Famille : Fringillidae
Texte © Dr. Gianfranco Colombo
Traduction en français par Catherine Collin
Si le pauvre Chardonneret élégant pouvait parler et exposer au bon Dieu, son créateur, certaines considérations sur sa situation en ce monde, je pense qu’il aurait sans aucun doute beaucoup à redire.
Il lui reprocherait sûrement de l’avoir créé trop beau et trop coloré, trop enjoué et trop vif, trop aimable et affectueux, car il est certain que sans ces qualités sa vie aurait été bien plus facile!
Toutes ces caractéristiques l’ont placé tout en haut de la liste des espèces les plus tourmentées par l’homme, au nom d’un prétendu amour pour les animaux, qui le mène à emprisonner ce petit passereau pour toute sa vie, pour le simple plaisir éhonté de détenir un beau petit oiseau en cage.
Depuis toujours, le Chardonneret élégant est capturé, en très grand nombre, aux quatre coins du monde méditerranéen, du Moyen-Orient et de l’Asie pour ce motif insensé et il est encore aujourd’hui l’objet d’un commerce illégal sans limites.
Et ce fut bien pire encore dans le passé, à tel point qu’en Angleterre, jusqu’à la seconde moitié du XIXème siècle, cet oiseau était l’objet d’un prélèvement tel que s’il n’avait été interrompu, il aurait mené à l’extinction de l’espèce.
La popularité du Chardonneret élégant augmenta grandement à l’époque victorienne et la demande en oiseaux devint si forte que l’on assista alors aux prémices d’un danger d’extinction de l’espèce. On peut lire dans un rapport remis au Parlement anglais, qu’en 1860 il y eut un prélèvement de 132 000 individus dans une seule aire bien déterminée et l’année suivante est signalé le cas d’un garçon qui, en un seul jour, en avait capturé près de 500.
Il est clair qu’à ce rythme on n’allait pas tarder à rencontrer d’importants problèmes concernant la survie de l’espèce, et c’est pourquoi furent promulguées des lois en faveur de ce splendide petit oiseau. A cette époque, pour piéger ces oiseaux, on utilisait des filets, de la glu et des trappes de toutes sortes, les mêmes moyens qu’utilisent encore aujourd’hui les braconniers méditerranéens qui, acharnés et la plupart du temps presque impunis, continuent sans relâche à persécuter cette espèce.
La plupart prétendent que l’intérêt montré envers cet oiseau est dû à ce chant qu’il émet de manière persistante et continue et qui égaye les journées d’été mais aussi à l’affection qu’il montre envers ses geôliers.
S’il est vrai qu’il fait preuve d’une grande cordialité envers celui qui l’a mis en cage, en ce qui concerne le chant, le Chardonneret élégant ne montre pas ces dons typiques des oiseaux chanteurs aux chants mélodieux ou aux voix de stentors.
Le chant du Chardonneret élégant est un mélange de brefs gazouillis aigus et stridents, parfois mélodieux mais entrecoupés de couplets rapides et dissonants et de rapides trilles secs qui n’ont rien à voir avec la mélodie riche et tonale d’un Rossignol Philomèle (Luscinia megarhynchos) ou d’une Fauvette à tête noire (Sylvia atricapilla).
Pour beaucoup, c’est un chant plaisant mais c’est plutôt sa livrée colorée qui porte à choisir cet oiseau, combiné à la facilité avec laquelle on peut l’élever.
Il n’est certainement pas aussi aisé de garder en cage un Rossignol Philomèle ou une Fauvette à tête noire, oiseaux qui nécessitent des soins particuliers et une alimentation qui n’est pas toujours disponible tout au long de l’année.
Le Chardonneret élégant (Carduelis carduelis Linnaeus, 1758) appartient à l’ordre Passeriformes et à la famille Fringillidae, un groupe qui comprend un nombre infini d’oiseaux répartis sur tous les continents et considérés comme faisant partie des plus joyeux et colorés de la gent ailée. L’étymologie du nom scientifique, ici un binôme tautonyme, a une origine latine, de “carduus” = chardon, l’aliment principal de cet oiseau !
