Famille : Ciconiidae
Texte © Dr. Gianfranco Colombo
Traduction en français par Catherine Collin
Le Jabiru d’Afrique ou Jabiru du Sénégal (Ephippiorhynchus senegalensis Shaw, 1800) appartient à l’ordre Ciconiiformes et à la famille Ciconiidae. Il s’agit du représentant africain des trois espèces de cette singulière cigogne présentes sur notre planète. L’espèce américaine quant à elle, est assignée au genre Jabiru.
La caractéristique principale de cet oiseau est son bec spectaculaire sur lequel sont pratiquement rassemblés tous les traits particuliers qui le rendent si singulier et impossible à confondre: la taille, la couleur, la forme et la beauté.
Bien que d’une taille remarquable, même pour un ciconiidé, famille dont les membres sont habituellement dotés d’un bec robuste et très visible, l’outil de notre jabiru ne surcharge pas son profil et l’allège plutôt, le rendant sympathique grâce à sa forme mais aussi aux couleurs utilisées par la nature.
On ne retrouve pas dans le bec de cette cigogne les terribles et parfois effrayants rostres que montrent le Bec-en-sabot du Nil (Balaeniceps rex) ou le Savacou huppé (Cochlearius cochlearius) mais on se trouve sûrement là face à l’un des becs les plus intéressants du monde ailé.
La classification taxonomique de cet oiseau reprend cette caractéristique, démontrant de manière tacite que celui qui a étudié et classifié cette espèce, a lui aussi été frappé par cette particularité.
L’étymologie du nom scientifique, pour le nom de genre, Ephippiorhynchus, trahit une origine grecque avec la combinaison d’“ephippios” = selle et “rhunkhos” = bec, pour un bec en forme de selle et latine pour le nom d’espèce senegalensis = du Sénégal, épithète souvent galvaudée et associée à tant d’oiseaux provenant d’Afrique ou plus généralement des zones tropicales lointaines pas toujours bien définies.
En Europe, certains de ceux qui ont donné son nom commun à cette belle cigogne ont laissé libre cours à leur imagination, partant du nom Mycteria, terme dérivant du grec “mukter”= museau et “rhunkhos”= bec, avec la signification de bec relevé et Jabiru le nom local en langue tupi donné par les autochtones de l’Amazonie et principalement utilisé pour identifier l’espèce américaine (Jabiru mycteria).
En allemand Sattelstorch, en espagnol Jabirú africano, en italien Cicogna sellata ou Becco a sella ou Mitteria et en portugais Jabiru.
Zoogéographie
Les trois cigognes appartenant à ce groupe sont souvent appelées grandes cigognes et vivent respectivement en Afrique, en Australasie et en Amérique du Sud.
Le Jabiru d’Afrique est un oiseau uniquement africain et occupe largement toute l’aire tropicale subsaharienne de ce continent, couvrant tout l’espace du Sénégal à l’Ethiopie et au Sud atteint l’Afrique du Sud.
Ce n’est pas un oiseau très commun ou observable en grands groupes dans la mesure où il mène une vie plutôt solitaire qu’il ne partage pratiquement qu’avec sa partenaire même s’il est mêlé à d’autres espèces mais sa distribution est importante et son aire de répartition très vaste.
Comme tous les ciconiiformes cette espèce est étroitement liée aux milieux aquatiques, évitant systématiquement les aires sèches ou asséchées et cherchant, selon l’avancée de la saison des pluies, les lieux inondés. Elle est considérée comme sédentaire et uniquement sujette à de brefs déplacements saisonniers.
Ephippiorhyncus asiaticus ou Jabiru d’Asie, est l’espèce propre au sud-est asiatique et le Jabiru d’Amérique (Jabiru mycteria), déjà cité, sa contrepartie sud-américaine.
Ecologie-Habitat
Cet oiseau n’aime pas les forêts épaisses ni les zones arides de façon permanente mais vit principalement dans des marais inondés, sur les rives de fleuves et les anses avec de l’eau à faible débit. Il fréquente aussi lacs et plans d’eaux douces même de petite taille. Il occupe habituellement des lieux ouverts avec une grande visibilité mais il n’est pas non plus rare de le trouver sur de petits cours d’eau cachés par des buissons, où il passe tranquillement sa vie assez solitaire. Il aime le calme mais ne manque pas de se réunir avec d’autres espèces d’oiseaux dans des lieux où la nourriture est abondante bien que préférant se tenir à distance des autres oiseaux souvent beaucoup plus intrusifs.
Contrairement aux apparences, cette cigogne montre un caractère doux et amical et ne semble pas tirer avantage de sa grande taille. C’est d’ailleurs plutôt elle qui est importunée et devancée lors de la capture de proies par d’autres espèces, surtout des ardéidés, notoirement plus agressifs et envahissants que notre jabiru.
Morpho-physiologie
La taille du Jabiru d’Afrique est imposante et dans sa zone de répartition seul le Marabout d’Afrique (Leptoptilos crumenifer), un ciconiidé considéré comme l’un des plus gros oiseaux capables de voler, est plus grand. Sa structure est beaucoup plus élégante, mince et allongée avec un corps effilé bien proportionné, une démarche très élégante, quasi majestueuse et des jambes longues et minces, beaucoup plus colorées.
