Famille : Sphingidae
Texte © Prof. Santi Longo
Traduction en français par Michel Olivié
Le Sphinx tête de mort (Acherontia atropos) est une des 25 espèces de lépidoptères européens appartenant à la famille des Sfingidae qui est caractérisée par des adultes de moyennes ou de grandes dimensions dotés d’une trompe ou d’une spiritrompe robuste.
Ils ont un vol puissant et peuvent effectuer de longues migrations. Certaines phalènes comme Agrius convolvuli ou Macroglossa stellatarum ont la capacité de rester en vol stationnaire au-dessus des fleurs pour sucer leur nectar comme le font les colibris.
Les larves sont « éruciformes », c’est-à-dire avec un corps cylindrique divisé en métamères peu différenciés avec un tégument mou, un appareil buccal de mastication, des pattes thoraciques et des pseudo-pattes abdominales. Dans le huitième segment abdominal, il y a un cornet caractéristique. Le tégument est glabre, rugueux ou verruqueux.
Elles cherchent souvent à intimider les prédateurs en adoptant une posture qualifiée de “terrifiante” en soulevant la tête et le thorax qu’elles rétractent dans l’abdomen.
Le nom commun de Sphinx fait référence au comportement de la chenille qui, en se fixant au support avec ses fausses pattes abdominales, soulève la tête et le thorax en prenant une posture qui rappelle celle du mythique sphinx égyptien.
Linné, en 1758, décrivit Acherontia atropos sous le nom de Sphinx atropos. Cette espèce a été transférée par la suite dans le genre Acherontia créé par Lespeyus en 1809.
Le nom du genre Acherontia fait référence à l’Achéron, un des trois fleuves des Enfers qu’il fallait traverser, selon la mythologie grecque, pour parvenir au royaume des morts. L’épithète de l’espèce atropos vient d’Atropos qui est dans la mythologie grecque le nom d’une des trois Moires, filles de la Nuit, qui avait pour tâche de couper le fil de la vie des humains.
L’épithète “tête de mort” a pour origine le motif présent sur le thorax velu de couleur noire de la phalène. Il s’agit d’un exemple classique de paréidolie qui est le nom par lequel on désigne l’illusion subconsciente qui conduit à ramener les taches blanchâtres du thorax à la forme connue d’un crâne. Cette tendance instinctive et automatique à retrouver des formes connues est souvent associée à des formes et à des visages humains.
À cause de ses caractéristiques morphologiques et du cri plaintif qu’il émet en vol ou s’il est dérangé le Sphinx tête de mort a suscité des symboles inquiétants.
Pline l’Ancien, dans la”Naturalis Historia”, le qualifie de funeste et de néfaste. Au Moyen-Âge on croyait que le Sphinx tête de mort était le messager de la guerre et de la peste, qu’il portait malchance, qu’il pouvait être la cause de malheurs et de morts dans les maisons où il volait et que son entrée dans une église était le présage de grandes calamités.
On croyait de plus que pendant la nuit les phalènes pouvaient mordre mortellement les enfants et en Bretagne on les brûlait et on mêlait leurs cendres à certaines potions magiques.
Mais même à des époques plus récentes cette phalène continue à avoir une mauvaise réputation et elle est évoquée dans des termes négatifs dans divers romans : Acherontia atropos est la protagoniste funeste de la nouvelle “Le Sphinx” d’Edgar Allan Poe. Les poètes Guido Gozzano et Eugenio Montale ont célébré sa présence jugée néfaste et inquiétante.
Sa congénère asiatique Acherontia styx qui est très semblable à atropos à cause de la “tête de mort” a la même mauvaise réputation et bien qu’à sa place on ait utilisé des chrysalides du Sphinx du tabac (Manduca sexta) elle a été rendue célèbre par les affiches du film de Jonathan Demme “Le silence des agneaux” tiré du roman homonyme de Thomas Harris où le motif du crâne sur le thorax a été remplacé par une photo artistique réalisée par le peintre surréaliste Salvador Dali et par Philipe Halsman qui l’ont représentée sur des nus féminins.