En anglais on le nomme European goldfinch, en allemand Stieglitz carduelis, en espagnol Jilguero, en italien Cardellino et en portugais Pintassilgo.
Étant un oiseau très commun, on lui a attribué une infinité de nom régionaux à travers l’Europe, souvent assez folkloriques, tels lavarin, raarì, raar, gardelin, gardein, cardillu, cardidd en Italie, cardonille, cardine en France et au Royaume-Uni goldie, gold linnet, redcap et King Harry’s Red Cap, en souvenir d’une maxime inventée au temps des Tudors pour souligner la palette de couleurs de sa livrée, qui n’a rien à envier aux vêtements d’un souverain. Dans ce pays, le terme “goldfinch” est aussi utilisé en argot pour parler d’une personne riche où qui a fait fortune, précisément pour les nombreuses et remarquables caractéristiques typiques de cette espèce.
Zoogéographie
L’aire de répartition originale du Chardonneret élégant est, de manière générale, le paléarctique et comprend presque toute l’Europe, la Russie jusqu’aux républiques d’Asie Centrale, le Moyen-Orient, l’Irak, l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan et en Afrique les côtes occidentales de la Méditerranée et la vallée du Nil.
Il est absent approximativement à partir du soixantième parallèle vers le Nord et donc de la péninsule Scandinave et parallèlement vers l’Est au-dessus de cette limite. Toutefois, sa facilité d’élevage et les introductions dans la nature dans certaines régions éloignées du globe ont fait que ce petit oiseau est désormais présent en Australie et en Nouvelle-Zélande, dans les Amériques, tant du Nord que du Sud et en Macaronésie.
En fait, cette propagation a suivi exactement les migrations des populations, venues d’Europe lors des derniers siècles, auxquelles il est resté fortement lié. Il ne faut pas oublier que les éleveurs et les amateurs de ces fringillidés ont aussi grandement contribué à cette diffusion. Ils ont également tenté une série infinie de croisements avec d’autres fringillidés, en particulier des canaris, créant des individus de toutes formes et de tous coloris, les fameux mulets, pour le seul plaisir d’en voir de toutes les couleurs !
Le Chardonneret élégant est l’un des fringillidés les plus faciles à hybrider et pour cela on peut affirmer avec certitude que dans tous les coins du monde, ou plutôt dans toutes les cages du monde, il y a un Chardonneret élégant.
Écologie et Habitat
Pour comprendre quel est l’habitat idéal du Chardonneret élégant, il serait peut-être plus simple d’observer où poussent les chardons (Carduus spp.)
Ce n’est pas que cet oiseau se nourrisse uniquement des minuscules graines du chardon mais il faut savoir que là où se trouve cette plante, on rencontre à coup sûr ces fringillidés.
Pour la plupart, les populations de chardonnerets sont considérées comme sédentaires, en particulier celles d’Europe qui ne sont sujettes qu’à de brefs et erratiques mouvements saisonniers plutôt qu’à une véritable migration.
Au contraire, les sous-espèces asiatiques et russes, peut-être à cause du climat hivernal rigoureux d’Asie Centrale, effectuent de véritables migrations qui les amènent à quitter complètement les quartiers d’été pour rejoindre des aires méridionales ou occidentales très éloignées.
Ce comportement a aussi déterminé la division de ce fringillidé en deux souches distinctes : carduelis, l’espèce européenne et caniceps, l’espèce asiatique, qui dans leur sein même ont donné lieu à un nombre incalculable de sous-espèces.
L’habitat du Chardonneret élégant est large et très varié. Cet oiseau est présent dans un grand nombre de milieux, parfois très différents les uns des autres. Il peut s’agir d’un milieu totalement dépouillé et aride avec une végétation basse non cultivée, comprenant des espèces herbacées qui produisent une infinité de petites graines ou encore une campagne cultivée même de manière intensive, y compris en monoculture, mais offrant des coins et des lisières où poussent des plantes herbacées ou encore il peut s’agir de bois entrecoupés de prairies, de talus de routes, de jardins et parcs publics, de vignes et vergers.
