Famille : Sturnidae
Texte © Dr. Gianfranco Colombo
Traduction en français par Catherine Collin
La bêtise humaine jointe à l’inconscience de soi-disant protectionnistes qui ne reconnaissent pas les erreurs que leurs prédécesseurs ont commises, combattant l’introduction d’éventuels remèdes pour atténuer les problèmes provoqués, est constamment la cause de dommages contre cette nature à laquelle nous tenons tous mais que souvent nous oublions d’aimer et même tentons de modifier.
Ainsi, il advint qu’au cours du dernier siècle, des naturalistes imprudents eurent l’idée d’introduire des espèces étrangères dans des terres lointaines, dans l’hypothétique but d’améliorer des situations agricoles particulières, d’intégrer de nouvelles espèces pour renforcer le gibier à disposition, de trouver de nouveau opposants aux espèces locales en excès et incontrôlables, ou pire encore comme cela se produit à l’heure actuelle, en raison de quelques fallacieux et prétendu amour pour la nature, de donner illégalement la liberté à des animaux élevés en captivité dans un but économique, dans des territoires qui les voient devenir des espèces dangereusement et irrémédiablement invasives et nuisibles.
Des actions irraisonnées qui ont eu un grave impact sur la biodiversité, sur l’agriculture, sur l’élevage et aussi sur la santé des habitants de ces régions.
Le Ragondin (Myocastor coypus) et le Sanglier (Sus scrofa) sont deux exemples semblables en Europe. Ils figurent parmi les 100 espèces les plus invasives et nuisibles du monde en compagnie de tant d’insectes, mollusques, poissons et plantes, mais penser que parmi eux il y a trois petits oiseaux semble bien étrange.
Le Martin triste (Acridotheres tristis Linnaeus, 1766), ordre Passeriformes et famille Sturnidae est l’un de ceux-ci avec l’Étourneau sansonnet (Sturnus vulgaris) et le Bulbul à ventre rouge (Pycnonotus cafer).
En Australie cet étourneau a été classé comme “le plus important problème environnemental du pays” avec un taux de croissance si vertigineux qu’il compromet irrémédiablement l’équilibre biologique de ce continent. On lui a attribué le surnom de “rat volant” pour avoir montré sa capacité d’adaptation et sa prévalence sur les autres espèces, semblables à celles montrées par ce rongeur.
Il y a quelques décennies fut introduite en Australie une centaines de ces étourneaux pour combattre les criquets qui infestaient les cultures du Queensland et de la Nouvelle-Galles du Sud mais rapidement on s’aperçut que leur nombre s’accroissait démesurément tout en laissant intact le nombre de sauterelles. Aujourd’hui on parle de centaines de milliers d’individus en continuelle augmentation, avec un élargissement constant de leur aires de diffusion.
Comme ce fut le cas pour les lapins et les chats dans ce même pays, comme ce fut le cas pour les ragondins et les sangliers en Europe et comme il advint avec d’autres espèces sur d’autres continents, il est devenu pratiquement impossible de trouver un remède.
L’étymologie du nom scientifique Acridotheres vient du grec “akris” = sauterelle et “theres” = chasseur identifiant bien les caractéristiques alimentaires de cet oiseau. Le nom d’espèce tristis vient du latin et signifie sombre, en référence à sa livrée colorée en foncé.
Dans tout le sous-continent indien et dans le Sud-est asiatique les étourneaux et les mainates sont vulgairement appelés myna ou mynah par dérivation du sanskrit “maina” = joyeux, gai.
En général cet épithète (en français “martin” ou “mainate”) est accompagné d’un complément qui en classe l’espèce et dont nous connaissons le Martin triste (Acridotheres tristis), le Martin à collier (Acridotheres albocinctus), le Martin des berges (Acridotheres ginginianus), le Martin forestier (Acridotheres fuscus), le Mainate religieux (Gracula religiosa), le célèbre Martin de Java (Acridotheres javanicus), le pittoresque Martin couronné (Ampeliceps coronatus), et le Martin cendré (Acridotheres cinereus) avec beaucoup d’autres.
Étant un volatile désormais présent dans le monde entier, également à cause d’oiseaux échappés d’élevages amateurs, ce surnom est souvent répété y compris dans les noms vulgaires qui leurs sont donnés dans les endroits où ils ont été introduits. En anglais Common Myna, en allemand Hirtenmaina, en français Martin triste, en espagnol Miná Común et en italien Maina comune ou Storno triste.
Zoogéographie
Acridotheres tristis est originaire d’Asie et son territoire traditionnel comprend la région qui va du Pakistan à la Chine, habituellement en dessous de la chaîne himalayenne. On le trouve aussi dans certaines républiques d’Asie centrale mais uniquement dans les aires méridionales de leur territoire. C’est en revanche une espèce introduite, soit volontairement soit échappée, en Amérique du Nord, au Moyen Orient, en Afrique du Sud, dans les plus grandes îles de l’océan Indien, à Hawaï et en Océanie, ainsi qu’aux îles Fidji et Samoa.
