Famille : Ciconiidae
Texte © Dr. Gianfranco Colombo
Traduction en français par Virginie Thiriaud
Le Marabout d’Afrique (Leptoptilos crumenifer, Lesson 1831) appartient à l’ordre des Ciconiiformes et à la famille des Ciconiidae.
C’est le plus grand représentant de sa famille et, dans le monde ailé, l’un des plus grands oiseaux volants.
Il n’y a pas de village africain, en particulier le long des rivières ou des cours d’eau, mais aussi dans les villes et les petits groupes de huttes, où cet oiseau ne soit présent et ne contribue à une activité tout à fait indispensable pour la communauté humaine : le nettoyage. Le marabout est l’éboueur typique.
Il erre autour des maisons à la recherche de restes de nourriture, se pose sur le toit des cabanes en attendant que quelqu’un jette quelque chose dans la rue, accueille avec impatience le retour des bateaux de pêcheurs ou fouille dans les ordures avec les chiens et les vautours.
C’est un oiseau gigantesque, aussi haut qu’un garçonnet, au corps massif soutenu par deux longues pattes robustes.
Perché sur une hutte, elle semble minuscule en comparaison et parfois incapable de supporter le poids important de cet oiseau.
Quand on parle de la beauté d’un oiseau, de son port et de son élégance, ce n’est pas vraiment le cas du marabout.
Il compte parmi les oiseaux les plus laids de la planète et, en cas de compétition avec les quelques autres appartenant à son royaume, il pourrait être le vainqueur.
Il a un aspect extrêmement disgracieux et sale, aggravé par la peau nue qui recouvre le cou et la tête, tapissée d’écailles grisâtres et encrassées qui recouvrent presque entièrement le bec en remontant jusqu’au front. De plus, le duvet clairsemé qui recouvre la tête lui donne encore plus un aspect désordonné, qui est la caractéristique particulière de cet oiseau. Enfin, l’immense goitre, long, grossier et mou, qui se balance dans la direction opposée à son pas, ressemble à une excroissance non désirée, également recouverte d’un duvet clairsemé, ébouriffé et inopportun.
Peut-être cette laideur a-t-elle conduit l’être humain, avec lequel il a toujours vécu paisiblement, à la conclusion de le laisser tranquille, ne sachant que faire d’une telle abomination.
Mais le marabout a des vertus cachées qu’il ne démontre pas lorsqu’il a les pieds sur terre, au même niveau que ces êtres humains qui le jugent si brutalement selon leurs critères.
En vol, c’est un oiseau majestueux, incroyablement léger, maître de l’air peut-être même plus que les vautours, capable de se coller au ciel comme un cerf-volant, planant immobile pendant des heures comme si rester là-haut était la seule façon d’oublier combien il est mal jugé en bas, des centaines de mètres en dessous.
Nous ne le saurons peut-être jamais, mais de là-haut, il se venge de nous et de nos mauvaises considérations.
Le terme marabout est emprunté à l’arabe “murābit” = garde, précisément pour sa posture habituelle lorsqu’il est au sol, érigé et immobile comme s’il était une sentinelle.
Il est fort probable que, par analogie avec le terme murābit, on désigne également le Marabout, l’ascète islamique africain typique, une personne importante dans les villages ruraux, également décrite comme ayant une façon de se tenir importante et supérieure.
Petite anecdote, le nom de famille Morabito, assez typique du sud de l’Italie, est d’origine arabe et dérive du nom arabe murābit.
L’étymologie du binôme scientifique trouve son origine dans sa morphologie.
Le nom du genre Leptoptilos vient du grec “leptos” = délicat, allongé et “ptilon” = plume, en raison de la légèreté de ses plumes ; celui de l’espèce, crumenifer ou dans le synonyme crumeniferus, de “crumena” = bourse en cuir pour conserver son argent qui se portait autrefois autour du cou et du latin “fero” = porter.
La beauté de ses plumes était déjà connue au XIXème siècle lorsqu’elles étaient utilisées pour orner des robes du soir luxueuses et vaporeuses.
Dans tous les noms vernaculaires, européens et indigènes, le terme marabout est répété.