Il est présent pratiquement partout du niveau de la mer jusqu’à une altitude d’environ 1 200/1 500 m et du maquis méditerranéen aux landes d’Europe du Nord.
Il est pour lui essentiel qu’il y ait aux alentours un point d’eau, auquel il ne manquera pas de rendre visite plusieurs fois par jour.
Morpho-physiologie
La livrée du Chardonneret élégant est une véritable palette de couleurs ! Sa face est rouge écarlate, avec une bande très blanche sur le menton et la gorge, à la façon d’un bavoir, remontant jusqu’à la nuque. La tête et la nuque sont toutes deux d’un noir très foncé velouté.
La poitrine est crème et les flancs marqués de larges taches de couleur brunâtre-noisette, plus ou moins accentuées selon la sous-espèce, qui s’étirent sur les épaules jusqu’au croupion qui lui, est blanc.
Les ailes sont très noires avec une large bande jaune vif sur les couvertures et les rémiges, présentant une tache blanche sur l’extrémité de ces plumes, ces deux caractères clairement visibles lorsqu’il est en vol. La queue montre des taches blanches sur les rectrices centrales. Les pattes sont rose chair et le bec ivoire. Les yeux sont noirâtres entourés d’un cercle orbitaire noir.
Il n’y a pas de dimorphisme sexuel sauf de petites particularités que seuls les spécialistes réussissent à percevoir. Le rouge facial du mâle déborde légèrement le globe oculaire alors qu’il est un peu plus réduit chez la femelle et le saupoudrage brunâtre sur les flancs est moins marqué chez la femelle.
Au contraire, les juvéniles sont facilement reconnaissables. En fait, ils sont tellement différents qu’ils semblent appartenir à une autre espèce, leur livrée étant tout à fait banale.
Ils sont d’un coloris grisâtre pour l’essentiel, sans le masque rouge sur la face et seul un soupçon de bandeau alaire jaune les rattache à l’espèce. En l’espace de quelques mois leur plumage changera et ils seront alors aussi colorés que les adultes dont on ne pourra plus les distinguer.
Le bec du Chardonneret élégant est conique et particulièrement pointu. Il est très fin, ce qui lui permet d’extraire les minuscules graines des chardons et d’autres essences herbacées que les autres oiseaux ne sont pas en mesure de prélever. Cette caractéristique a conféré à cet oiseau une spécialisation telle qu’elle lui a permis de développer abondement ses populations.
Le Chardonneret élégant est un très petit fringillidé, ne mesurant qu’environ 12 cm de long pour un poids qui varie de 15 à 25 g et une envergure de 23 cm.
La taille de ce petit oiseau diffère pourtant grandement selon le climat de l’habitat fréquenté. Les populations asiatiques montrent une taille bien supérieure à celle des populations occidentales.
De très nombreuses sous-espèces ont été déterminées, principalement liées aux lieux d’origine, en particulier en ce qui concerne les zones les plus reculées de son aire de répartition.
Certains taxonomistes considèrent déjà la sous-espèce Carduelis carduelis caniceps, forme typiquement asiatique, comme une espèce à part entière, la séparant de l’espèce nominale Carduelis carduelis carduelis propre à l’Europe et dans ces deux groupements, ils placent toutes les sous-espèces rencontrées à travers toute l’aire de répartition.
En voici quelques-unes qui concernent l’Europe : Carduelis c. britannica (Royaume-Uni et Mer du Nord), C. c. tschusi (typique de l’Italie et de ses îles), C. c. parva (Macaronésie, péninsule ibérique et Afrique du Nord), C. c. balcanica (Balkans et Turquie) et C. c. carduelis dans le reste du continent européen.
En Asie, d’Ouest en Est, nous avons les sous-espèces : C. c. niediecki, C. c. brevirostris, C. c. colchica, C. c. volgensis, C. c. frigoris, C. c. paropanisi, C. c. subulata, C. c. ultima et Carduelis carduelis caniceps le Chardonneret de l’Himalaya, la sous-espèce qui aspire à devenir une espèce à part entière !