En Europe il est apparu occasionnellement et de manière irrégulière en différentes aires méditerranéennes et dans certaines zones continentales. C’est une espèce considérée invasive et à la croissance galopante là où elle a été introduite, parce que dotée d’une grande et innée capacité à s’adapter à n’importe qu’elle situation et climat.
Diverses sous-espèces ont été identifiées parmi lesquelles deux principales : Acridotheres tristis melanosternus qui comme le dit son nom scientifique à une livrée plus sombre et est typique du Sud de l’Inde et Acridotheres tristis tristis dans toutes les autres aires. Il vit du niveau de la mer jusqu’à 3 000 m d’altitude.
Morpho-physiologie
Les mesures de Acridotheres tristis sont typiques des sturnidés du monde entier. Il a une corpulence mince mais compacte, est doté d’ailes suffisamment larges pour bien voler, de pattes qui en font un excellent marcheur et d’un bec multifonction. C’est un oiseau arboricole mais il aime rester au sol pendant une grande partie de la journée.
Il mesure environ 23/25 cm, a une envergure de 30/35 cm et un poids variant entre 100 et 140 g.
Sa couleur comme le dit son nom scientifique est sombre puisque son corps est d’un gris-marron foncé avec les ailes, la queue et le cou très noirs.
L’unique concession à la couleur c’est son bec, ses pattes et la tache de peau nue post-oculaire qui sont d’un jaune paille vif. Cette tache est l’une des rares caractéristiques permettant de le distinguer de son congénère Acridotheres ginginianus dont la tache est orangé.
Sur les rémiges primaires et les couvertures inférieures des ailes est présente une large bande blanche bien visible en vol associée à la rayure terminale de la queue de la même couleur, caractéristique qui le fait se transformer de manière surprenante en un oiseau blanc et noir lorsqu’il est en vol à l’opposé de l’habituelle livrée sombre arborée lorsqu’il est posé.
Il n’y a pas de dimorphisme sexuel entre les adultes. Les juvéniles présentent dans les premiers mois, une livrée plus modeste sans l’évidente marque nue post-oculaire. Parmi les trois règles biologiques gouvernant la morphologie des espèce animales à sang chaud en relation avec la zone géographique occupée, il y a la taille, les proportions et les couleurs, le Martin triste est l’une des espèces concernées par la règle de Gloger qui voit la couleur de la livrée devenir de plus en plus sombre au fur et à mesure que l’on descend de latitude vers des climats plus chauds et humides. En fait les individus du Sud de l’Inde et du Sri Lanka ont une coloration accentuée et plus sombre comparée à celle des congénères vivant dans les zones arides de la plaine du Nord du sous-continent indien.
Écologie-Habitat
Il est peu significatif de parler d’habitat spécifique en ce qui concerne cet oiseau vu sa capacité à s’adapter à n’importe quel environnement pouvant même avoir des caractéristiques totalement différentes les uns des autres.
Acridotheres tristis est désormais au même niveau que notre Corneille mantelée (Corvus corone cornix) et que le Merle (Turdus merula) qui, d’oiseaux un temps sauvages et timides, en sont arrivés à nicher sur l’arbre donnant sur notre balcon, conquérant des territoires impensables il y a peu.
Cet oiseau très commun et sociable, habite fondamentalement les bois ouverts et les plaines cultivées, les centres urbains et les jardins publics, les rues au trafic intense et les décharges urbaines et il n’est pas non plus rare de le voir gratter dehors devant la maison dans les parterres de fleurs de notre cour.
Il vit aussi dans les vergers et dans les cultures intensives spécialisées, où il a à l’origine été introduit pour lutter contre la prolifération des insectes. Il a ensuite modifié son régime alimentaire trouvant dans ces champs un nouveau type d’alimentation avec des caractéristiques particulières et attrayantes qui l’ont partiellement détourné de son objectif principal, l’amenant à provoquer d’importants dégâts à ces mêmes cultures qu’il était censé protéger. Il ne dédaigne ni les fruits, ni les graines, ni les petits reptiles, ni les minuscules rongeurs.
Acridotheres tristis est très sociable, que ce soit avec ses congénères ou avec l’être humain qu’il assaille de manière insistante autour des bancs à la recherche de miettes ou de restes de nourriture, sans dédaigner un saut sur la table du restaurant laissée un moment sans surveillance, pour chaparder quelque nouvelle gourmandise.
Le Martin triste est principalement insectivore avec une préférence pour les gros insectes ailés ou non, qu’il cherche assidûment et avec insistance au sol en groupe, de sa marche rapide et continue, avec des sauts et des poursuites à la vue de quelque proie. D’habitude, il suit également les troupeaux au pâturage à tel point que dans la péninsule indochinoise on lui a donné le surnom de gardien de buffles.
