Atropa belladonna

Famille : Solanaceae

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Texte © Prof. Giorgio Venturini

 

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Traduction en français par Michel Olivié

 

Toutes les parties d'Atropa belladonna, en particulier les racines, sont très vénéneuses © Giuseppe Mazza

Toutes les parties d'Atropa belladonna, en particulier les racines, sont très vénéneuses © Giuseppe Mazza

La belladone ou morelle furieuse (Atropa belladonna L 1754), appelée en anglais Deadly Nightshade, Dwale, en italien Belladonna, en espagnol Belladona et en allemand Tollkirsche est une plante herbacée pérenne, d’une hauteur pouvant atteindre 2 m, aux racines pivotantes et à la tige dressée, robuste, ramifiée et visqueuse qui appartient à la famille des Solanaceae.

Elle pousse dans les zones de montagne et de colline et les clairières humides des bois de feuillus, surtout de hêtres et plus rarement de chênes jusqu’à une altitude de 1.500 m. Elle est largement répandue dans toute l’Europe centrale et méridionale, l’Afrique du Nord et le Sud-Ouest de l’Asie. Elle a été introduite en Amérique du Nord et est cultivée comme plante officinale.

Le nom du genre Atropa vient d’Atropos, une des trois Moires de la mythologie grecque qui personnifiaient le Destin inéluctable. Les Moires étaient Clotho (κλωθω, qui veut dire filer en grec), qui tissait le fil de la vie de chacun, Lachésis (λαχησισ, la destinée en grec), qui mesurait la longueur du fil, c’est-à-dire de la vie fixée par le Destin, et Atropos (ατροποσ = l’inflexible) qui coupait le fil avec ses ciseaux et ordonnait ainsi la mort.

Trois espèces venimeuses ont été dédiées aux trois Moires : Clotho est, en toute logique, une araignée (aujourd’hui l’ Uroctea) et Lachesis muta est un grand serpent venimeux de la forêt amazonienne (la terreur des bois, surucucu au Brésil et shushupe au Pérou).

Le nom de l’espèce belladonna vient de la pratique, connue depuis l’Antiquité, consistant à utiliser un extrait aqueux de cette plante en guise de collyre afin de dilater la pupille des femmes et de leur donner ainsi un regard séduisant. Selon une autre hypothèse ce nom dériverait du mot français “belle femme” utilisé au Moyen-Âge pour désigner les sorcières qui faisaient usage de cette plante pour la préparation d’onguents hallucinogènes.

La plante dégage une odeur désagréable. Les feuilles sont opaques, grandes (5 à 9 x 10 à 15 cm), ovales, aux bords entiers ou légèrement lobés, acuminées à l’apex, alternes et velues. Les feuilles portées par la tige sont simples et opposées. Sur les rameaux les feuilles vont par paires : l’une est plus grande, l’autre plus petite et elles sont alternes. Les fleurs, qui éclosent de juin à septembre, sont portées par un pédoncule de 1 à 2 cm. Le calice a un tube de 5 à 6 mm et des dents de 4 à 5 mm.

La corolle est de couleur brun violet et jaunâtre à l’intérieur avec des nervures foncées. L’androcée a 5 étamines et de grandes anthères, un ovaire biloculaire avec un seul style et un stigmate bifide. Les fruits sont des baies de couleur noire à maturité, luisantes et sphériques d’environ 15 à 20 mm. La plante est pollinisée par les insectes.

Toxicité et propriétés pharmacologiques

Haute jusqu'à 2 m elle pousse dans les zones de montagne, colline, clairières humides et à l'orée des bois jusqu'à 1.500 m © Giuseppe Mazza

Haute jusqu'à 2 m elle pousse dans les zones de montagne, colline, clairières humides et à l'orée des bois jusqu'à 1.500 m © Giuseppe Mazza

Atropa belladonna est une des plantes les plus toxiques. Toutes ses parties sont fortement vénéneuses, notamment les racines. Les fruits sont la partie la moins toxique mais sont cependant également responsables de nombreux empoisonnements à cause de leur aspect brillant qui attire en particulier les enfants.

La toxicité et les propriétés pharmacologiques sont analogues à celles des autres Solanacées comme le Stramoine (Datura stramonium) et le jusquiame (Hyoscyamus niger), mais la belladone est particulièrement dangereuse à cause du contenu extrêmement élevé de ses substances actives.

Sa toxicité est due essentiellement aux alcaloïdes appelés Atropine (DL-Iosciamina), L-Hyoscyamine et Scopolamine ou Hyoscine.