Ethologie-Biologie reproductive
La nidification du Chardonneret élégant se déroule dans la plus grande discrétion et avec une telle réserve qu’il est quasiment impossible d’appréhender où est caché son nid. On le voit flâner dans le jardin pendant quelques jours puis disparaître, puis le voilà de retour, perché au sommet d’une petite branche, tout joyeux, qui pendant des heures fredonne sa ritournelle et puis, il disparaît à nouveau pendant des jours. Ce n’est qu’accidentellement, par le plus grand des hasards, que nous le repérons, un brin de paille dans le bec, qui se pose sur la cime d’un rameau penchant de l’arbre devant notre fenêtre à trois mètres du sol et qui bricole parmi les feuilles.
En effet, le nid du Chardonneret élégant est si petit qu’il passe inaperçu même quand on découvre l’endroit où il l’a bâti. Ce minuscule nid, bâti comme une œuvre d’art, compact et solide, est une coupe parfaitement circulaire, d’à peine plus de 6 cm de large et bien profonde, dont l’intérieur est amolli avec du duvet, des poils d’animaux, du coton végétal ainsi que des fils de toiles d’araignées.
Sa construction incombe à la femelle tandis que le mâle apporte une grande partie des matériaux nécessaires. Le couple est monogame uniquement durant la saison de reproduction. La femelle pond de 4 à 7 œufs assez petits, couleur crème et largement parsemés de minuscules points rougeâtres surtout dans la partie la plus large. L’incubation dure environ 12/13 jours et incombe à la seule femelle. Parfois l’œuf montre des nuances bleutées assez marquées.
Les deux parents se consacrent ensemble aux soins des petits qui prendront leur envol après deux semaines environ.
Pendant cette période le Chardonneret élégant devient majoritairement insectivore mais dès que les petits peuvent digérer des graines et des céréales, son régime alimentaire change du tout au tout et devient exclusivement granivore et ce, pour toute la famille.
Lorsque les petits ont pris leur envol ils suivent leurs parents pendant quelque temps encore même si le couple a déjà débuté une nouvelle couvée. Le Chardonneret élégant est très prolifique et effectue habituellement deux couvées. Certaines années favorables, certains couples vont même jusqu’à en tenter une troisième. Cette abondante fécondité est à l’opposé de l’espérance de vie de cette espèce qui à l’état sauvage dépasse difficilement quelques années, comme c’est d’ailleurs le cas pour tous les fringillidés.
Ces oiseaux sont très sociables pendant l’hiver et on les voit souvent réunis en groupes parfois très importants mêlés à des Pinsons du Nord, des Pinsons des arbres et d’autres fringillidés. Durant cette saison, ils s’adaptent et mangent aussi des graines qu’ils n’auraient pas mangées pendant le reste de l’année, ou tout au moins des fruits moins alléchants que les autres. On les voit souvent picorer les akènes des fruits du platane, un aliment dédaigné par une grande partie des fringillidés.
Même si les populations sont en diminution, Carduelis carduelis est néanmoins classée “LC, Least Concern”, c’est-à-dire “Préoccupation mineure” dans la Liste Rouge de l’UICN des espèces menacées depuis 2019.
Le Chardonneret élégant a toujours été très apprécié des artistes. La musique, la peinture et la poésie ont souvent fait appel à son image et les œuvres de célèbres artistes en ont laissé dans leurs chefs-d’œuvre des allégories inoubliables. Il suffit de se remémorer La Madone au Chardonneret de Raphaël comme une pensée pour tous ceux qui l’ont évoqué dans leurs œuvres.
Une dernière anecdote basée sur un jeu de mots anglo-saxon. Un regroupement de nombreux chardonnerets est appelé en Angleterre : charm = charme. Une sympathique boutade reprise il y a quelques années par le Daily Telegraph au Royaume-Uni jouant sur ce terme disait : Two may be a charm, but even to spot one is joy itself! Deux, c’est peut-être un charme mais en voir un seul c’est déjà une joie !
Synonyme
Fringilla carduelis Linnaeus, 1758.
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