Bitis arietans

Famille : Viperidae

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Texte © Dr. Gianni Olivo

 


Traduction en français par Virginie Thiriaud

 

Bitis arietans, Vipère heurtante, Viperidae

La vipère heurtante dépasse facilement 1 m et donne naissance, en moyenne, à 20-50 petits © G. Mazza

La Vipère heurtante (Bitis arietans Merrem, 1820) est probablement le Vipéridé le plus répandu en Afrique et l’un des plus caractéristiques et des mieux connus de sa famille.

Elle est en effet présente dans toute l’Afrique subsaharienne, à l’exception de l’étroite bande de forêt tropicale le long des côtes du golfe de Guinée et de la forêt tropicale du bassin du Congo. Dans la partie sud-ouest du continent, elle est également absente du désert du Namib, au sud de Swakopmund, et de la Skeleton Coast, au nord de cette même ville namibienne.

Elle s’adapte à une grande variété d’habitats, ce qui explique en partie son succès en tant que colonisatrice. L’un de ses habitats préférés est la savane herbeuse, avec des touffes de buissons éparses.

On la trouve depuis le niveau de la mer jusqu’à 3 500 m d’altitude, aussi bien dans les zones rocheuses que dans les plantations luxuriantes ou dans le dense fynbos (maquis) de la côte sud.

Elle colonise parfois des zones arides, mais est absente du vrai désert. On peut la rencontrer dans des petites zones de forêt, mais pas dans la vraie forêt tropicale, alors qu’elle ne dédaigne pas la forêt galerie.

Pour donner un exemple, j’ai déjà trouvé deux vipères heurtantes s’accouplant dans la forêt de Knysna, tous deux avec une belle livrée très sombre, sur laquelle se détachaient des taches vertes. C’est un grand Vipéridé, qui mesure en moyenne entre 80 cm et 1 m de long, bien que dans certains pays africains, comme l’Ouganda, le Kenya et la Somalie, des spécimens de plus de 190 cm aient été observés.

Même s’il s’agit d’un serpent au corps robuste, un spécimen de 190 cm pèse probablement beaucoup moins qu’une vipère du Gabon de longueur correspondante. Il n’en reste pas moins un reptile à l’apparence impressionnante doté d’un tempérament colérique, prêt à réagir à la moindre interférence.

Concernant les spécimens de taille remarquable en Somalie, il est intéressant de noter qu’il existe une sous-espèce somalienne (Bitis arietans somalica), distincte de la commune Bitis arietans arietans, non pas tant pour des différences de taille ou de coloration, mais pour une caractéristique précise : la présence d’écailles sous-caudales carénées chez la sous-espèce somalienne.

Dans certaines zones, ce reptile peut atteindre des dimensions moyennes plus importantes, peut-être en raison de conditions environnementales particulièrement favorables. Dans notre réserve en Afrique du Sud par exemple, bien que la vipère heurtante ne soit pas très fréquente (les espèces les plus nombreuses sont le mamba noir et le cobra cracheur du Mozambique), j’ai trouvé et mesuré des spécimens de 120 à 130 cm.

Le corps de cette vipère est robuste et présente, à mi-longueur, 30 à 40 rangées d’écailles obliques. Le cou est relativement mince comparé à la tête ; la distinction entre la tête et le corps est donc évidente. La tête est large et aplatie, biseautée et arrondie à son extrémité, avec de grandes narines ouvertes vers le haut. L’œil a une pupille verticale. La tête est couverte de petites écailles imbriquées et carénées.

La coloration varie selon la zone et l’habitat : la couleur de fond peut être brune, crème, jaunâtre, orange pâle ou grise. Sur cette base, on observe 18 à 22 motifs sombres à bords clairs en forme de V dont la pointe est dirigée vers la queue. Sur la face dorsale de la queue, on note 2 à 6 bandes transversales, dans une alternance de couleurs claires et foncées.

Des spécimens aux couleurs anormales existent également. Dans une zone pierreuse de Namibie, j’ai en effet rencontré un individu presque complètement gris et sur lequel les dessins caractéristiques étaient quasi absents. Une autre vipère heurtante dont j’ai vu la photo était complètement grise avec seulement une bande sombre sur le dos.

Bitis arietans, Vipère heurtante, Viperidae

La coloration, toujours très mimétique, varie en fonction de l’habitat, qui est très vaste © Giuseppe Mazza

C’est un animal généralement nocturne qui chasse en embuscade, faisant confiance à son immobilité. Cependant, on le rencontre souvent pendant la journée lorsqu’il se prélasse au soleil.

