Famille : Corvidae
Texte © Dr. Gianfranco Colombo
Traduction en français par Catherine Collin
Qui sait pourquoi quand on parle de la Pie, on lui accole le qualificatif de voleuse, comme si c’était l’unique caractéristique particulière de cet oiseau. Et penser que dans nul autre endroit au monde cette épithète offensive n’est utilisé ! Certains l’appellent simplement longue-queue, d’autres bavarde, d’autres encore “à queue” ou d’autres commune ou même européenne, mais jamais voleuse.
Bien qu’être appelé ainsi n’est certes pas plaisant, quand il s’agit de la pie ce qualificatif a toujours eu un sens différent, divertissant, une singularité qui a toujours créé autour d’elle un halo de sympathie et de bienveillance.
Cette particularité a souvent été utilisée en littérature, dans des comédies divertissantes et même dans l’opéra pour provoquer ces situations tragi-comiques particulières qui à la fin du récit se dénouent, accusant la pie voleuse à son tour, actrice ignorante des forfaits précédemment reprochés aux acteurs de la comédie. Rossini en sait quelque chose lui qui, il y a deux siècles, avec sa très célèbre et homonyme œuvre lyrique, La pie voleuse, l’a rendue gentiment célèbre dans le monde entier. Cet opéra a certainement été l’un des principaux promoteurs de cette publicité.
La pie n’est pas voleuse comme on peut l’imaginer mais seulement attirée par la brillance des objets abandonnés par l’homme qui l’attirent curieusement comme cela se produit pour beaucoup d’autres oiseaux.
Divers rapaces, eux aussi curieux, s’approchent souvent d’objets brillants, l’Alouette des champs (Alauda arvensis) également avec le fatidique miroir aux alouettes. D’autres oiseaux aussi cherchent et volent de petits objets colorés. Les oiseaux jardiniers australiens (famille Ptilonorhynchidae) par exemple, ornent leurs nids avec des breloques impensables pour attirer une femelle. Ainsi plus que voleuse il serait plus juste de dire curieuse.
Certains donnent comme origine à ce surnom le fait que la pie vole effectivement et beaucoup ; mais il s’agit plutôt comme nous le verrons, des oisillons d’autres nids. Non pas pour les cacher ou les enlever, comme le racontent les traditions populaires, mais pire encore, pour les manger.
La Pie bavarde (Pica pica Linnaeus, 1758) appartient à l’ordre Passeriformes et à la famille Corvidae.
Étant un oiseau commun, facilement observable et donc bien connu de tous, on l’a affublé de très nombreux noms locaux, parfois sympathiques et d’autres fois amicaux comme il est d’usage pour les animaux de compagnie.
En voici une brève liste du Nord au Sud de l’Italie : Berta, Checca, Pica, Sgasa, Gaza, Cacciagole, Carcarazza, Ciaula, Gaisgia, Ciabòt, Tapagi, Ciadel, Fracass, Azzera, Calacòle, Ciola, Cola, Cóle, Còlecòle, Aiòsa, Ajassa, Agassa. Termes qui se réfèrent tous au considérable tapage que cet oiseau produit dans sa vie quotidienne.
Elle est appelée Magpie en anglais, Elster en allemand, Urraca comun en espagnol, Gazza europea ou Gazza comune en italien et Pega rabuda en portugais.
L’origine du nom vulgaire anglais est particulier. Il est utilisé communément en argot pour indiquer un collecteur de petits objets inutiles mais aussi pour pointer du doigt une personne pipelette et commère.
L’étymologie du binôme scientifique Pica pica dérive du terme classique latin “pica” = tapageur, joyeux, devenu ensuite “gaium” = gai dérivant du nom propre Gaio, un personnage qui probablement respirait la joie !
De nombreuses légendes et traditions se rattachent à cet oiseau à travers l’Europe, certaines sont des anecdotes sympathiques, d’autres de mauvais augure mais comme on le sait les origines de ce folklore, lié à la nature, se perdent souvent dans la nuit des temps, quand l’humanité souffrait de peurs ataviques et craignait sorcières et animaux monstrueux inconnus et jamais vus.
Dans le monde anglo-saxon une de ces légendes est entrée dans la tradition locale jusqu’à être interprétée par les enfants dans une comptine très connue, mais également utilisée dans le comportement de tous les jours, y compris parmi les adultes.
Une tradition dont l’origine leur est souvent inconnue mais qui est encore pratiquée à l’heure actuelle. Ainsi, à la vue d’une pie il est instinctif de lui adresser métaphoriquement un salut afin d’éviter une prochaine infortune, en la saluant cordialement d’un “Bonjour Monsieur Pie, comment va votre femme ?” en faisant mine d’ôter son chapeau par politesse.
