Famille : Accipitridae
Texte © Dr. Gianfranco Colombo
Traduction en français par Anaïs Chailloleau
Dans la ville géorgienne de Poti, située sur la Mer Noire, se dresse peut-être l’unique statue au monde consacrée à un petit rapace et à son usage dans la fauconnerie locale pour capturer des cailles (Coturnix coturnix), des merles (Turdus merula) et des oiseaux migrateurs, une tradition qui a été transmise de père en fils au fil des siècles jusqu’à nos jours.
Il s’agit de l’Épervier d’Europe, l’expression de la puissance, de l’impulsion, du courage et de la faculté à chasser (à un point peut-être inégalé par les autres rapaces) chez un oiseau qui fait à peine la taille d’un pigeon, mais qui, à l’occasion, trouve le courage d’attaquer des proies bien plus grandes, puissantes et rapides. De taille similaire aux faucons qui fréquentent souvent nos campagnes et nos centres urbains, tels le Faucon Crécerelle (Falco tinnunculus), le Faucon Crécerellette (Falco naumanni) et le Faucon Hobereau (Falco subbuteo), il présente des caractéristiques morphologiques totalement différentes et plus encore, une forme d’agressivité bien diverse.
Il suffit d’observer les griffes de ces derniers et de les comparer avec celles de l’épervier d’Europe pour se faire immédiatement une idée claire des nécessités agressives divergentes chez ces oiseaux.
L’Épervier d’Europe (Accipiter nisus Linnaeus, 1758) appartient à l’ordre des Accipitriformes et à la famille des Accipitridae, une branche aujourd’hui bien distincte et définie dans le vaste monde des rapaces, depuis la séparation de l’ordre des Falconiformes.
Pour revenir aux traditions de la fauconnerie : ces oiseaux étaient très communs dans les cours médiévales où ils étaient les favoris des dames de la noblesse, en raison de leur taille et de leur poids réduits. Toutefois, quelques siècles plus tard, l’épervier d’Europe a perdu ses titres royaux pour servir finalement les prêtres et le clergé en général, avec une nette distinction de genre.
La femelle était affectée aux sacerdoces et aux presbytères, tandis que le mâle, plus petit que la femelle et appelé dans le jargon “mousquet”, était utilisé par les diacres et le bas clergé.
Mousquet, “musket en anglais” ou “moschet” en ancien français, vient du terme latin “musca” = mouche, pour indiquer sa taille réduite.
Il existe un oiseau en tous points similaire à l’épervier d’Europe, mais faisant presque deux fois sa taille : l’Autour des Palombes (Accipiter gentilis). Deux fois plus grand ainsi que deux fois plus courageux, l’autour des palombes témoigne néanmoins d’une même élégance et aisance en vol.
À l’opposé, légèrement plus menu mais manifestant des comportements similaires, le Faucon émerillon (Falco columbarius) peut facilement être confondu avec l’épervier d’Europe, bien qu’il appartienne à l’ordre des falconiformes et à la famille des falconidés.
L’étymologie du nom vulgaire “épervier” possède des origines antiques issues de l’Europe du Nord et semble dérivée de “sperhauk” ou “spearhafoc” (faucons des moineaux), un terme dont on retrouve la trace dans “sparrow”, nom commun aujourd’hui utilisé par les anglophones pour désigner cet oiseau.
L’étymologie du binôme scientifique, en revanche, tire son origine du latin pour le genre et de l’ancienne mythologie grecque pour l’espèce. “Accipiter”, de “accipere” = saisir violemment, et “nisus” de Nisos, fils de Pandion et roi de Mégare, qui se voit transformer en faucon après que sa ville fût livrée à Minos, roi de Crète, suite à une trahison commise par sa fille Scylla. Scylla a, elle, été transformée en alouette, condamnée pour toujours à fuir son père devenu faucon. Une autre légende raconte que le père Pandion aurait été transformé en Balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus) et la fille Scylla, en un poisson, maintenant toujours ce concept de persécution éternelle. En Europe, l’épervier est appelé : Sparrowhawk en anglais, Sperber en allemand, Gavilán Común en espagnol, Gavião da Europa en portugais et Sparviere ou Sparviero euroasiatico en italien.