En anglais Marabou Stork ; en allemand Marabu ; en espagnol Marabú Africano ; en italien Marabù africano ; en portugais Marabu-africano.
Zoogéographie
Le marabout occupe toute la zone subsaharienne du continent africain où il est omniprésent, atteignant dans certaines zones de fortes concentrations.
Le marabout est un oiseau sédentaire, même s’il est soumis à des mouvements verticaux à l’intérieur du continent, relatifs à l’approche de la saison des pluies. Les jeunes font également des migrations les premières années.
En Afrique, le marabout est le seul représentant de son genre, tandis qu’en Asie, il existe deux espèces très similaires, mais très localisées dans la zone indienne, surnommées Grand Adjudant (Leptoptilos dubius) et Petit Adjudant (Leptoptilos javanicus).
Ecologie-Habitat
Bien qu’il soit un oiseau lié à l’eau, on peut trouver le marabout dans n’importe quel endroit, même très éloigné des lacs ou des rivières.
Son attitude à vivre avec l’être humain l’amène souvent à fréquenter des villages même dans les zones pré-désertiques, soulignant ainsi sa préférence pour cette dernière solution, oubliant souvent sa prédisposition génétique pour l’eau.
Quoi qu’il en soit, grâce à sa capacité de vol et sa facilité de mouvement, il n’y a aucun obstacle pour qu’il atteigne, en peu de temps, des étangs ou des cours d’eau parfois à plusieurs kilomètres de distance. Le centre des grandes villes, avec suffisamment de verdure pour se réfugier la nuit et même y nicher, peut également devenir un habitat ordinaire. Il est omniprésent et on le trouve dans tous les environnements de son aire de répartition.
Morpho-physiologie
Le marabout, avec presque trois mètres d’envergure, est l’un des plus grands oiseaux volants de la planète. Si on ajoute que son poids varie entre 6 et 9 kg et qu’il dépasse 150 cm de longueur, vous pouvez bien imaginer à quel genre de géant de l’air nous avons affaire. Erigé, il a la taille d’un être humain et, vu de loin, c’est à cela qu’il ressemble, du fait des dimensions de son corps, massif et robuste.
On a parlé de son apparence inélégante et désagréable et de la saleté qui souille sa tête, son bec et son cou, mais sa livrée est exceptionnellement bien conservée avec des plumes bien entretenues, brillantes et toujours prêtes à soutenir le vol d’un tel corps.
Le plumage est noir ardoise avec des reflets bleutés sur la partie supérieure des ailes et blanc sur le reste du corps. Les pattes, très longues et robustes sont bleuâtres, avec de gros doigts et des ongles solides typiques des ciconidés, logiquement inadaptés à la prise mais excellents pour la marche.
Le bec est immense, atteignant parfois 35 cm de long, pointu, fort et capable d’asséner de terribles coups à ses victimes.
Sa démarche est disgracieuse, lente et maladroite, mais digne. Sa tête et son cou complètent sa déplorable esthétique. Ces parties du corps sont totalement dépourvues de plumes, la peau y demeurant donc nue et de couleur chair.
Le front, la tête, la nuque et aussi le bec sont incrustés de plaques de peau et de saleté partiellement soulevées et froissées, comme s’il souffrait d’une forme aigue d’eczéma. Une apparence répugnante et certainement adaptée à l’activité nécrophage qu’il exerce habituellement.
A son cou pend un sac charnu et mou qui peut atteindre la même longueur que le bec et devient rose sang pendant la parade nuptiale. En fait, ce sac, qui semble n’être qu’un obstacle lorsqu’il n’est pas activé, n’a aucune fonction digestive ni de goitre mais est seulement un symbole sexuel pendant la période de nidification.
Sur la partie arrière du cou, près des épaules, il possède un deuxième sac, lui aussi gonflable et beaucoup plus petit, et qui devient rouge vif pendant la parade nuptiale.
Il n’y a pas de dimorphisme sexuel. Les juvéniles présentent des couleurs plus atténuées et n’ont pas le sac gulaire qu’ils développeront à la maturité, vers l’âge de quatre ans.