Une typique réaction superstitieuse très semblable au petit coup que l’on se donne sur le front pour se souvenir de l’infortune d’avoir vu un chat noir traverser la rue. Mais quand la rencontre implique un plus grand nombre de pies la situation s’améliore. Dans la gentille comptine enfantine, récitée aussi pour le corbeau avec lequel la pie semble partager la malchance de la rencontre, plus on voit d’oiseaux et plus le résultat est positif.
“Une pour un chagrin, deux pour un bonheur, trois pour un mariage et quatre pour une naissance”
(One for sorrow, Two for mirth, Three for a wedding, Four for a birth).
D’autres versions se sont allongées jusqu’à compter sept oiseaux, peut-être à la recherche forcenée de meilleurs résultats.
“Une pour le chagrin, deux pour la joie, trois pour une fille, quatre pour un garçon, cinq pour de l’argent, six pour de l’or et sept pour un secret à garder”.
(One for sorrow, Two for joy, Three for a girl, Four for a boy, Five for silver, Six for gold, Seven for a secret never to be told).
Zoogéographie
La Pie bavarde a une aire de répartition très vaste comprenant l’Europe entière, l’Asie continentale et tempérée atteignant le Kamtchatka et les côtes Sibériennes du Pacifique, les côtes africaines méditerranéennes du Nord-Ouest et l’Ouest du Canada jusqu’à l’Alaska. Il n’y a pas en Europe de territoire qu’elle n’occupe sauf les Alpes et les Apennins à de hautes altitudes, l’extrême Nord de l’Écosse et l’Islande.
Elle est même présente au Cap Nord en Norvège. Étrangement et là encore sans motif plausible, elle n’est pas présente en Sardaigne, en Corse, aux Baléares et en Crête.
Écologie-Habitat
L’opportunisme, l’intelligence et la faculté d’adaptation de cet oiseau ont grandement contribué à l’occupation de tous les types d’habitats terrestres où se trouve le minimum indispensable pour garantir sa survie. Des toundras désolées aux zones pré-désertiques mais pourvues d’eau à proximité, des aires de cultures intensives aux côtes, des villes les plus encombrées aux bois épais et sauvages, il n’y a, en somme, aucun endroit où cet oiseau ne s’est installé.
Elle s’est aussi élevée en altitude s’arrêtant pourtant, en Europe, à 1 500 mètres alors qu’en Asie, comme par exemple au Bhoutan, elle vit tranquillement dans les vallées à 3 000 mètres d’altitude.
On ne comprend toujours pas ce qui l’a, dans le passé, empêchée d’envahir des aires limitées par un simple cours d’eau comme s’il se fût agi d’une frontière infranchissable, pour ensuite les occuper en masse allant jusqu’à y rendre sa présence envahissante.
Occupation continue et parfois stoppée pendant des années pour ensuite de nouveau se remettre en marche sans la moindre hésitation.
Par ces actions, on a vu l’occupation subite, après des décennies d’un siège hésitant dans l’arrière-pays, comme en attente de renfort, des espaces urbains dans les métropoles de l’Europe du Sud alors que depuis de nombreuses années déjà l’opération s’était soldée par une victoire dans les villes du Nord du continent.
Morpho-physiologie
La Pie bavarde est un corvidé de taille moyenne mais avec des mesures énormément augmentées par la très longue queue qui atteint à elle seule les 25 cm de long sur une longueur totale de 45 cm. Son poids n’est que de 200 g et son envergure de 60 cm.
La livrée de la Pie bavarde, vue de loin, montre un oiseau pratiquement blanc et noir mais qui de près, avec les reflets de la lumière solaire sur le plumage iridescent, révèle à la place des couleurs inattendues comme le bronze multicolore. À part le ventre, les flancs et la bande alaire qui sont d’un blanc neigeux, les autres parties du corps sont entièrement noires corbeau mat, sauf les ailes et l’immense queue qui reflètent cette palette de couleurs qui va du rougeâtre au bleu, du bleu ciel au vert, du jaunâtre au bronze.
Il est probable que la queue, attribut que possède également la femelle, a une fonction uniquement lors de la cour vu les difficultés qu’elle provoque lors du vol et le fait qu’elle ne soit absolument pas utilisée en d’autres occasions. Le problème est encore accentué au moment de couver puisque le nid n’est absolument pas adapté pour contenir un tel appendice. Comme dans le cas de la Mésange à longue queue (Aegithalos caudatus), c’est peut-être plus un obstacle qu’un objet d’usage pratique.
Le bec est entièrement noir, très robuste, conique et massif, adapté à n’importe quel usage. Les pattes, elles aussi noires, avec des pantalons de même couleur contrastent nettement avec le ventre très blanc.
Les juvéniles revêtent brièvement la même livrée que les adultes et on les reconnaît plus par la longueur réduite de la queue, pendant quelque temps, et par la brillance des plumes que par la livrée en soi. Les sous-espèces classifiées sont au nombre d’une dizaine parmi lesquelles, digne d’être signalée Pica pica mauritanica typique de l’Atlas marocain et algérien qui montre une petite tache post-oculaire d’un beau bleu clair brillant.