Après une nuit froide, on peut rencontrer un nombre étonnant de ces reptiles couchés sur les pistes ou sur les routes et, bien qu’il s’agisse d’animaux terrestres, ils n’hésitent pas à grimper dans les buissons bas, notamment lorsque le sol est humide.

La locomotion est généralement de type “chenille”, c’est-à-dire avec de lentes contractions des muscles ventraux qui lui permettent de procéder en ligne droite, laissant une trace caractéristique, bien différente de celle de la plupart des serpents. Cependant, si la vipère heurtante est menacée ou effrayée, elle se déplace plus rapidement, avec un mouvement serpentin et légèrement latéral, rappelant le sidewinding de certains Vipéridés des zones sableuses (Vipère à cornes d’Afrique du Sud, Crotale cornu et autres serpents du genre Cerastes).

Ovovivipare, elle donne naissance à 20 à 50 petits en moyenne. Une observation faite en Afrique de l’Est a fait état d’une couvée dénombrant 156 juvéniles.

Les relations avec l’Homme

C’est l’un des serpents les plus dangereux d’Afrique, mais cette affirmation doit être clarifiée, je me permettrai donc une digression. Le danger que représente un serpent pour l’Homme n’est pas seulement fonction de la puissance de son venin, même si j’ai remarqué que, pour beaucoup, cette donnée est la plus frappante. Par exemple, le Taïpan du désert (Parademansia microlepidota pour les uns, Oxyuranus microlepidotus pour les autres) est doté du plus puissant venin parmi les serpents, tout du moins les terrestres. Pour donner une idée, en prenant comme unité de mesure la puissance du venin du Cobra indien (Naja naja), nous aurons une puissance de 0,25 pour le venin du Cobra royal (Ophiophagus hannah), de 0,06 pour celui du Crotale diamantin de l’Est (Crotalus adamanteus), de 4,25 pour le Serpent-tigre (Notechis scutatus), de 7,87 pour le Taïpan côtier (Oxyuranus scutellatus) et de 49,5 pour le Taïpan du désert (Parademansia microlepidota).

En d’autres termes, le venin de cette dernière espèce est 50 fois plus puissant que celui d’un Cobra indien, 6 fois plus puissant que celui du tristement célèbre et très dangereux Taïpan côtier, 200 fois plus mortel que celui du Cobra royal (qui compense très bien ce handicap par des doses industrielles de venin) et pour ce qui est du Crotale, je vous laisse faire le calcul car les mathématiques ne sont pas mon point fort. Cependant, le Taïpan du désert ne semble pas avoir jamais causé de morts humaines, car il s’agit d’un reptile peu commun à rencontrer (et c’est là qu’intervient un des facteurs de dangerosité, c’est-à-dire la fréquence des rencontres avec les humains), car son tempérament n’est pas agressif (autre facteur de dangerosité), et également parce qu’il a des crochets à venin assez courts, mesurant en moyenne 3 à 5 mm, contre 10 à 12 mm pour un Taïpan côtier (troisième paramètre important).

La dangerosité qu’un serpent présente envers l’être humain est donc conditionnée par les variables suivantes : puissance du venin, fréquence et probabilité de rencontre homme-serpent, tempérament du reptile (doux, modérément agressif, très agressif), taille du serpent (à puissance de venin, agressivité et fréquence des rencontres identiques, un grand serpent peut plus facilement mordre à grande distance, soit aux mains, soit au visage. En outre, une taille plus grande correspond généralement à une bouche plus large et à des défenses souvent plus longues).

La concomitance de tant de paramètres m’a poussé, il y a quelques années, à essayer de remplir un tableau sur la dangerosité des différents serpents. Celui-ci est le résultat d’interprétations personnelles et ne fait donc pas foi, mais je pense qu’il reflète de manière assez réaliste la différence de risque (au-delà de celui communément perçu) face à diverses espèces.

Bitis arietans, Vipère heurtante, Viperidae

Une tête effrayante. Seuls 5 à 10 % des morsures sont mortelles car elle n’injecte pas toujours le venin © Giuseppe Mazza

Je ne citerai pas ici un tel tableau, mais je voudrais simplement mentionner quelques-unes de mes conclusions et répéter qu’il ne s’agit que d’opinions personnelles avec lesquelles d’autres personnes pourraient être en désaccord.

Par exemple, la morsure du Mamba noir est mortelle dans presque 100% des cas non traités, tant pour la puissance du venin que pour la dose inoculée, et parce qu’il est l’un des rares serpents qui ne mordent presque jamais sans injecter de venin. Ce serpent résulte avoir (dans mon tableau) une dangerosité égale à celle de la Vipère heurtante, qui est souvent responsable de morsures “sèches” (dry bites), c’est-à-dire sans inoculation de toxines. Sa morsure est, par conséquent, mortelle dans un pourcentage beaucoup plus faible de cas.