Ces substances inhibent fortement la liaison du neurotransmetteur acétylcholine avec ses récepteurs muscariniques du système nerveux central et du système nerveux autonome parasympathique (voir le texte du Hyoscyamus niger).
Les effets provoqués par la belladone sont des altérations des capacités cognitives avec amnésie et blocage des facultés d’acquisition des connaissances, des hallucinations, l’inhibition des sécrétions salivaires, gastriques et intestinales, de la vasoconstriction, la mydriase (dilatation de la pupille), de la tachycardie, des nausées, des vomissements et, à doses élevées, des hallucinations, le coma et la mort.

Atropa belladonna est toxique aussi pour les animaux domestiques chez qui elle provoque des narcoses et des paralysies. En revanche les lapins mangent ses feuilles sans dommages apparents. Beaucoup d’oiseaux également se nourrissent de ses fruits et contribuent à la diffusion de cette plante en dispersant les graines avec leurs excréments.

De nombreux insectes sont immunisés contre la toxicité de la belladone : c’est ainsi que Epitrix atropae un coléoptère de la famille des chrysomèles qui est un parasite caractéristique de la belladone et aussi les larves du Doryphore (Leptinotarsa decemlineata), un autre chrysomélidé qui est le célèbre et très nuisible parasite de la pomme de terre, peuvent se développer en se nourrissant de ses feuilles.

Matière première depuis l'Antiquité des médecins, empoisonneurs et sorcières elle a une tige très ramifiée et visqueuse © Giuseppe Mazza

Matière première depuis l'Antiquité des médecins, empoisonneurs et sorcières elle a une tige très ramifiée et visqueuse © Giuseppe Mazza

La belladone a un usage thérapeutique depuis des siècles avec de nombreuses applications comme produit relaxant pour les muscles, comme anti-inflammatoire, pour le traitement des douleurs, surtout menstruelles, et contre le mal de mer. Des extraits de belladone sont toujours présents dans la pharmacopée officielle, même s’ils sont aujourd’hui beaucoup moins utilisés étant donné que l’on préfère évidemment recourir aux principes actifs à l’état pur, que l’on peut doser en toute sécurité, plutôt qu’ à des préparations dont le potentiel pharmacologique est moins prévisible. Le principal alcaloïde de la belladone, l’atropine, est aujourd’hui utilisé pour le traitement des spasmes de l’estomac et de l’intestin, des coliques biliaires et dans les cas de sécrétion excessive de salive (sialorrhée).

La principale application concerne l’ophtalmologie et consiste à provoquer la dilatation de la pupille (mydriase) pour les examens du fond de l’œil. On l’administre aussi avant l’induction de l’anesthésie.

L’atropine est également utilisée dans le traitement des empoisonnements par des esters organophosphorés (par exemple des insecticides) et par des champignons. Elle est aussi employée en association avec d’autres médications comme sédatif. Des préparations à base de belladone sont utilisées en homéopathie même si l’on ne peut prouver scientifiquement leur efficacité vu que la dilution de la préparation la plus utilisée en homéopathie est celle de 30C qui correspond à une dilution de 1.060 (on peut dire que c’est comme si une goutte de belladone était diluée dans un volume d’eau considérablement plus grand que celui de tous les océans, ce qui signifie qu’il n’ y a dans la solution aucune molécule de belladone mais seulement de l’eau).

Atropa belladonna, tout comme les autres plantes pharmacologiques similaires, à savoir le Stramoine (Datura stramonium) et le Jusquiame (Hyoscyamus niger), est utilisée occasionnellement pour le plaisir , comme stupéfiant , en raison des vives hallucinations et du délire qu’elle provoque. En réalité les hallucinations provoquées par cette plante sont souvent très déplaisantes et son usage est très dangereux à cause du risque élevé de surdoses potentiellement mortelles. Il faut ajouter qu’en fait le contenu des substances toxiques de la plante, qui est toujours très élevé, est extrêmement variable et ce de façon imprévisible.

Plante médicinale, anesthésique, hallucinogène, souvent mortelle © G. Mazza

Plante médicinale, anesthésique, hallucinogène, souvent mortelle © G. Mazza

Malgré ces graves dangers il existe quand même de nombreux utilisateurs, ainsi qu’il ressort des interventions que l’on peut trouver dans divers “forums” où, sur le Net, les utilisateurs échangent leurs recettes et leurs expériences. Le contenu de ces forums est vraiment déconcertant. On y parle de récolte et de consommation de champignons non identifiés ou de mélanges de plantes des types les plus divers sans la moindre connaissance des risques encourus. On citera seulement un exemple parmi tant d’autres publié dans un de ces “forums” :

“Quelqu’un a-t-il déjà essayé de boire une décoction de feuilles de belladone ? Je l’ai fait. Après avoir mangé deux feuilles j’ai eu un “trip” (un “voyage”, c’est-à-dire un état hallucinatoire) qui a duré 72 heures”. On peut continuer ainsi en décrivant d’autres prouesses de ce genre. Il ne faut pas s’étonner si des accidents parfois très graves ont été constatés.