Éthologie-Biologie reproductive
Comme tous les corvidés la Pie bavarde est elle aussi dotée d’une intelligence notable, jointe à un atavique instinct de curiosité et à une nature exploratrice.
Ces vertus ont certainement beaucoup fait pour que son espèce se développe et occupe de nouveaux territoires, s’adaptant continuellement aux diverses situations rencontrées durant ce parcours.
Son intelligence jointe à son atavique curiosité, lui a fait mériter le titre d’un des oiseaux les plus intelligents du monde ailé. Peut-être lui manque-t-il la parole, mais on connaît avec certitude des sujets qui réussissent à émettre des sons gutturaux très semblables à la voix humaine.
C’est un oiseau très bavard et sa présence est toujours signalée par le “chack-chack-chack” émis sans cesse et en toute occasion. Même son pour signaler sa présence, toujours le même pour rappeler ses semblables, le même encore pour signaler les prédateurs et toujours le même aussi durant les échauffourées qui se produisent dans les groupes lors de la période de reproduction.
Ce chant est certainement monotone mais aussi gênant quand la pie se trouve proche des habitations où elle est toujours prête à se quereller, émettant toujours le même “chack-chack-chack”, avec le chat de la maison ou avec le chien qui aboie ou même avec un passant inconscient de sa présence et absolument inoffensif pour elle.
Un martyre disent ceux qui l’ont eue à nicher sur un arbre de leur jardin.
Comme tous les corvidés, elle se reproduit une fois l’an pendant la belle saison et cette période devient un enfer pour tous les petits oiseaux qui nichent aux abords de son nid.
En fait, la Pie bavarde nourrit souvent ses poussins avec les petits des autres oiseaux qu’elle va dérober dans leurs nids à peine avertie de leur présence.
En cas de nécessité elle peut aussi manger leurs œufs et par conséquent elle crée pratiquement un désert aux alentours de son nid pour les oiseaux ayant un nid visible et à portée de main.
C’est un comportement également typique de la Corneille mantelée (Corvus cornix) avec laquelle elle partage une grande partie de son territoire mais aussi la vilaine habitude de se servir dans les nids des autres, y compris les leurs.
Une étude anglaise a révélé qu’il n’y a pratiquement rien que la Pie bavarde ne mange. Elle est insectivore et granivore, nécrophage et frugivore, elle mange des petits poissons et des grenouilles sans oublier les mulots et les poussins domestiques. Si en plus nous ajoutons qu’elle est aussi voleuse par excellence voici énumérées toutes ses qualités !
Elle construit un nid très volumineux dans les hautes frondaisons des arbres formé d’une plate-forme de branches robustes entrelacées et tenues entre elles avec de la boue et de longues racines avec une coupe centrale profonde qui est ornée ensuite avec des brins d’herbe sèche et des poils d’animaux.
Au-dessus est construit un toit de petites branches souvent épineuses qui couvre entièrement le nid, laissant juste une petite ouverture latérale qui sert de porte d’accès au nid.
Bien qu’étant grand et d’un large volume il n’est certes pas adapté pour accueillir, durant la couvée, un oiseau avec une queue d’une telle dimension et après l’éclosion, une nombreuse et débordante progéniture. Pourtant le nid est très résistant et peut être réutilisé les saisons suivantes, après un rafraîchissement printanier.
Les pies sont monogames et gardent souvent un lien indissoluble pour la vie entière. La Pie bavarde pond habituellement de 5 à 8 œufs de couleur bleu-verdâtre, densément piquetés de brunâtre. Ils sont très semblables à ceux du Merle noir (Turdus merula) mais naturellement plus grands bien que très petits pour un oiseau de cette taille.
L’incubation dure plus de trois semaines et les petits restent au nid pendant 25 jours encore. Les deux parents pourvoient au bien-être des oisillons dont ils prennent soin même après l’envol et ceci jusqu’au début de la période de nidification suivante.
Il est fréquent en automne et en hiver de voir des bandes importantes de ces oiseaux, vraisemblablement des groupes familiaux élargis, s’ébattre par la campagne dans leurs habituelles bousculades vociférantes. Cette période dure jusqu’au printemps suivant quand les couples se séparent du groupe pour occuper leur territoire. C’est un oiseau très territorial qui défend âprement son espace vital.
Ce n’est pas, et ne sera sûrement pas dans le futur, une espèce à risque, vu la vastitude de son aire et le grand nombre d’individus présents au sein des différentes populations.
La Pie dans les dernières décennies est également entrée dans le jargon populaire. Au siècle dernier les voitures de la police parisienne étaient appelées pies parce qu’elles étaient noires et blanches. En Angleterre les joueurs de l’équipe de football du F.C. Newcastle United sont également appelés magpies d’après la couleur de leur maillot noir et blanc.
Synonyme
Corvus pica Linnaeus, 1758.
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