Zoogéographie
Le Sphinx tête de mort est régulièrement présent dans les zones afro-tropicale et méditerranéenne. Il est répandu dans les îles Canaries, aux Açores, en Afrique et dans la partie méridionale du bassin méditerranéen jusqu’à la péninsule arabique. Les adultes en période de pré-reproduction migrent depuis ces régions à partir du printemps et pendant l’été en direction du Nord et parviennent jusqu’à la Scandinavie et l’Islande. Dans quelques cas ils parviennent au Japon et même au Mexique.
Écologie-Habitat
De même que chez de nombreuses autres espèces de sphingidés on observe chez les jeunes adultes de Acherontia atropos ce que l’on appelle le “syndrome migratoire” qui associe avec des interactions complexes le vol, la reproduction et l’alimentation et les pousse à se rendre dans de nouveaux milieux.
Dans le Sud de l’Italie les chenilles sont présentes en été et en automne sur les Solanacées cultivées et spontanées, l’olivier et d’autres arbres. En hiver certains adultes s’introduisent dans les alvéoles des rayons de miel sans toutefois causer de dégâts importants alors qu’on en observe au contraire en Afrique où la fréquente présence massive de phalènes constitue un problème pour l’apiculture traditionnelle.
Morphophysiologie
Les adultes ont un corps long d’environ 7 cm et une envergure alaire de plus de 12 cm.
La tête possède des antennes et des yeux bien développés et est dotée d’une spiritrompe (ou trompe) courte et robuste avec laquelle la phalène, si elle est dérangée, émet un cri plaintif.
Le thorax, velu, est de couleur noire et porte des taches blanches. Les ailes antérieures sont longues et étroites. Elles ont une couleur de fond brunâtre et des rayures transversales sinueuses gris clair et gris foncé avec au centre une petite tache discale de couleur claire. Les ailes postérieures ont une couleur de fond jaune et deux larges bandes transversales marron.
Sur le mésothorax se trouve la tache dont la forme rappelle celle d’un crâne humain. L’abdomen, gros, velu et rétréci vers sa partie finale, est de couleur jaune et comporte des bandes transversales noirâtres.
Les œufs, de forme ovale, mesurent 1,5 x 1,2 mm. Ils sont de couleur bleu verdâtre ou grisâtre et sont pondus un par un sur les feuilles des plantes dont se nourrissent les chenilles et que la femelle repère grâce à ses nombreux organes sensoriels (les sensilles gustatives).
Les chenilles nouveau-nées, longues de 5 mm, sont de couleur vert clair. Celles de la forme type deviennent peu à peu plus foncées ce qui fait ressortir les bandes jaunes latérales. Sur la partie dorsale du huitième segment abdominal se trouve une corne caractéristique de couleur marron et lisse.
La chenille du deuxième âge présente au niveau du dos de minuscules épines. Dans les deux stades larvaires suivants les bandes diagonales jaunes ont des bords de couleur bleue ou violacée. La corne, de couleur jaunâtre, porte des petits grains.
Les chenilles du cinquième et dernier âge sont longues jusqu’à 15 cm. Elles sont habituellement de couleur jaune et verte avec des bandes obliques foncées bordées latéralement de jaune. Le dos, dépourvu d’épines, est de couleur bleu ciel.
Les formes marron au thorax de couleur claire sont moins fréquentes. On les interprète comme étant des couleurs mimétiques cryptiques destinées à permettre aux chenilles d’échapper aux prédateurs.
La pupe, qui est appelée chrysalide chez les lépidoptères, est longue de 5 à 8 cm. Son tégument est de couleur brun rougeâtre plus ou moins foncée. Elle est protégée à l’intérieur d’une petite loge creusée dans le sol par la chenille adulte (l’éopupe).
Éthologie-Biologie reproductive
Dans les milieux du Sud de la Méditerranée cette espèce a jusqu’à trois générations par an et hiverne dans le sol à l’état de chrysalide.
Les chenilles sont polyphages et vivent aux dépens d’environ 40 espèces végétales appartenant à 24 familles botaniques avec une préférence pour les Solanacées spontanées ou cultivées (tomate, aubergine, pomme de terre, tabac, datura). On en trouve sur des arbres et des arbustes (olivier, vigne, oléandre, pommier, sureau et frêne).
Elles ne causent pas habituellement de défoliations importantes étant donné leur faible densité de population et leur mortalité très élevée due à des causes naturelles. Suivant les conditions de température la chenille peut achever sa croissance en environ un mois. Les adultes, à partir du mois d’avril, s’échappent des chrysalides qui ont réussi à passer l’hiver.