Il convient de noter que le tableau que j’ai mentionné ne tient pas simplement compte du nombre de décès (certainement ceux dus à la vipère heurtante dépassent ceux dus au mamba) mais d’un certain nombre de facteurs : une seule morsure de mamba noir est une urgence plus pressante et plus dramatique qu’une morsure “complète” (avec injection de venin, full bite) de vipère heurtante. Cela attribue une note beaucoup plus élevée au mamba dans cette catégorie. Cependant les chances d’être mordu sont de 1 à 30 en faveur de la vipère heurtante, qui a donc un score plus élevé dans ce domaine. En conclusion, je considère que la dangerosité globale de ces deux serpents est égale, alors que la dangerosité d’une vipère du Gabon est bien moindre, bien qu’une morsure éventuelle de cette espèce représente une urgence bien plus grave qu’une morsure de Bitis arietans.

Il convient de noter que ce tableau n’a pour unique but que de mesurer empiriquement la dangerosité “sur le terrain”. Si quelqu’un voulait, en revanche, calculer l’impact “sanitaire” des morsures de serpent, il faudrait considérer le nombre de morsures, les personnes hospitalisées ou traitées, les décès, les résultats invalidants, … Je laisse volontiers à d’autres le soin de réaliser un tel travail de titan.

Pour en revenir à Bitis arietans, son caractère agressif, ses longs crocs venimeux (jusqu’à 3 cm) et un poison assez puissant (dose létale pour l’homme : 100 mg ; dose pouvant être inoculée par une morsure : 100 à 350 mg) la rendent responsable d’un grand nombre d’accidents. Mais rappelons que les morsures sèches sont fréquentes et que seulement 5 à 10 % des morsures sont fatales.

Puisqu’il s’agit d’un animal qui se camoufle pour échapper à l’attention des prédateurs, les personnes qui marchent pieds nus ou avec des chaussures légères (tennis, sandales), pire encore de nuit, qui travaillent à mains nues dans les champs ou ramassent du bois, courent un grand risque de toucher ou marcher sur une vipère heurtante. Souvent, le reptile prévient par un sifflement profond qui simule celui d’un pneu percé, mais il n’est pas rare que la vipère morde sans aucun avertissement. Elle frappe alors à une vitesse fulgurante, plantant profondément dans la chair de la victime ses longues défenses, qui peuvent transpercer vêtements et chaussures en toile.

Le venin a une action cytotoxique et hémotoxique. Les premiers symptômes, en cas d’empoisonnement, sont des douleurs et une tuméfaction, souvent accompagnés d’une décoloration de la zone affectée. L’œdème peut augmenter rapidement et de façon spectaculaire, avec une augmentation impressionnante du volume du membre mordu, tandis que les ganglions lymphatiques régionaux sont gonflés et douloureux.

Il peut en résulter une compression des vaisseaux sanguins, ce qui accélère la nécrose des tissus et une éventuelle gangrène. L’augmentation de la pression interne est contenue par les masses musculaires, ce qui accentue la douleur et le risque de gangrène et nécessite souvent une aponévrotomie pour réduire la compression. Sur la peau se forment des cloques contenant du sang et il y a souvent des saignements et des thromboses même à distance de la morsure. Dans les cas les plus graves, la mort survient généralement dans les 2 à 4 jours qui suivent la morsure, souvent en raison de complications ultérieures, d’hémorragie cérébrale ou de choc hypovolémique ou septique. Les cas de décès en quelques heures sont rares et peuvent être attribués à des problèmes cardiaques (souvent préexistants), à une hémorragie cérébrale ou un œdème pulmonaire. Les cas de décès en quelques minutes (comme celui du jeune passionné de reptiles, rapporté dans un livre célèbre et le film connexe) sont, selon toute vraissemblance, attribuables à un choc allergique (anaphylactique), plus probable chez ceux qui ont déjà été exposés au poison.

Bitis arietans, Vipère heurtante, Viperidae

Récolte du venin pour fabriquer le sérum qui ne doit être utilisé que sous contrôle médical © G. Mazza

Le sérum polyvalent est efficace pour traiter les cas d’empoisonnement grave, mais il faut se rappeler que les éventuels dommages liés à la nécrose, dans les cas traités tardivement ou insuffisamment, peuvent être invalidants et permanents. La perte d’un doigt ou d’un membre n’est pas rare.

