Famille : Alaudidae
Texte © Dr. Gianfranco Colombo
Traduction en français par Catherine Collin
L’Alouette des champs (Alauda arvensis Linnaeus, 1758) appartient à l’ordre Passeriformes et à la famille Alaudidae. C’est l’une des espèces les plus communes et les plus connues de nos campagnes.
La légende raconte qu’à la mort de Saint François d’Assise, des centaines d’alouettes s’élevèrent en chantant vers le ciel, au-dessus de sa maison, afin de le remercier de l’affection qu’il leur avait témoigné durant sa vie. L’histoire de ce petit oiseau, si cher à ceux qui côtoient la nature, se perd dans la nuit des temps et par les souvenirs, les légendes et les vérités, elle est parvenue jusqu’à nos jours, transcendant par sa grâce et sa douceur, des siècles de vicissitudes humaines.
Pline fait dériver le nom « alauda » de la langue celtique, avec la signification de grand chanteur, « al », grand et « aud » chant. L’Alouette des champs fascinait tellement les Romains que César nomma une de ses légions en Gaule « alauda ». Plus tard, Plutarque l’éleva au rang de symbole du bien, pour avoir stoppé une invasion de sauterelles et dans l’ancienne religiosité indienne, on l’a désignée comme un archétype de sagesse et de spiritualité.
Dans la mythologie d’Europe du Nord elle est considérée comme protectrice des champs et esprit des moissons et au Moyen Âge représentation du Christ montant au ciel. Mais c’est dans les poèmes et la littérature que l’alouette atteint son apogée. Le Rossignol (Luscinia megarhynchos) et l’Alouette des champs sont sans aucun doute les deux oiseaux les plus cités dans les œuvres poétiques de toutes les époques, comme métaphore de l’union entre le ciel et la terre, de l’émergence d’une vie nouvelle pour le premier et de la douceur et de la passion pour la seconde. Dante y avait pensé, la plaçant même au Paradis de sa Divine Comédie, l’évoquant dans les vers :
Comme l’alouette qui le soir spirale dans les airs, d’abord chantant, puis qui se tait, contente de l’ultime douceur qui la comble, telle me parut l’image de l’empreinte…
Shakespeare aussi, qui la place dans sa tragédie Roméo et Juliette, en tant que messagère du matin après la nuit d’amour, en opposition avec le Rossignol, initiateur de la passion nocturne.
C’était l’alouette, hélas, messagère de l’aube, et non le rossignol. Vois, mon aimée, quelles lueurs là-bas, ourlent envieusement les nuages à l’est et les séparent.
Et n’oublions pas le grand poète italien Pascoli qui chantait les louanges de tous les oiseaux :
…demande à la douce alouette, qui de temps en temps, par désir d’un meilleur appât, ne veut pas se lever pour aller à la rencontre de l’aube…
Bien d’autres poètes à travers les époques l’ont mentionnée dans leurs rimes mais il suffit de rappeler comment une simple comptine franco-canadienne apparemment utilisée à l’époque par les trappeurs pour marquer le rythme des pagaies des canoës et plus récemment chantée par des enfants de tous âges, a répandu le nom de l’alouette à travers le monde.
Qui ne se souvient d’Alouette gentille alouette, alouette, je te plumerai…
Cet amour spirituel de l’humanité envers l’Alouette des champs n’est cependant pas partagé par les chasseurs qui nourrissent pour elle un intérêt bien plus matériel, la chassant depuis toujours avec acharnement, pour la finesse de sa chair.
Cette tradition est si ancienne que l’une des méthodes pour la chasser, adoptée depuis des siècles, est devenue une expression courante en italien comme en français : «le miroir aux alouettes» pour indiquer quelque chose qui attise la curiosité. En effet, ce petit oiseau, mu par la curiosité, est attiré par les objets brillants, selon certains parce qu’ils ressemblent vaguement aux yeux d’un oiseau de proie, notamment la Chouette chevêche (Athene noctua), pour laquelle il éprouve la même attirance innée. Mais en réalité la raison de cette attirance n’est pas encore vraiment connue. Il s’agit là d’une analogie comportementale avec la Pie bavarde (Pica pica), elle aussi attirée par les objets brillants, à tel point qu’on la traite de voleuse pour la joie qu’elle éprouve à se les approprier et à les cacher.