En lisant de telles choses on a l’impression de revoir l’histoire connue de Barry Kidston, un jeune chimiste américain qui, au cours d’un essai pour synthétiser en laboratoire une drogue opioïde (MPPP) destinée à l’usage personnel, a obtenu au contraire une molécule alors inconnue, aujourd’hui connue sous le nom de MPTP, qu’il s’est injectée par voie intraveineuse, ce qui a eu pour terrible résultat de provoquer la maladie de Parkinson (il avait synthétisé par hasard une substance qui endommage sélectivement les mêmes neurones que ceux qui sont touchés par la maladie de Parkinson et qui est aujourd’hui utilisée pour les recherches sur cette maladie). Sauvé d’une mort immédiate mais avec un système nerveux définitivement endommagé Kidston mourra d’une overdose d’héroïne. Ce cas célèbre d’agissement absurde a été rapporté à titre d’exemple pour montrer la dangerosité de l’usage des stupéfiants en général et de ceux que l’on réalise soi-même en particulier.

Histoire, usages magiques et empoisonnements

La belladone a une très longue histoire comme plante médicinale, cosmétique et poison. Depuis l’Antiquité elle a été utilisée comme anesthésique lors des opérations chirurgicales. Dans la Grèce antique les Ménades, adoratrices de Dionysos, consommaient de la belladone pour entrer en transes. La plante était appelée “circaeon” en référence à la magicienne Circé, enchanteresse et empoisonneuse. Les prêtres romains de Bellone, la déesse de la guerre, buvaient une infusion de belladone avant d’invoquer la déesse. L’armée de Marc-Antoine, pendant la guerre contre les Parthes, fut atteinte d’un empoisonnement massif à la belladone. Il semblerait que les soldats, à court de vivres, se soient nourris de plantes cueillies dans les bois.

La mort de l’empereur Claude a été attribuée à l’administration de belladone par une célèbre empoisonneuse, appelée Locuste, qui fut emprisonnée puis condamnée à mort (en l’an 68) pour ce crime. On a puni ainsi l’exécutrice mais non le commanditaire, qui était presque sûrement Agrippine, l’épouse de Claude et la mère de Néron qui monta sur le trône impérial laissé vacant par Claude. Pour la mort aussi du premier empereur, Auguste, on soupçonne l’emploi de la belladone par son épouse , Livia, pressée de voir son fils Tibère sur le trône. Dans la gens Julia, à l’évidence, on ne faisait pas confiance pour la succession au trône à la mort naturelle et l’on cherchait donc une aide du côté de la pharmacologie.

Galien (129-vers 216), le plus célèbre médecin de la Rome antique, a cité dans ses traités les effets curatifs de la belladone. On dit que cette plante aurait sauvé l’Écosse de l’invasion des Danois au XIe siècle. Les Danois auraient demandé de l’hydromel comme part de butin en échange de l’octroi d’une trêve. Macbeth, qui était alors le général du roi Duncan d’Écosse, fournit de l’hydromel empoisonné à la belladone. Il massacra ensuite les Danois pendant leur sommeil. Macbeth, par la suite, assassina le roi Duncan et monta sur le trône mais connut lui aussi une triste fin. Dans Shakespeare, Macbeth et Banquo, après avoir rencontré les sorcières, se demandèrent s’il ne s’agissait pas d’une hallucination provoquée par une racine, en pensant probablement à la belladone.

Elle a une odeur désagréable, comme il sied à la “plante du Diable”, et des fleurs violacées © Giuseppe Mazza

Elle a une odeur désagréable, comme il sied à la « plante du Diable », et des fleurs violacées © Giuseppe Mazza

“Or have we eaten on the insane root that takes the reason prisoner ?” “ Où peut-être avons-nous consommé cette racine vénéneuse qui rend la raison prisonnière ?” Shakespeare, Macbeth, acte I.

La Thessalie, dans la Grèce antique, était considérée comme étant la terre des sorcières . Celles-ci, selon la tradition, fournissaient un vin à la belladone qui servait de puissant philtre d’amour lequel, à des doses appropriés, augmentait le désir sexuel mais qui, à des doses excessives, provoquait une paralysie respiratoire. La belladone a aussi été utilisée comme collyre par les femmes afin d’être plus désirables.