Il dépasse les 130 cm pour une envergure de 230 cm et un poids variable pouvant aller jusqu’à 6 kg. Dressé sur ses très longues pattes il atteint une hauteur supérieure à 150 cm.
Les couleurs de base de la livrée sont le noir et le blanc. Le cou et la tête sont totalement noirs, la poitrine et le corps blanc pur et les couvertures des ailes noir de jais.
Ailes déployées il montre des rémiges blanches et des couvertures noires aussi bien dessus que dessous, c’est pourquoi, lorsqu’il est en vol, il paraît être un oiseau bicolore. Sur la poitrine il montre une petite tache de peau nue rouge vif qui tend à s’obscurcir lors de la période de nidification.
Cette cigogne montre un bec très caractéristique, pratiquement une palette bigarrée de fantastiques couleurs, associées de façon extravagante. A la base, ce bec est rouge vif puis interrompu à peu près à la moitié de la longueur par une large bande noire et ensuite la couleur rouge reprend jusqu’à la pointe. Sur la base supérieure, au niveau de l’attache avec la tête, il est orné d’une plaque frontale (la selle) jaune vif, bien visible même de loin, qui contraste fortement avec les deux autres couleurs.
Un bec aussi coloré et aussi massif, dépassant les 30 cm de long, ne peut certes pas passer inaperçu, encore moins avec cette forme pointue et doucement recourbée vers le haut qui lui donne un air aimable et sympathique.
Sur sa gorge on voit pendre deux petites caroncules, de taille réduite mais bien visibles, également jaune vif et contrastant avec le dessous noir.
La couleur des yeux est différente selon le sexe, brun foncé chez les mâles et jaune brillant chez la femelle. Il y a également une petite différence de taille et de poids en faveur du mâle.
Le contraste avec le noir de jais de la tête rend son regard très perçant.
Les pattes aussi sont attrayantes. Dans l’ensemble elles sont noir-grisâtre mais embellies par les articulations et les pieds rosés. Les tarses sont très longs au contraire des doigts qui semblent courts et sous-dimensionnés pour sa stature.
Les jeunes présentent immédiatement les prémices de cette livrée mais avec des couleurs et des nuances beaucoup plus estompées.
Comme toutes les cigognes, lorsqu’elle vole elle tient son cou bien tendu en avant avec le bec légèrement abaissé.
Éthologie-Biologie reproductive
Comme beaucoup d’oiseaux africains montrant des caractéristiques particulières tels l’Ibis sacré (Threskiornis aethiopicus), le Faucon sacre (Falco cherrug), le Vautour percnoptère (Neophron percnopterus), cette cigogne aussi entrait dans le panthéon de l’Egypte ancienne et se trouvait couramment représentée dans les hiéroglyphes.
Le Jabiru d’Afrique est une espèce monogame vivant en couples très unis qui maintiennent, durant la période de reproduction, une attention de tous les instants entre partenaires. Ces oiseaux sont également très attentionnés envers leurs petits auxquels ils apportent tous les soins possibles. Cette cigogne ne pond qu’un petit nombre d’œufs et il semble qu’afin que la reproduction donne de bons résultats, elle doive prendre grand soin de sa progéniture.
C’est une espèce assez silencieuse sauf pendant la parade nuptiale ou, toujours du nid, quand elle s’occupe des petits. Comme toutes les cigognes, celle-ci émet des craquettements, les caractéristiques claquements de bec obtenus en claquant fortement et de façon répétée les deux mandibules du bec. Les Jabirus d’Afrique émettent aussi de sourds grognements lorsqu’ils sont en couple.
Pour nicher le Jabiru d’Afrique choisit de gros arbres hauts où il accumule une importante quantité de branches et de brindilles qu’il tapisse avec des matériaux plus moelleux. Il niche en solitaire, jamais en colonies, pas même mixtes et ce n’est que rarement que l’on peut voir deux nids proches l’un de l’autre. La reproduction n’a pas forcément lieu tous les ans. Le nid est souvent réutilisé plusieurs années de suite et peut devenir très grand par l’apport continu de nouveaux matériaux.
La femelle pond 1 ou 2 œufs blancs qui sont couvés par les deux parents pendant 7 semaines environ et de 10 à 13 semaines supplémentaires sont nécessaires avant que les petits quittent définitivement le nid. La maturité sexuelle arrive vers la troisième année. L’espérance de vie est d’une vingtaine d’années.
Le Jabiru d’Afrique se nourrit principalement de poissons capturés en immergeant son énorme bec qu’il referme instantanément dès qu’il touche une proie. Son régime alimentaire comprend également des crustacés, des amphibiens, des reptiles mais aussi des petits mammifères, des oiseaux et des insectes, particulièrement des criquets.
Cette cigogne accepte très bien la captivité, ayant un caractère doux et docile, c’est pourquoi on la rencontre dans de très nombreux parcs zoologiques à travers le monde. Le Jabiru d’Afrique n’est pas considéré en danger.
Synonyme
Mycteria senegalensis Shaw, 1800.
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