L’étymologie du genre Alauda a connu, comme mentionné précédemment, une première version classique mais il en existe une seconde qui la fait dériver d’une interprétation religieuse, en rapport avec le comportement de l’Alouette des champs quand elle vole vers le ciel, semblant vouloir rendre hommage à Dieu.
« A lauda », signifiant en latin « louer ».
Le nom d’espèce arvensis, est le mot latin désignant les champs, son habitat naturel.
Le vol territorial de l’Alouette des champs a quelque chose de spectaculaire et le chant qui l’accompagne aussi.
C’est un vol en spirales très serrées, presque parfaitement vertical, vers le ciel printanier si lumineux, jusqu’à disparaître à la vue, accompagné d’un crescendo de trilles mélodieuses et de phrases musicales qui se propagent sur des centaines de mètres aux alentours. Puis, soudain, sans interrompre son chant, la voici qui se laisse tomber vers le sol comme une pierre, comme si elle voulait s’écraser à terre, seulement freinée in extremis par un virage brusque qui la pose doucement sur l’herbe.
Un spectacle inoubliable et extrêmement romantique quand on l’observe, allongé parmi les fleurs, dans un champ au printemps, les yeux levés vers le ciel.
En anglais, on l’appelle Eurasian Lark, en allemand Feldlerche, en espagnol Alondra de Eurasia, en italien Allodola et en portugais Laverca.
Zoogéographie
L’aire estivale occupée par l’Alouette des champs est très vaste et couvre l’Europe entière depuis les côtes méditerranéennes jusqu’aux rives nord du continent. Sa présence se poursuit, sans arrêt, sur le sol asiatique jusqu’à atteindre les rives de l’océan Pacifique, couvrant le Kamtchatka et le Japon au sud.
Elle est absente du sud de l’Asie. La zone de nidification se situe donc au nord du 40ème parallèle avec une ligne latitudinale qui, partant de la Corée rejoint l’Europe dans la zone du Caucase.
Bien entendu, au sud de cette limite on trouve plusieurs autres espèces d’alouettes très semblables mais classées comme espèces distinctes.
La seule exception est une étroite bande de territoire qui, passant au sud de la mer Caspienne rejoint l’Anatolie.
Elle est également présente dans la partie nord-ouest de l’Afrique, du Maroc à la Tunisie. Elle est absente, ou plutôt occasionnelle, en Grèce et au Portugal. Les populations européennes sont en grande partie sédentaires avec des mouvements hivernaux des populations situées plus au Nord vers l’aire méditerranéenne tandis que les populations asiatiques sont majoritairement migratrices et se déplacent vers des aires assez éloignées des sites de nidification.
L’Alouette des champs a été introduite en Nouvelle-Zélande et dans le sud de l’Australie, dans l’État de Victoria, où elle s’est reproduite et répandue avec succès.
Ecologie et Habitat
Alauda arvensis, comme son nom scientifique l’indique, fréquente les champs et les campagnes, cultivés ou incultes, les pâturages et les steppes à la limite d’un milieu pré-désertique, les dunes, les collines mais aussi les prairies d’altitude.
Elle dédaigne absolument les zones boisées ou densément arborées, ainsi que les marais ou zones marécageuses. De plus, même si elle atteint des altitudes considérables, elle n’aime pas les terrains rocheux ou dépourvus d’herbe.
Pendant l’hiver, dans les quartiers de migration, elle s’adapte souvent à des endroits très différents de ses habitats habituels et à cette période, on peut la voir fréquenter, lorsque la terre est soudainement recouverte de neige, les bords de ruisseaux, les prairies humides et des zones sans couverture neigeuse, mais uniquement dans le but de chercher de la nourriture. Lors de ces événements météorologiques, on assiste souvent à des mouvements migratoires improvisés, concernant des volées de centaines d’individus se déplaçant vers des aires non affectées ou concentrés dans des endroits où il y a suffisamment de nourriture disponible pour surmonter la calamité soudaine.