Il est courant de transporter avec soi un paquet de sérum tel un viatique qui vous protège de tout mal, mais il est nécessaire d’apporter quelques précisions à cet égard. Le sérum peut être plus dangereux que la morsure de serpent. En effet, le reptile peut avoir mordu sans injecter le venin (morsure sèche), tandis qu’un choc anaphylactique de sérum peut envoyer 6 pieds sous terre en quelques minutes.

Le sérum doit être administré par voie intraveineuse (si possible en perfusion lente) et souvent en grande quantité (jusqu’à 120 à 200 cc pour une morsure de mamba). S’il était injecté par voie intramusculaire, l’absorption serait trop lente pour lutter contre une situation critique. Il est donc préférable que le sérum soit injecté par un personnel qualifié, ayant à portée de main le nécessaire pour lutter contre une éventuelle réaction allergique. Cela implique l’utilisation d’adrénaline, car la cortisone seule, même à fortes doses, peut difficilement maîtriser une réaction allergique grave. On doit également se tenir prêt à pratiquer une ventilation assistée.

Le sérum doit être conservé au frais, ce qui n’est pas facile lors d’une excursion en brousse. À la lumière de ces considérations, le sérum administré par du personnel non médical peut être nécessaire en cas de morsure par un Elapidae (cobra ou mamba) lorsqu’elle advient dans une zone reculée, même si la respiration assistée pourra malgré tout être nécessaire. Mais, lorsque cela est possible, il convient de transporter la personne blessée le plus rapidement possible vers une installation équipée. Cette solution idéale n’est malheureusement pas toujours réalisable.

En cas de morsure de vipère heurtante, il n’est pas dit qu’il s’agisse d’une morsure complète.  Même à l’hôpital, on s’abstiendra donc parfois d’administrer le sérum, sauf si les symptômes de la toxine apparaissent, se limitant à une thérapie locale et au traitement du tétanos (les morsures de serpent en constituent un risque remarquable). La meilleure thérapie reste de ne pas se faire mordre et il est donc utile de rappeler quelques conseils : ne marchez pas pieds nus ou avec des chaussures inadéquates, regardez toujours où vous mettez les pieds et les mains, et portez des pantalons longs et résistants, comme un jean, qui offrent une certaine protection.

Si vous marchez de nuit, utilisez toujours une source de lumière. Si vous devez franchir un obstacle, comme un tronc ou un rocher, ne sautez pas par-dessus : de l’autre côté, il pourrait y avoir un cobra ou une vipère. Il est plutôt préférable de monter sur l’obstacle, regarder ce qu’il y a de l’autre côté, puis descendre. Un jour, un de mes amis a sauté un tronc d’arbre et a atterri sur un léopard endormi. Tout s’est résolu en une fuite des deux effrayés, mais les choses ne se passent pas toujours aussi bien.

Si vous dormez dans une tente, laissez-la toujours fermée. Il y a peu de temps, au Botswana, une personne a été mordue au pied par un cobra cracheur du Mozambique qui s’était enfilé dans son lit. Au Mozambique, mon fils a trouvé un locataire dans le lit de camp : c’était un inoffensif Psammophis condanarus, mais cela aurait pu être autre chose. Si vous êtes dans une cabane qui ne peut pas être fermée de manière hermétique, fermez attentivement au moins le lit de camp. Avec la moustiquaire bien ancrée sous le matelas, vous éloignerez les serpents et les moustiques porteurs de la malaria ou de la fièvre jaune. Après une nuit dans la brousse ou dans un champ, vérifiez et secouez vos vêtements et vos chaussures : en plus des serpents, il peut aussi y avoir des scorpions. Si vous n’êtes pas un expert, n’essayez pas d’attraper des serpents et ne ramassez pas les serpents “morts” : certains reptiles très venimeux, tels que le Cobra égyptien commun (Naja haje), le Cobra égyptien bandé (Naja annulifera) et le Ringhal (Hemachatus haemachatus), font semblant d’être morts pour être laissés en paix mais, s’ils sont ramassés, ils reviennent rapidement à la vie et vous mordent.

Si vous vivez dans une ferme, ne laissez pas s’accumuler bric-à-brac, branches ou autres choses offrant un abri aux serpents et aux souris qui, à leur tour, attirent les serpents. Les résidus de nourriture attirent également les rongeurs et donc les serpents. Les arbres, plantes grimpantes et branches contre les murs ou en saillie sur le toit, souvent en roseau ou en chaume, sont décoratifs mais dangereux. Une fois, dans ma maison africaine, un mamba noir est descendu d’une branche sur le toit de chaume, a glissé sur le balcon puis est allé dans la salle de bain. Par chance je l’ai vu alors qu’il entrait, sinon quelqu’un l’aurait trouvé comme compagnon de douche.

 

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