Famille : Ciconiidae
Texte © Dr. Gianfranco Colombo
Traduction en français par Catherine Collin
Le pittoresque Tantale ibis ou Cigogne à bec jaune (Mycteria ibis Linnaeus, 1766) appartient à l’ordre Ciconiiformes et à la famille Ciconiidae. C’est l’une des cigognes les plus répandues sur le continent africain et l’une des plus colorées. Le Tantale ibis est aussi coloré que son homologue asiatique. Ils sont si semblables qu’ils pourraient facilement être confondus s’ils avaient la même aire de répartition. Il est aussi appelé “cigogne peinte”.
Il suffit d’un petit plan d’eau peu profond, d’une prairie inondée, de la rive boueuse d’un fleuve ou d’un marais ouvert et voici qu’apparaît cet oiseau aisément reconnaissable qui, son gros bec jaune à demi immergé dans l’eau, marche lentement pendant qu’il chasse.
Plus amusante et caractéristique est sa position de repos quand il est posé au sol, absolument immobile sous le soleil accablant des tropiques africains, assis sur ses genoux dans une position étrange et bien peu naturelle. On voit rarement des oiseaux dans une telle position et vu les caractéristiques morphologiques et la grande taille de cette cigogne on a l’impression à première vue que ses pattes sont brisées et qu’elle a adopté cette position afin de pouvoir se tenir dressée.
Une autre caractéristique de cet oiseau, montrée quand il est petit au nid, est son incroyable gloutonnerie au moment de la becquée qui lui a fait mériter son surnom allemand de Nimmersatt = insatiable ; pratiquement un puits sans fond qui engloutit sans répit tout ce qui lui est offert. La conséquence de cette gloutonnerie est une ahurissante augmentation de son poids qui passe en seulement 12 jours de 50 g à presque 1 kg.
L’étymologie du nom de genre Mycteria vient du grec mukterizo = nez, tirer le nez vers le haut, pour son gros bec et son nom d’espèce ibis est le nom d’un oiseau identifié dans la Grèce ancienne comme l’ibis sacré d’Egypte, même si en fait cela se réfère à un autre oiseau.
Dans différents pays européens, Italie comprise, on le nomme Tantale, en référence au personnage de la mythologie grecque condamné à un tourment éternel par les Dieux de l’Olympe pour avoir dérobé le nectar et l’ambroisie dont ils se nourrissaient. Cette référence a aussi mené à l’acceptation d’un néologisme très utilisé dans le monde anglo-saxon, “to tantalize”, pour rappeler un long et pénible tourment.
Voici certains de ses noms vulgaires : en anglais Yellow-billed Stork; en allemand Nimmersatt; en espagnol Tántalo Africano; en italien Tantalo africano ou Cicogna dal becco giallo; en portugais Cegonha-de-bico-amarelo et en japonais afurikatokikou.
Zoogéographie
Le Tantale ibis est présent dans pratiquement toute l’Afrique au sud du désert du Sahara ainsi qu’à Madagascar. Il a tendance à être plus présent dans la partie est du continent, montrant de fortes concentrations dans certaines aires d’Ethiopie, du Kenya et de Tanzanie. Il occupe toutes les aires humides et marécageuses présentes dans l’autre partie du continent mais il évite systématiquement les forêts épaisses et les zones prédésertiques.
Hors du continent africain vivent des espèces assez similaires au Tantale ibis. Toutes trois sont considérées comme appartenant au même genre et ne diffèrent que par des particularités minimes que l’on distingue parfois difficilement sur le terrain. Chacune occupe un territoire bien défini avec des superpositions partielles, particulièrement en Asie.
Le Tantale d’Amérique (Mycteria americana) d’Amérique comme son nom l’indique, le Tantale blanc (Mycteria cinerea) de la péninsule indochinoise et d’Indonésie et le Tantale indien (Mycteria leucocephala) du sous-continent indien jusqu’au sud-est asiatique.
Écologie-Habitat
La nécessité d’avoir à disposition des aires humides dotées de caractéristiques particulières oblige cette cigogne, habituellement sédentaire, à faire des déplacements à l’intérieur de son aire suivant le cycle des pluies saisonnières c’est pourquoi sa présence devient ubiquitaire selon les saisons.
Ce nomadisme est déterminé soit par des périodes de sécheresse provoquant l’assèchement des aires humides qu’il fréquente soit par des inondations modifiant le niveau des eaux habituellement basses où il chasse.
Une profondeur supérieure à la longueur de ses pattes l’empêcherait de pratiquer son mode de chasse et rendrait les marais impraticables tout comme un assèchement de ces mêmes marais lui interdirait aussi cette chasse.
Cependant, là où les marécages sont inondés en permanence le Tantale ibis devient sédentaire et il demeure sur le territoire occupé durant la saison des amours et par la suite également.
Morpho-physiologie
Le Tantale ibis est une cigogne de taille moyenne présentant une envergure d’au moins 150 cm, un poids de 2 kg et une longueur de 100 cm. Son corps est entièrement blanc avec la queue et les rémiges noires se remarquant bien lors du vol qui consiste en de rapides battements d’ailes entrecoupés de vols planés, ailes tendues et cou tendu.