Une tradition lombarde raconte que l’Alouette des champs demeure en un lieu tant que la couverture neigeuse ne dépasse pas la hauteur du brin d’herbe dont elle se nourrit pour survivre.
Morpho-physiologie
L’Alouette des champs est un petit passereau qui mesure 18 cm de long, pèse 35 g et a une envergure d’environ 30 cm.
La livrée est assez insignifiante, étant totalement d’un jaune ocre plus marqué sur le dos où elle paraît panachée par les vexilles des rémiges et des couvertures alaires qui créent des marbrures plus ou moins accentuées de brun et de grisâtre. Une couleur parfaitement adaptée pour se camoufler au sol sur lequel elle se tient en permanence. Il n’y a pas de dimorphisme sexuel significatif et les juvéniles portent une livrée très semblable à celle des adultes dès l’adolescence.
La poitrine est légèrement striée de courtes rayures verticales qui disparaissent sur le ventre qui est entièrement blanc crème.
La tête porte une petite huppe qui peut être dressée et abaissée à volonté lorsque le sujet est excité ou intrigué par des facteurs extérieurs, comme signal de défense ou de crainte envers les agresseurs.
Le bec, jaunâtre avec une pointe noirâtre est long, pointu, conique et bien accentué. L’œil est très noir et la queue montre des rectrices latérales avec un vexille externe blanc.
Cet alaudidé présente une particularité, la présence d’un ongle du pouce très long, parfois plus long que le doigt lui-même, indiquant que l’oiseau est purement terrestre et capable de marcher rapidement sur le sol. En effet, l’Alouette des champs est liée au sol et ne se perche jamais sur des arbres ni même sur des arbustes bas comme le font l’Alouette des bois (Lullula arborea) ou le Bruant proyer (Emberiza calandra), des oiseaux très semblables même si ce dernier n’appartient pas à la même famille.
Le Cochevis huppé (Galerida cristata) est une autre espèce ressemblante dont il est difficile de la distinguer lorsqu’il est au sol à moitié caché par l’herbe. C’est une reproduction parfaite de l’Alouette des champs mais avec un bec plus proéminent et une huppe toujours dressée. L’Alouette calandrelle (Calandrella brachydactyla), aux traits plus doux, est encore plus similaire à notre espèce,
L’Alouette des champs adore parcourir l’environnement qui l’entoure, grimpant sur des mottes de terre ou des portions de terrain surélevées, évitant ainsi l’inconvénient de ne pouvoir se percher sur une branche, en partie à cause de la longueur de l’ongle de l’orteil arrière.
Cependant, cette curiosité est souvent assouvie en s’envolant vers le ciel en entamant ce refrain musical qui peut durer, sans pause, pendant des dizaines de minutes.
Différentes sous-espèces ont été classées, compte tenu de la vaste aire de répartition occupée et de la pluralité des milieux fréquentés, parmi lesquelles certaines étaient auparavant considérées comme des espèces à part entière. Parmi celles-ci, certaines concernent l’Europe, telles : Alauda arvensis arvensis, typique d’une grande partie du continent européen, Alauda arvensis sierrae du Portugal et d’Espagne, Alauda arvensis harterti d’Afrique du Nord et Alauda arvensis cantorella, de la bande méridionale des régions méditerranéennes.
D’autres concernent les régions asiatiques : Alauda arvensis armenica de l’Iran et du Caucase, Alauda arvensis dulcivox de la Russie jusqu’à la Sibérie et la Chine, Alauda arvensis kiborti au Sud de ce territoire, Alauda arvensis intermedia de la Mandchourie et de la Corée, Alauda arvensis pekinensis des extrêmes côtes du Pacifique, Alauda arvensis lonnbergi reléguée sur l’île de Sakhaline et Alauda arvensis japonica du Japon et des archipels voisins.
