Famille : Anhingidae
Texte © Dr. Gianfranco Colombo
Traduction en français par Catherine Collin
L’Anhinga d’Afrique, parfois appelé oiseau-serpent (Anhinga rufa Daudin, 1802) appartient à l’ordre Suliformes et à la famille Anhingidae. C’est un oiseau étroitement lié à l’eau où se déroule pratiquement toute sa vie.
Les seuls moments qu’il passe les pieds au sec c’est lorsqu’il couve et quand il sort de l’eau pour rester un long moment les ailes étendues afin de se sécher après une partie de pêche.
Comme c’est le cas chez les Cormorans (Phalacrocorax sp.) les plumes de l’anhinga ne sont pas huilées avec la graisse issue de sa glande uropygienne, caractéristique des oiseaux aquatiques, qui maintient les plumes au sec lors du séjour dans l’eau, ce qui facilite grandement son immersion grâce au poids des plumes imbibées qui annule presque totalement la poussée vers le haut renforcé chez les corps imperméables.
En conséquence, la ligne de flottaison de ces oiseaux, quand ils sont dans l’eau, maintient un centre de gravité très bas permettant au corps de rester totalement immergé alors que le cou reste hors de l’eau évoquant le périscope d’un sous-marin. Cette attitude lui a valu chez les populations qui le côtoient le surnom d’“oiseau serpent” car lorsqu’on le regarde on croit voir la tête d’un serpent nageant dans l’eau.
Le nom scientifique Anhinga dérive du terme homonyme utilisé dans la langue tupi guaranì pour indiquer cet oiseau, une souche linguistique de la forêt amazonienne qui a été une référence pour de nombreux auteurs dans la classification de nombreuses espèces d’animaux provenant de ce territoire. Il suffit de se rappeler d’autres termes tels jaguar, nandou, ara, toucan ou des mots plus courants tels carioca, tapioca ou capoeira.
Il est amusant de penser que pour nommer un oiseau africain et d’autres congénères asiatiques on utilise un terme scientifique dérivé d’une langue parlée à des dizaines de milliers de kilomètres de distance !
Il nom d’espèce rufa vient du latin ayant pour signification rouge, rougeâtre, rouille pour la couleur qu’il montre sur le cou et sur la poitrine.
Ces autres noms vulgaires sont : en anglais African Darter, en allemand Afrika-Schlangenhalsvogel, en espagnol Anhinga Africana, en italien Aninga africana ou Ucello serpente et en portugais Mergulhão-serpente.
Une dernière curiosité linguistique : dans le monde Anglo-saxon, berceau de la culture ornithologique moderne, les anhingas sont appelés Darter, de “dart” = dard, flèche, fléchette pour signifier quelqu’un ou quelque chose qui se déplace rapidement, agilement. Lorsqu’il chasse sous l’eau cet oiseau frétille à une vitesse impressionnante.
Zoogéographie
L’Anhinga d’Afrique comme le dit son nom, est un oiseau typique de ce continent même s’il survit encore en Irak une très petite colonie de la sous-espèce Anhinga rufa chantrei, désormais reléguée dans une zone humide menacée de disparition.
Cette sous-espèce vivait, toujours en petit nombre, il y a des dizaines d’années, en Anatolie et en Israël mais l’assèchement des aires qu’il fréquentait a mené à la disparition de cet oiseau en ces lieux.
En Afrique il est largement présent dans toute la partie subsaharienne à l’exception des zones désertiques et d’une large zone à l’Ouest.
C’est une espèce sédentaire qui effectue ses seuls déplacements lors de la saison sèche quand certains marais s’assèchent l’obligeant à rechercher de nouveaux marécages et zones inondées.
A l’exclusion de l’Europe, les anhingas sont présents sur tous les continents et sont divisés en quatre groupes correspondant grosso modo aux continents qu’ils occupent. Dans les Amériques Anhinga anhinga, en Afrique Anhinga rufa, en Asie Anhinga melanogaster et en Australie Anhinga novaehollandiae.
Ecologie-Habitat
Il est pratiquement impossible d’observer cet oiseau loin de l’eau et encore moins de le voir voler dans le ciel pour un motif autre que se déplacer d’un plan d’eau à un autre. Pourtant, on peut parfois le voir, semblant égaré, planer haut dans le ciel comme s’il voulait se libérer du lien puissant qui l’unit à l’eau, mais sa vie est indissolublement inféodée à cet élément sans lequel il mourrait rapidement.
Il est aussi difficile de voir des marais, des lacs ou des cours d’eau à faible courant sans y noter sa présence, les ailes étendues au soleil pour les sécher ou immergé dans l’eau avec sa caractéristique allure de serpent, ne laissant hors de l’eau que son cou long et très mince.
C’est un oiseau commun, aisément observable grâce à sa grande taille ou aux étranges poses qu’il prend.