Zoogéographie
L’épervier d’Europe est dispersé aux quatre coins de l’Eurasie, avec un territoire très vaste qui va de l’Océan Atlantique aux côtes du Pacifique, exception faite de la toundra extrême, des zones arides et nues de l’Asie centrale, des déserts et des très hautes chaînes montagneuses de l’Himalaya. Il est présent également en Afrique, avec une population stable dans les zones boisées du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie.
Les populations asiatiques, et une partie de celles qui peuplent l’extrême nord de l’Europe, sont migratrices. Durant la saison froide, elles se retirent dans leurs quartiers d’hiver plus au sud, descendant sous la latitude du 40e parallèle, mais rejoignant également l’Inde et la péninsule malaise, la péninsule arabe et le nord-est de l’Afrique jusqu’à l’Éthiopie et le Soudan. La population européenne est généralement sédentaire, même si sujette elle aussi à des déplacements latitudinaux qui néanmoins se bornent toujours aux terres du continent. Au cours de cette période, les populations s’entremêlent, donnant lieu à une augmentation de la population dans les zones méridionales et méditerranéennes de son territoire, zones où se concentre l’hivernage de nombreux passereaux dont les éperviers se nourrissent.
Diverses sous-espèces, très localisées pour certaines, ont été déterminées.
L’Accipiter nisus granti, se trouve uniquement à Madère et dans les îles Canaries, avec une population assez réduite. L’Accipiter nisus wolterstorffi vit uniquement en Corse et en Sardaigne. L’Accipiter nisus dementievi est présent dans les chaînes de montagnes de l’Asie centrale ; l’Accipiter nisus melaschistos de l’Hindu Kush au sud de la Chine ; l’Accipiter nisus nisosimilis de la Sibérie à la Chine ; Accipiter nisus punicus dans le nord-ouest de l’Afrique ; et enfin, l’Accipiter nisus nisus de l’Europe à la Sibérie.
Écologie-Habitat
L’épervier d’Europe est étroitement lié aux milieux boisés, même d’ampleur limitée, du moment que s’y dressent des feuillus surplombant buissons, arbustes et arbrisseaux en haut desquels s’abriter et planifier des embuscades.
De même, pour la nidification, il a besoin de coins ombragés et denses, isolés et peu accessibles, avec des arbres de faible hauteur : bosquets de sureaux, d’acacias, de jeunes peupliers, même à culture intensive, couverts de lierres grimpants et de chèvrefeuilles, et toujours, de préférence, avec un sous-bois dense. À des altitudes plus élevées, il aime d’autant plus les bosquets de conifères et les bois plus ouverts.
En tant qu’oiseau de proie non spécialiste de la poursuite pure en matière de chasse, l’épervier d’Europe recourt souvent à la méthode consistant à tendre des pièges ou à fondre soudainement sur sa proie, avec un vol très rapide sur une courte distance. C’est pour cette raison qu’il aime se cacher dans les lieux ombragés, attendant qu’une proie transite dans l’espace sous son contrôle pour la chasser et la capturer, en effectuant l’impressionnante pointe de vitesse dont il est capable.
Cette capacité à se déplacer à une telle vitesse est surprenante compte tenu de la végétation dense, esquivant chaque petit obstacle en opérant de brusques zigzags très rapides, avec en plus un freinage inimaginable, des piqués et des ascensions soudains. Tout cela lui permet de capturer des proies habituées à vivre dans ces milieux, même si celles-ci sont très rapides et toutes petites.
Pendant la migration et l’hivernage, il n’est pas rare de l’observer dans les milieux ouverts survolant au ras du sol, ailes à demi closes mais battantes, suivant chaque petite bosse, creux, haie, et parfois même, suivant les fossés en rasant la surface de l’eau de si près qu’il passe sous les ponts étroits pour ne pas voler à une altitude plus élevée. Dans ces vols planés, aidé par la couleur de son plumage propice au camouflage qui le rend pratiquement invisible, il capture ses victimes habituelles, à savoir rouge-gorge et pinsons, merles et grives, passereaux et moineaux. Cependant, il lui arrive de fuir ces situations et de temps en temps, semblant vouloir profiter d’un instant de liberté, voilà qu’il monte et disparaît haut dans le ciel, voltigeant aux côtés des buses, des aigles et des hirondelles, comme pour prouver que ce monde est en partie le sien.