Le bec est très particulier parce que conique et très robuste, avec la pointe légèrement incurvée, long de plus de 30 cm et d’une belle couleur jaune vif. Le front, la face et une partie de la tête sont nus et rouge vif et les yeux sont noirs.
Il n’y a pas de dimorphisme sexuel même si la femelle montre un bec légèrement moins massif et un poids inférieur. Bien que restant coloré toute l’année, le Tantale ibis montre une livrée aux couleurs plus vives durant la saison des amours. En cette période particulière les pattes et le blanc du plumage se teintent d’un léger ton de rose et le rouge de la face devient vermillon. La livrée des juvéniles, privée de couleur, est totalement brun grisâtre. La face est légèrement orangée et le bec jaune grisâtre. Vers un an, le plumage commence à prendre graduellement des couleurs et après quelques mois les jeunes montrent la même livrée que leurs parents.
Ce n’est pas un oiseau très volubile et il n’émet en général pas de chant particulier ou de cri de rappel si ce n’est un grand tapage durant la becquée ou lors de ces altercations qui surviennent sur des arbres surpeuplés là où la colonie est installée et durant la parade nuptiale.
Éthologie-Biologie reproductive
Habitant typique des marais et des étendues d’eau auxquels il est étroitement lié afin de se nourrir, le Tantale ibis a une façon bien particulière de chasser ses proies. Marchant lentement dans l’eau il y plonge son bec massif presqu’entièrement, le tenant légèrement entrouvert et le déplaçant rapidement en zigzag jusqu’à ce qu’il touche un petit animal ou un poisson. A ce moment il le referme d’un coup, piégeant irrémédiablement sa proie.
La rapidité avec laquelle il referme son bec pour piéger sa proie est proprement incroyable. On parle de quelques millièmes de seconde et l’animal ne peut que difficilement réussir à fuir.
La victime est immédiatement ingurgitée entière et encore vivante par un rapide soulèvement de la tête et une rapide reprise au vol avant de reprendre aussitôt le rythme de pêche habituel. Quand ils sont plusieurs à travailler ainsi côte à côte, le marais est passé en coupe réglée même si heureusement tous les animaux qui y vivent ne sont pas capturés.
Son alimentation se compose principalement de petits poissons, d’amphibiens, de vers, de crustacés mais aussi de petits animaux ainsi que de jeunes oiseaux.
Le Tantale ibis attend en général la fin de la saison des pluies pour commencer la nidification. En fait, après cette période le niveau de l’eau qui avaient envahi chaque recoin de son territoire commence à baisser, retrouvant la hauteur idéale pour l’approvisionnement en nourriture. Il n’est donc pas rare d’observer des oiseaux nicheurs en toute saison pour peu que le milieu garantisse l’approvisionnement quotidien en nourriture.
Après avoir choisi l’arbre sur lequel nicher le mâle attend patiemment l’arrivée d’une femelle, étendant ses ailes et lissant continuellement ses rémiges ou s’agitant comme s’il secouait son dos pour en ôter de la poussière. Le Tantale ibis a de nombreuses autres attitudes et un vaste répertoire à son actif afin de conquérir une femelle.
Durant cette démonstration il émet de légers souffles et de petits cris qui accompagnent la parade nuptiale. Le nid est une plateforme plutôt grossière, construite par les deux partenaires sur les branches de la couronne de l’arbre choisi, en compagnie de ses semblables et d’ardéidés. La femelle pond de 2 à 4 œufs blanchâtres et les deux parents s’occupent de la couvée pendant environ 30 jours.
Les œufs sont pondus espacés et l’éclosion n’est donc pas synchronisée, ce qui mène à la présence dans le nid d’oisillons ayant plusieurs jours de différence. Il est donc naturel que lors d’une pénurie de nourriture, dans un nid où les petits sont particulièrement avides et voraces, les derniers-nés succombent naturellement laissant la place aux aines.
La nourriture ramenée au nid est régurgitée aux pieds des petits pour qu’ils apprennent rapidement à se nourrir seuls. Comme il est d’usage chez les ciconiformes, souvent les parents apportent de l’eau dans leur bec et la reversent directement dans la gorge des petits pour les désaltérer. Autre caractéristique de cette espèce : pour combattre la forte chaleur dans le nid exposé toute la journée au soleil des tropiques, ils urinent sur leurs pattes de façon à se rafraîchir. Il n’est pas rare de voir des ciconidés montrant des pattes très blanches à cause de cette habitude.
Les petits quittent le nid à 8 semaines mais restent encore quelque temps avec leurs parents même s’ils sont déjà habiles à la pêche, jusqu’à atteindre l’indépendance. La maturité sexuelle est atteinte vers trois ans.
Dans certaines aires africaines ces cigognes sont chassées et leur viande est souvent vendue sur les marchés ruraux. Restant au nid longtemps après avoir atteint la taille adulte, cette espèce est souvent l’objet de prélèvements illégaux pour l’alimentation locale.
Le Tantale ibis a peu d’ennemis naturels mis à part les aigles ou les gros rapaces nocturnes et si l’on considère le bon nombre d’individus présents ainsi que le vaste territoire occupé, il ne compte pas parmi les espèces à risque.
Synonyme
Tantalus ibis Linnaeus, 1766.
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