situés en Afrique subsaharienne.
Les populations méditerranéennes sont en revanche sédentaires et souvent durant l’hiver, elles se rassemblent avec les populations migratrices arrivées du Nord, augmentant grandement leur densité dans les quartiers d’hiver.
Les populations tropicales sont sédentaires et ne sont sujettes qu’à de brefs déplacements lors de la saison sèche afin de trouver des milieux aquatiques adaptés à leur régime alimentaire.
Il arrive souvent, durant la période post-reproduction, que les jeunes soient sujets à des mouvements erratiques, sans but précis, qui peuvent les mener vers le Nord jusqu’à ce que les conditions météo les obligent à rectifier rapidement leur cap pour se diriger vers des quartiers d’hiver plus adaptés.
Écologie-Habitat
L’Aigrette garzette vit dans des milieux liés à l’eau et ce n’est que rarement qu’elle fréquente des zones sèches sauf si elles se situent près d’un plan d’eau ou de zones humides.
Etangs et roselières, berges de cours d’eau et de ruisseaux dans la campagne, rizières et champs inondés, n’importe quels milieux avec de l’eau, si possible claire et fraîche, voient la présence assidue de cette espèce.
Occasionnellement, ces aigrettes se réunissent en grandes volées, particulièrement lors de la période post-reproduction ou la période la précédent ou encore durant la migration, mais le mode de vie type de cette aigrette est le rassemblement en petits groupes de quelques individus, ou même plutôt solitaire, qui silencieusement et discrètement cheminent lentement dans l’eau à la recherche de petites proies.
Au contraire du Héron garde-bœufs (Bubulcus ibis), oiseau beaucoup plus sociable, qui forme habituellement de grands groupes, et avec lequel elle cohabite, l’Aigrette garzette préfère la solitude. Lorsqu’elle se trouve dans son voisinage, elle garde toujours une certaine distance avec lui comme si elle voulait distinguer son élégance innée de la gaucherie naturelle de ce héron.
Presque identiques pour les non spécialistes, ces deux espèces font désormais partie du paysage rural de plaines et de marais d’Europe méditerranéenne. L’Aigrette garzette est une espèce en constante expansion en Europe, avec des avancées profitables au nord de son aire de répartition traditionnelle.
Morpho-physiologie
En Europe, l’Aigrette garzette peut aisément être confondue avec la Grande aigrette (Ardea alba) et le Héron garde-bœufs (Bubulcus ibis) même si un œil averti peut facilement relever les caractéristiques particulières à chacun.
Elle a une livrée totalement blanc pur en toutes saisons, avec le bec et les pattes noir de jais et les doigts et les pieds jaune vif tendant vers l’orange en pic de période de reproduction. En période nuptiale les joues deviennent bleuâtres et c’est à ce moment que la livrée s’orne des longues plumes dorsales vaporeuses et gracieuses, appelées aigrettes et un temps objets de convoitise des modistes.
Sur cette élégante livrée on voit aussi quelques plumes très longues et filiformes pendant sur la nuque qui bougent au moindre mouvement de la tête ou tombent sur le cou comme un col vaporeux. L’iris est jaune nacré. Il n’y a pas de dimorphisme sexuel. Les juvéniles montrent une couleur moins pure bien que blanche.
L’Aigrette garzette se distingue surtout du Héron garde-bœufs par l’élégance de son allure, sa silhouette étant beaucoup plus élancée, son cou svelte et plus long et son bec très pointu. Le bec du Héron garde-bœufs est presque toujours jaunâtre ce qui permet aussi de les différencier. En vol les deux espèces tiennent leur cou en “S”, ramassé sur le tronc, comme il est habituel chez les ardéidés mais l’Aigrette garzette a les ailes plus allongées et une fréquence de battement moins grande. Sa taille n’est sûrement pas comparable à celle de sa cousine la Grande Aigrette, pratiquement du simple au double, mais demeure assez remarquable. Elle mesure 60 cm pour un poids moyen de 400 g et une envergure de 90 cm.
Sur les autres continents l’Aigrette garzette a des congénères très ressemblants et donc difficiles à différencier. Parmi eux, en Amérique du Nord, l’Aigrette neigeuse (Egretta thula), en Afrique on peut facilement la confondre avec le Héron intermédiaire (Egretta intermedia), au Moyen-Orient avec l’Aigrette à gorge blanche (Egretta gularis) en phase blanche et en Australie avec l’Aigrette sacrée (Egretta sacra) en phase blanche également.
Éthologie-Biologie reproductive
Autant elle préfère être seule lorsqu’elle s’alimente, autant elle est sociable en période de nidification.
L’Aigrette utilise des héronnières mixtes pour nicher, partageant les aires communes avec tous les autres ardéidés. Elle n’est pas intimidée par la présence d’autres individus de la même espèce à quelques mètres de son propre nid, même si, selon l’usage, les distances à respecter entre les nids sont pratiquement données par la somme de la longueur des cous des deux voisins plus les becs acérés, avec lesquels ils s’envoient régulièrement des messages d’avertissement.
L’utilité et l’efficacité d’une force commune pour la défense de la colonie contre d’éventuels agresseurs stoppe tout antagonisme entre les habitants d’une même héronnière.
Le nid est un simple amas de petites branches posées les unes sur les autres jusqu’à former une plateforme garnie ensuite avec des matériaux plus moelleux et confortables.
Après une brève mais intense parade nuptiale, lors de laquelle le mâle exhibe sans vergogne sa livrée vaporeuse, saluée par des grincements et des cris peu mélodieux mais excitants pour le partenaire, le nid est occupé et la femelle y pond 4-6 œufs bleuâtres couvés par les deux partenaires pendant 3 semaines.
L’éclosion des œufs a lieu de manière étalée et c’est pourquoi il y a parfois une grande différence entre le premier né et le dernier. Cette différence cause fréquemment Ia mort du benjamin, le plus grand prenant le pouvoir. Les oisillons restent au nid pendant environ 40 jours mais dans les derniers jours ils peuvent en sortir pour gambader dans les branches proches du nid ou dans les buissons aux alentours, si impétueux que parfois ils chutent malencontreusement du nid. Ces moments sont les plus délicats pour les jeunes qui se trouvent ainsi victimes des prédateurs qui, bien conscients que des proies sont disponibles, rôdent souvent en bas de ces colonies.
Contrairement à d’autres ardéidés, l’Aigrette garzette est uniquement diurne. Elle se nourrit de toutes les espèces aquatiques, des poissons aux amphibiens, des insectes aux larves, mais ne dédaigne pas petits rongeurs, serpents et oisillons d’autres espèces. Lorsqu’elle chasse elle est très attentive et fait montre d’une grande astuce, se déplaçant lentement dans l’eau basse, attendant que ses proies bougent. Très souvent, elle agite ses pattes sous l’eau, vers l’avant, de façon à faire bouger des petits poissons ou des grenouilles qu’elle capture d’un coup vif et assuré.
Ses mouvements sont plus agités que ceux d’autres ardéidés et on la voit souvent sautiller ailes à demi ouvertes, en mouvements rapides et frénétiques, avec des sauts en arrière ou de brèves courses vers l’avant en suivant les proies qui essaient de fuir en frétillant. C’est un oiseau très plastique dans ses mouvements si l’on compare à la raideur des mouvements de la Grande Aigrette ou du Héron cendré (Ardea cinerea) ses habituels compagnons d’aventure.
Largement protégée dans toute son aire de répartition, l’espèce n’est pas à risque.
Synonyme
Ardea garzetta Linnaeus, 1766.
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