Morphophysiologie
L’épervier d’Europe est un des plus petits représentants de la famille des accipitridés et, plus que tout autre membre de ce groupe, la différence de taille entre le mâle et la femelle est significative. Bien qu’il soit commun parmi les rapaces d’observer une plus forte corpulence chez la femelle, dans le cas de l’épervier d’Europe, le mâle s’avère environ un tiers plus petit que la femelle, mettant en évidence deux structures tellement différentes qu’elles conditionnent deux styles de vie, d’alimentation et naturellement, de force opposés. La femelle est quasiment aussi grosse que l’autour des palombes mâle, alors que le “mousquet” mesure au maximum 30 cm de long, avec une envergure d’environ 60 cm et un poids aux alentours de 170 g.
La femelle, quant à elle, mesure plus de 40 cm de long, avec une envergure qui atteint 80 cm et un poids bien supérieur à 300 g. De même, le dimorphisme sexuel est marqué au niveau du plumage. Le mâle a la tête, les épaules et les ailes gris-brun avec des reflets bleutés plus prononcés à mesure qu’il gagne en maturité et en âge.
Ses rémiges et sa queue sur la face inférieure sont zébrées d’amples bandes noires régulières, bien visibles lorsqu’il est en vol, le faisant ressembler à un échiquier. Son ventre blanc est délicatement rayé, sur la partie supérieure, de lignes transversales parallèles couleur brique, qui encadrent aussi délicatement ses flancs. Cela met en évidence, toujours chez les adultes, une teinte rougeâtre diffuse partant de la gorge puis s’accentuant considérablement vers le bas, créant sur le ventre un joli contraste avec le bleuâtre du dos. Sa tête est traversée par une large bande sourcilière blanchâtre qui court jusqu’à sa nuque. Son iris est d’un jaune étincelant, qui rend les yeux de cet oiseau pénétrants et envoûtants, mais en même temps, effrayants du fait de son regard et de son allure généralement renfrognée.
Son bec très crochu et pointu est noir au bout, avec la cire jaune bien étendue. Ses jambes avec des tarses très allongées et minces, terminées par des doigts très fins, sont elles aussi d’un beau jaune paille. Ses griffes noires, plus prononcées et fortement pointues, constituent une arme mortelle pour immobiliser sans hésiter chaque petite proie.
La femelle a un plumage plus modeste, n’ayant ni les reflets bleutés, ni la couleur rouille sur le ventre que présente le mâle, mais elle affiche cependant toutes les stries et rayures de son partenaire.
Les jeunes ont un plumage plus modeste, mais qui esquisse fidèlement ce que sera leur livrée adulte. Le tracé sur leur poitrine est plus marqué et met en évidence des lignes verticales souvent telles des gouttes, plutôt que des lignes horizontales comme les adultes.
Autre considération sur son plumage. Dans l’ancienne tradition populaire, remontant au temps d’Aristote, on soutenait que le Coucou Gris (Cuculus canorus), devenait l’hiver un épervier d’Europe tant est frappante la similitude entre les deux oiseaux. En mémoire de cette conjecture, encore aujourd’hui un proverbe de la plaine du Pô énonce : “d’istà cucheto, d’inverno falcheto” (l’été, coucou ; l’hiver, épervier).
Il est impossible de confondre le vol de l’épervier d’Europe. Ailes très arrondies, battements d’ailes très rapides pendant quelques secondes, vol plané rapide et léger, brusquement suivi d’autres battements d’ailes. Dans ces vols, la vitesse est assez réduite, sans comparaison possible avec les poursuites lancées au cours de la chasse.
Durant ces battements, une pointe et un sprint entre un virage, un piqué ou une ascension… Il est impressionnant et tellement rapide qu’il est presque imperceptible à l’œil nu
Ses ailes arrondies et sa longue queue sont des accessoires déterminants pour rendre ces manœuvres possibles.
L’épervier d’Europe, en particulier la femelle, peut facilement être confondu avec l’autour des palombes bien que plus grand, car il a la même façon de voler, la même silhouette et le même habitat.