Ethologie-Biologie Reproductive
Il a été constaté que le mâle de l’Alouette des champs a une extension alaire nettement plus large que la femelle, démonstration de la nécessité d’avoir une plus grande portance pour effectuer les fameux vols chantés déjà mentionnés et les incroyables freinages après les chutes feintes, comme un poids mort tombant vers le sol.
Une grande partie de la vie de l’Alouette des champs est liée au chant de la parade nuptiale qui peut débuter dès les premiers signes du printemps et durer jusqu’à la fin de l’automne, bien au-delà de la période de nidification, comme si le mâle voulait encore garder le contact avec sa partenaire ou bien défendre son territoire à outrance.
Le couple est monogame mais uniquement pendant la saison de reproduction qui, les années favorables, peut voir la ponte de trois nichées.
Le nid est placé au sol dans une petite dépression creusée par la femelle et recouverte de fins brins d’herbe sèche et de minuscules tiges enroulées pour former une coupe bien marquée et assez profonde.
Habituellement bien caché au pied d’une touffe d’herbe ou simplement posé dans l’herbe épaisse, il peut parfois être totalement exposé sur un sol aride et pierreux, la couleur de la livrée cryptique de la mère lorsqu’elle couve le camouflant parfaitement.
En effet, trouver un nid d’Alouette des champs est extrêmement difficile, tout d’abord en raison de sa position parmi la végétation basse et de la grande capacité de camouflage des œufs ou des oisillons lorsqu’ils sont encore dans le nid. Il faut aussi ajouter la stratégie adoptée par la femelle en train de couver qui, dès qu’elle perçoit l’approche d’un danger, s’éloigne rapidement du nid de quelques mètres et s’accroupit au sol, puis prend brusquement son envol devant l’intrus, lui indiquant ainsi un emplacement erroné pour le nid.
La femelle pond de 3 à 5 œufs de couleur crème fortement tachetés de gris ce qui leur donne un aspect sombre et semblable au substrat sur lequel ils sont placés. Ils sont visuellement plutôt grands pour la taille de l’oiseau, peut-être en rapport avec le fait que l’incubation, effectuée par la femelle seule, ne dure que 11 jours, l’une des périodes d’incubation les plus courtes parmi les oiseaux.
Les petits naissent nus et aveugles avec un léger duvet ocre clair et doux sur tout le corps ce qui les rend complètement invisibles et bien camouflés sur le sol. Les oisillons sont nourris par les deux parents.
La précocité à quitter le nid est parfois incroyable et il n’est pas rare qu’à la suite de l’irrigation du terrain où il se trouve ou d’une inondation soudaine, on puisse voir des petits oisillons isolés et sans plumes autour du nid, qui pourtant parviendront à survivre en restant à l’endroit d’où ils ont été tragiquement expulsés.
Même lorsque la situation est normale, le nid est abandonné bien avant l’envol, qui n’a généralement pas lieu avant deux semaines.
L’alouette des champs est principalement insectivore pendant la nidification mais se nourrit en même temps de graines et de grains de toutes sortes, ces aliments devenant prépondérants pendant l’hiver.
Malheureusement, les populations de l’Alouette des champs ont subi un déclin drastique au cours des dernières décennies, en particulier les populations européennes qui ont vu se produire un changement brutal dans leur habitat suite à l’introduction de nouvelles cultures.
La monoculture du maïs et la disparition des prairies stables ont été les principales causes de sa disparition des grandes plaines du nord de l’Italie et des régions méditerranéennes.
Bien qu’elle soit classée “Least concern”, c’est-à-dire à risque minimal, sur la Liste rouge de l’UICN, cette espèce présente un déclin général sur l’ensemble du territoire occupé, avec une disparition presque totale dans de vastes zones européennes et en particulier dans le nord de l’Italie.
Baudelaire enviait l’Alouette des champs pour sa capacité à voler au-dessus du monde, en dérobant les secrets. “Celui dont les pensers, comme des alouettes – Vers les cieux le matin prennent un libre essor – Qui plane sur la vie, et comprend sans effort – Le langage des fleurs et des choses muettes ! ”
Des vers simples et courts mais intenses et expressifs comme le chant émis par ce sympathique petit oiseau.
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