L’introduction de ce chasseur de criquets a donné des résultats certainement plus négatifs que positifs. Il est aussi très querelleur et agressif avec toutes les autres espèces de volatiles même de plus grandes tailles.
Sa forte sociabilité envers ses semblables est souvent utilisée afin de harceler les corbeaux, les perroquets, les mouettes mais également le petit chien promené dans le parc, s’il se sent dérangé.
Il ne montre aucune crainte respectueuse envers l’homme et quand il est chassé sans douceur des alentours, il se pose à quelques mètres sans fuir mais en émettant son chant disgracieux comme en manière de remontrance.
Le Martin triste est un oiseau très bavard avec diverses vocalises aux tonalités souvent proches de la voix humaine et pour ce motif il est commun de le garder en cage comme animal de compagnie. Pourtant, d’ordinaire, il n’émet pas vraiment des sons agréables mais plutôt des croassements, des grognements, des couinements et des sifflements répétés souvent bruyants et insupportables.
Leurs réunions en immenses volées pour les rassemblements vespéraux et dans les dortoirs durant la nuit, engendrent un bruit si assourdissant qu’il rend impossible le repos de celui qui vit à proximité de ces lieux. Cette pratique de se réunir en immenses nuées en ces lieux préétablis pour y passer la nuit est constante y compris pendant la période de nidification.
Éthologie-Biologie reproductive
L’arrivée de ces nouveaux intrus dans les centres habités a provoqué, et accentué, des dégâts typiques que déjà les pigeons et les moineaux avaient causé dans le passé dans ces cités conquises. La construction de leurs nids dans n’importe quel trou imaginable et l’apport de grandes quantités de matériaux ainsi que de déchets urbains comme papiers et plastiques, occasionnent immanquablement des dégâts aux systèmes d’évacuation qui sont bouchés mais aussi aux cheminées et aux tuiles provoquant ainsi des problèmes d’isolation aux bâtiments.
De plus la conquête de ces nouveaux territoires a fortement perturbé la présence d’autres espèces d’oiseaux présents en ces lieux depuis des millénaires.
En Australie divers perroquets arboricoles en particulier les tant aimés Cacatoès rosalbin et Corella (Cacatua spp.) qui nichent dans les cavités des arbres, sont pratiquement expulsés sans peur, comme le sont toutes les espèces qui nichent dans des petits trous dans les bâtiments urbains, le Martin triste occupant systématiquement tous les trous possibles compromettant ainsi le succès de la reproduction des espèces indigènes.
Et ce n’est pas tout, on a souvent noté que cet oiseau vidait les nids déjà occupés par d’autres espèces, en expulsant les œufs et les éventuels petits. Un véritable démon qui provoque des dommages intolérables.
On pense que le Martin triste est monogame jusqu’à la mort de l’un des partenaires et cette assiduité conjugale donne de très bons résultats dans leur cycle reproductif.
Comme déjà dit, Acridotheres tristis niche partout où cela est possible apportant des matériaux parmi les plus divers pour garnir la niche où il pondra les habituels 5 (de 4 à 6) œufs bleu-turquoise. Il n’a pas de période spécifique pour nidifier et celle-ci varie de lieu en lieu selon les latitudes, la disponibilité en nourriture et les conditions climatiques. L’incubation dure environ 18 jours, principalement effectuée par la femelle. Les petits, qui naissent nus, restent au nid pendant encore 3 semaines.
Dans l’Ouest de l’Inde on rapporte des cas de parasitisme contre le Martin triste de la part du Coucou koël (Eudynamys scolopacea) un cuculidé asiatique commun qui pond son œuf dans le nid d’autres oiseaux.
Bien que les populations de cet oiseaux soient en notable accroissement, jusqu’à être considéré comme espèce invasive, dans certaines aire il est au contraire en sensible diminution due à la présence d’autres sturnidés eux-aussi introduits, qui l’emportent dans la conquête du territoire.
C’est le cas en Malaisie et à Singapour, où le Martin de Java Acridotheres tristis s’oppose au Martin de Java (Acridotheres javanicus). Dans l’ancienne culture Sanskrit cet oiseau avait différentes identifications qui reflétaient de réelles caractéristiques encore bien visibles aujourd’hui. Vu son bavardage incessant, il était considéré comme l’archétype d’une personne polémiste et qui avait beaucoup à dire. En effet, aujourd’hui encore à travers les rues de l’Inde, son chant strident est peut-être l’unique son qui réussisse encore parfois à se faire entendre dans le brouhaha assourdissant de la vie quotidienne de cette population.
Il semble que le Martin triste soit porteur d’un bacille d’infection dangereux pour les autres oiseaux mais également pour l’être humain. Dans certaines îles du Pacifique où il a été introduit on a noté que cet oiseau est porteur de puces et de poux.
Les populations augmentent et depuis 2016, Acridotheres tristis est répertorié comme “LC, Least Concern”, c’est-à-dire “Préoccupation mineure”, sur la Liste rouge de l’UICN des espèces menacées.
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