Éthologie-Biologie reproductive
L’épervier d’Europe est un oiseau très farouche, et sa nidification passe souvent inaperçue bien qu’il se place dans des lieux de grand passage. Son nid consiste en une construction massive et désordonnée de rameaux, ornée de petites feuilles et de fines radicelles qui forment une grande coupe peu profonde. Au cours de la couvaison, le nid se remplit de plumes duveteuses perdues par la femelle tout au long de son séjour dans le nid. Il est généralement construit à la confluence de branches horizontales à des hauteurs variables, mais jamais élevées. Dans les fourrés de la plaine du Pô, il aime bien le construire adossé à une branche couverte de lierre grimpant, souvent à moins de trois mètres de haut.
Une fois le couple formé, le nid est très rapidement mis en place, puisqu’il réutilise souvent celui de l’année passée ou un de ceux construits lors de la saison des amours. Il est souvent fidèle à son lieu de naissance, de sorte que les diverses nidifications peuvent avoir lieu année après année dans un même rayon de quelques mètres. Nous évoquions précédemment la réserve et la discrétion de ces oiseaux durant la nidification. Pendant cette période, les éperviers semblent disparaître de la circulation ; pourtant, ils occupent des bosquets sur une superficie très limitée.
Le mâle monte la garde, se tenant dissimulé sur quelques rameaux de la deuxième ligne d’arbres qui donne sur des espaces ouverts, d’où il peut voir parfaitement ce qui se passe autour sans en aucun cas être vu. La femelle qui couve observe attentivement chaque petit mouvement se produisant à l’intérieur du bois, gardant toujours l’oreille tendue pour entendre les éventuels cris du mâle. En fait, le cri d’alarme que d’abord le mâle, puis la femelle, émettent dès lors qu’un intrus pénètre leur territoire est l’unique indication trahissant la présence des éperviers d’Europe. Un “ké ké ké” rapide et sec émis par le mâle, plus lent et rythmé chez la femelle. Toutefois, même dans ce cas, il demeure impossible de les voir.
La femelle pond entre 3 et 6 œufs de couleur crème légèrement bleutés, fortement tachetés de marron rougeâtre dans la partie large. Le cycle de reproduction de l’épervier d’Europe dure environ 130 jours au total, durant lesquels 30-35 jours sont consacrés à la couvaison et 70 autres, à l’envol et à la prise d’indépendance des jeunes.
Les petits naissent couverts d’un duvet candide qu’ils perdent après deux à trois semaines, remplacé progressivement par les premières plumes juvéniles.
C’est la femelle qui nourrit les petits dans le nid, pendant que le mâle s’adonne à la capture de proies qui seront livrées à la femelle prêtes à la consommation. En fait, chaque proie est complètement déplumée loin du nid, souvent aux mêmes endroits appelés postes de déplumage, lieux par lesquels passent pratiquement toutes les proies capturées.
Les victimes sont généralement des petits passereaux quand le mâle part à la chasse, mais leur taille augmente lorsque c’est la femelle qui s’y colle, cette dernière capturant grives, merles et pigeons.
Les jeunes, au moment où ils atteignent la taille des parents mais demeurent encore incapables de voler, abandonnent le nid et se posent sur les branches voisines, passant les dernières semaines avant leur envol à cet endroit. En effet, le nid se fait rapidement très étroit et incapable de supporter le poids d’une famille nombreuse. Un indice révélateur dévoile la présence de la couvée : au pied du nid, tout autour, le sol est blanchi en raison des fientes blanchâtres rejetées en abondance. Les jeunes restent ensuite avec leurs parents 4 autres semaines avant de devenir totalement indépendants. La maturité sexuelle arrive à 2-3 ans. Ils ont une durée de vie de quelques années, même si un spécimen ayant vécu plus de 20 ans a déjà été observé.
L’épervier d’Europe, très commun dans le monde anglo-saxon, est souvent entré dans la littérature des pays associés. Shakespeare le cite dans certaines de ses pièces, comme c’est le cas de Tennyson dans ses poèmes, mais d’autres écrivains en font régulièrement mention, rappelant son agressivité, sa majesté mais dans le même temps, la délicatesse de son vol.
Synonymes
Falco nisus Linnaeus, 1758.
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