Au cours des migrations nocturnes qui sont effectuées individuellement ou en petits groupes les adultes peuvent accidentellement aller jusqu’en pleine mer où ils sont attirés par les lumières des navires sur lesquels ils se posent pour se reposer.
Certains individus ont été capturés à plusieurs centaines de milles des côtes.
Avec sa courte spiritrompe sclérifiée et pointue le Sphinx tête de mort parvient à entamer, en plus des opercules des cellules des rayons de miel, l’écorce des fruits mûrs.De nombreuses phalènes sont attirées par les odeurs des alvéoles et émettent souvent, quand elles s’y introduisent, un cri semblable à celui de la reine.
On estime que ce son qui consiste en deux courtes séquences répétées rapidement (l’une à l’intonation basse provoquée par la dilatation de la cavité pharyngée qui fait vibrer une protubérance du palais et l’autre à l’intonation haute causée par l’expulsion de l’air le long de la courte spiritrompe qui fonctionne comme un sifflet) sert à calmer les abeilles ce qui permet à la phalène de prélever sans être dérangée le miel des cellules operculées après les avoir percées avec sa courte et robuste spiritrompe.
On pense de plus que les phalènes se mimétisent chimiquement en produisant à partir des glandes de leur tégument des acides gras semblables à ceux qui existent sur le corps des abeilles.
Après qu’elle a ingéré une quantité de miel d’environ 10 g les abeilles ouvrières tuent la phalène désormais dans l’incapacité de se déplacer et momifient son corps volumineux avec de la propolis. Cette réaction des abeilles débute quand la phalène, maintenant rassasiée, ne parvient plus à émettre de cri.
Dans nos environnements les dégâts causés aux alvéoles par les adultes sont tout-à-fait insignifiants alors qu’en Afrique ils sont souvent importants dans les ruchers rustiques dont la fente d’entrée n’est pas convenablement protégée par des grillages empêchant l’entrée des gros adultes.
La mortalité due à des causes naturelles aux différents stades de croissance de Acherontia atropos est élevée.
La couleur mimétique des adultes leur permet de se protéger en partie des prédateurs pendant le jour. Le son qu’ils émettent joue également un rôle de défense majeur. Joint en effet au soulèvement des ailes, au rapide mouvement de l’abdomen de couleur jaune et à la sécrétion de substances à l’odeur nauséabonde de glandes abdominales ce son dissuade souvent les prédateurs de les attaquer.
Les principales causes de mortalité des stades pré-imaginaux sont des bactéries, des champignons et des virus entomopathogènes ainsi que de nombreux insectes entomoparasites. Parmi les diptères on peut citer Compsilura concinnata, Masicera pavoniae et Winthenia rufiventris. Le plus fréquent en Sicile est Sturnia atropivora dont les larves grégaires se développent et et se transforment en pupes dans le corps de leur hôte mais qui s’envolent de la chrysalide du Sphinx.
Les hyménoptères ichneumonidés parasitoïdes Amblioppa fuscipennis, Amblioppa proteus, Callajoppa cirrogaster, Callajoppa esaltatoria, Diphyus longigena, Diphyus palliatorius, Ichneumon cerinthius e Netelia vinulae sont également actifs.
Synonymes
Sphinx atropos Linnaeus, 1758; Atropos solani Oken, 1815; Acherontia sculda Kirby, 1877; Acherontia conjuncta (Tutt, 1904); Acherontia extensa (Tutt, 1904); Acherontia flavescens (Tutt, 1904); Acherontia imperfecta (Tutt, 1904); Acherontia intermedia (Tutt, 1904); Acherontia obsoleta (Tutt, 1904); Acherontia suffusa (Tutt, 1904) Acherontia variegata (Tutt, 1904); Acherontia virgata (Tutt, 1904); Acherontia violacea (Lambillion, 1905); Acherontia charon (Clos, 1910); Acherontia diluta (Closs, 1911); Acherontia obscurata (Closs, 1917), Acherontia myosotis (Schawerda, 1919), Acherontia confluens (Dannehl, 1925); Acherontia moira (Dannehl, 1925); Acherontia pulverata (Cockayne, 1953); Acherontia radiata (Cockayne, 1953); Acherontia griseofasciata (Lempke, 1959).