La belladone, au Moyen-Âge, était considérée comme un plante du Diable probablement à cause de sa toxicité mais aussi de la diffusion de son usage par les sorcières, les incantatrices et les chamanes.

À cause de son pouvoir hallucinogène la plante était utilisée pour provoquer des états de transes et pour la divination. Elle était un des composants des onguents des sorcières utilisés pour leur “vol” (voir le texte sur le jusquiame). L’application de l’onguent était accompagnée de formules magiques comme celle qui a été rapportée dans les actes d’un procès intenté à une sorcière de l’Ombrie au XVe siècle : “Onguent, onguent, envoie-moi au noyer de Bénévent sur l’eau et sur le vent et sur tout mauvais temps !”.

Vu que la belladone était considérée comme la propriété du Démon, celui qui la cueillait risquait de se trouver face à face avec le Diable en train de soigner et de cueillir ses plantes. On disait qu’une seule fois par an, dans la nuit du 30 avril au Ier mai, le Diable ne dispensait pas ses soins car il se préparait pour le sabbat de la nuit de Walpurgis.

Les empoisonnements accidentels dus à l’ingestion de belladone sont nombreux, probablement à cause de l’aspect attrayant des baies et surtout de l’ignorance. Très souvent, en effet, la belladone est récoltée, ou tout bonnement cultivée, dans des lieux où poussent des plantes comestibles. Un exemple est fourni dans un quotidien de juin 2013 :

Les baies noires et luisantes, au centre d'une structure étoilée, attirent hélas l'attention des enfants © Giuseppe Mazza

Les baies noires et luisantes, au centre d'une structure étoilée, attirent hélas l'attention des enfants © Giuseppe Mazza

“La grand-mère cultivait de la sauge sur son balcon. Ou du moins croyait-elle cultiver de la sauge. Après l’avoir servie à table à son compagnon, à sa fille âgée de 46 ans et à son neveu de 11 ans tous se sentirent mal au point de devoir être hospitalisés d’urgence. La cause de l’intoxication devrait être l’ “atropa belladonna”…Quelques feuilles de cette plante, qui a été identifiée par les analyses, sont suffisantes pour causer des malaises et même le lavage d’estomac n’a pas réussi à éviter le pire. L’enfant est plongé dans un coma pharmacologique tandis que la mère est en réanimation dans un état très grave et que les grands-parents sont dans un autre hôpital”.

En 2013 la presse italienne a fait état de trois autres cas du même genre mais ceux-ci, à coup sûr, ne constituent pas des événements exceptionnels. La littérature médicale, en effet, fait état de 62 cas d’hospitalisation en Angleterre de 2007 à 2011 dus à des empoisonnements provoqués par l’ingestion de parties de cette plante. À ces cas on doit ajouter les nombreuses intoxications dues à l’usage de la plante ou de ses extraits comme drogue hallucinogène.

Selon le centre de contrôle des poisons aux États-Unis on a relevé en 2007 938 cas d’intoxication dus à la belladone ou à des plantes similaires. Les données des autres années sont équivalentes. Parmi les cas qui ont été rapportés le plus curieux est peut-être celui d’un prêtre qui, se trouvant à la campagne, a mangé des baies de belladone et a été retrouvé errant nu dans les bois, en proie à des hallucinations et qui refusait tout type de secours.

Selon une étude conduite sur un espace de 29 années l’Atropa belladonna a causé plus d’accidents graves qu’aucune autre plante. Les symptômes les plus communs de l’empoisonnement apparaissent rapidement et consistent en une sécheresse de la bouche, des nausées, parfois des vomissements, la mydriase (pupilles dilatées), une allure chancelante (les personnes empoisonnées semblent ivres), des vertiges, des difficultés respiratoires et des émissions involontaires d’excréments et d’urine. Dans les cas les plus graves des délires accompagnés d’ hallucinations apparaissent et sont suivis de coma et, éventuellement , de la mort due à des paralysies généralisées au bout de 24 à 36 heures.

Comme cela a déjà été indiqué plus haut la belladone a été souvent utilisée par les empoisonneuses. En plus des cas déjà cités de l’Antiquité, deux sont des cas célèbres des temps modernes. L’infirmière suisse Marie Jeanneret empoisonna sept de ses patients avec de la belladone au milieu du XIXe siècle mais elle fut largement dépassée par une infirmière empoisonneuse américaine, Jane Toppan, qui, en 1901, confessa avoir été l’auteur de 31 homicides et qui utilisa la belladone pour une partie de ses crimes.

Synonymes : Belladonna baccifera Lam. ; Belladonna trichotoma Scop.

 

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