Il préfère les eaux dormantes, propres et limpides afin de mieux repérer les proies lorsqu’il se déplace en frétillant sous la surface, mais il ne dédaigne pas les petits plans d’eau, les anses des fleuves ou rivières avec des berges couvertes de roseaux et exceptionnellement barrages, réservoirs ou même encore d’autres ouvrages dus aux hommes.
Il ne fréquente jamais les milieux marins sauf en de rares occasions dans de petites mangroves dans des baies confinées au plus profond des forêts côtières. Il est essentiel, pour satisfaire au mieux ses exigences, qu’il dispose de troncs secs à fleur d’eau sur lesquels se percher après ses fréquentes parties de pêche, qui le voient souvent mêlé aux cormorans qui partagent les mêmes exigences.
En plus de la nécessité de devoir sécher leurs plumes, ces oiseaux ont aussi besoin de réguler la température de leur corps et donc d’absorber au plus vite les rayons du soleil pour éviter d’éventuels problèmes d’hypothermie. De véritables reptiles avec des plumes ! Sa présence indique que le milieu fréquenté est riche en poisson et en même temps exempt de pollution, de fait écologiquement sain. Sa cohabitation avec les Cormorans (Phalacrocorax sp.) et d’autres oiseaux plongeurs ne montre aucune friction sociale ni d’antagonisme pour la nourriture.
Morpho-physiologie
L’Anhinga d’Afrique est un gros oiseau qui ne passe pas inaperçu grâce à son envergure d’environ 115 cm, sa taille de 90 cm et son poids d’environ 1 300 g.
Il montre un corps très allongé et fuselé adapté aux déplacements sous l’eau avec un cou long et mince. Il est pourvu d’un très long bec pointu qui fonctionne comme un véritable fleuret durant la pêche sous-marine.
La tête est très petite et elle aussi très fuselée. Elle fonctionne comme une ogive de torpille et doit perforer l’eau sans rencontrer la moindre résistance.
Son cou a une conformation particulière entre la huitième et la neuvième vertèbre ce qui lui permet de le replier et de l’utiliser comme un mécanisme à ressort pour frapper sa proie.
Quand il se repose cette articulation est bien visible comme un gonflement anormal sur son cou.
Sa queue est très prononcée et il l’utilise comme un gouvernail pour zigzaguer rapidement lorsqu’il poursuit une proie.
Le tout est accompagné par deux pieds palmés d’une taille exceptionnelle qui permettent une poussée extraordinaire à un être déjà conçu pour pénétrer l’eau.
L’Anhinga d’Afrique, comme le dit si bien son nom scientifique, montre une couleur rougeâtre évidente sur le cou et sur la poitrine alors que le reste du corps est noirâtre aussi bien sur les parties supérieures qu’inférieures. Les pattes sont verdâtres foncé et le bec habituellement jaune en particulier durant la période de reproduction. Le mâle adulte montre des couleurs plus vives et irisées alors que la femelle et les juvéniles présentent une livrée plus marron et mate.
Ethologie-Biologie reproductive
La nidification de l’Anhinga d’Afrique a lieu toute l’année en relation avec les conditions météorologiques et se trouve régulée par le niveau des cours d’eau où il vit. Elle commence généralement pendant la saison humide pour atteindre son apogée au début de la saison sèche quand la baisse momentanée du niveau des eaux fait augmenter la concentration de poissons dans les plans d’eau restants. Il installe son nid sur les basses branches d’arbres et d’arbustes bordant l’eau ou pendant au dessus, en colonies mixtes, mêlé à des ardéidés et des cormorans. Il construit une large plateforme de branchages sur laquelle la femelle pond de 3 à 6 œufs blanchâtres.
Parfois, il installe son nid directement sur un lit de roseaux aplatis mais toujours à proximité ou en dessous d’une colonie. L’incubation dure trois semaines en moyenne et les deux parents en ont la charge. Les petits restent au nid pendant 6 autres semaines durant lesquelles il arrive souvent qu’ils se déplacent agrippés aux branches proches ou même qu’ils tombent dans l’eau. Le nid est bien visible et se trouve souvent être l’objet de prédation de la part de rapaces vivant et nichant à proximité de la colonie et qui profitent de cette manne.
Ce sont le Pygargue vocifer (Haliaeetus vocifer), le Milan noir (Milvus migrans) et le Gymnogène d’Afrique (Polyboroides typus) typique voleur d’œufs. L’anhinga est un grand consommateur de poissons mais capture indifféremment tout ce qui bouge dans l’eau, serpents et crustacés, mollusques et insectes aquatiques. Dans certaines aires où on élève des poissons, l’espèce est combattue pour son avidité et pour les dommages qu’elle peut causer durant ses incursions. L’espèce n’est pas considérée en danger.
Synonyme
Anhinga africana Daudin, 1802 ; Plotus rufa Daudin, 1802.