En vol, il est gracieux et léger, un grand planeur qui peut atteindre des hauteurs remarquables lorsqu’il est en compagnie des vautours, comme cela arrive souvent. L’énorme envergure des ailes montre, sur le dessous, les couvertures inférieures de couleur blanche en contraste avec les rémiges noirâtres. En vol, il tient le cou replié entre les épaules.
Éthologie-Biologie reproductive
Bien qu’il préfère les poissons, les amphibiens et les animaux aquatiques, cet oiseau engloutit tout ce qui passe devant son énorme bec. Serpents, souris, oisillons, escargots et limaces, œufs, fruits et légumes pourris, petits os, gros insectes mais aussi fourmis et termites.
Tout ceci, aussi bien vivant que mort.
Son opportunisme, certainement aidé par sa taille énorme, l’a conduit à vivre avec les colonies de flamants, attaquant sans peur les adultes et ne laissant pas de côté les jeunes qui ne savent pas encore voler ou les œufs avant l’éclosion. Un mode de chasse emprunté aux hyènes.
Vivant en étroit contact avec les populations locales, il a appris à exploiter au mieux les activités humaines. Les lieux de pêche, sites de transformation du poisson, abattoirs publics, décharges et tout autre endroit produisant des déchets organiques, sont devenus les lieux qu’il fréquente le plus.
La présence de cet oiseau est impressionnante là où les pêcheurs nettoient les poissons au retour de leurs sorties de pêche.
Stoïques, silencieux et discrets, ils assiègent les bateaux chargés de poissons tandis que les pêcheurs, désintéressés par leur présence, nettoient et trient leurs prises en jetant tout ce qu’ils considèrent comme un déchet, mais qui est au contraire un morceau de choix pour les patients marabouts.
Une action si naturelle et habituelle, désormais apprise et entrée dans l’instinct de ces oiseaux, que le morceau de poisson touche rarement le sol et vient plutôt pris au vol avec une fluidité absolue. Les enfants, irrespectueux mais sûrement dans le seul but de satisfaire leurs misérables possibilités de jeu, lancent des pierres ou des morceaux de bois à la place des poissons qu’ils leurs montrent. Instinctivement, ils prennent l’objet en vol, le confondant avec de la nourriture mais le rejettent aussi vite qu’ils l’ont intercepté.
Si les zones où sont produits des déchets sont les plus fréquentées, il est également présent dans n’importe quel autre coin d’Afrique.
On peut le voir dans la savane, en compagnie des vautours autour d’une charogne, mais plus encore dans les banlieues des grandes agglomérations où il se promène parmi la population, avalant tout ce qui a l’apparence d’un reste organique, combattant ouvertement avec les chiens et autres charognards.
Il n’est pas rare de le voir se promener circonspect autour des tables des restaurants et des bars, attendant qu’un client négligent abandonne momentanément son repas. Opportunisme moderne.
Le marabout niche dans des colonies plus ou moins nombreuses, partageant l’arbre sur lequel il construit sa plateforme avec d’autres espèces comme les ciconidés et les ardéidés.
Les colonies sont parfois extrêmement importantes, surtout dans les villes fluviales qui donnent sur les lacs de la vallée du Rift, occupant entièrement certains quartiers et parcs municipaux. Dans ces endroits, il résulte difficile de trouver une seule branche libre pour y placer un nouveau nid.
Ne craignant pas du tout la présence humaine, on les voit souvent nicher sur les branches basses près des feux de circulation, dans le trafic chaotique de ces agglomérations urbaines, comme s’il s’agissait de policiers suspendus un peu plus haut que le sol pour contrôler la circulation en dessous.
Le couple reste fidèle à vie et même après la période de nidification, les partenaires restent en étroit contact, bien qu’au sein de grands groupes. La saison de nidification n’a souvent pas de dates fixes, à part qu’elle se déroule pendant la période sèche avant la saison des pluies. La cour commence par de forts battements de bec, des grognements et des grommellements profonds et bruyants. Le cou du mâle gonfle et rougit tandis que le sac se rigidifie et s’élargit démesurément tout en prenant une couleur rouge sang.
Le nid est une simple plateforme de grosses branches placé sur la partie supérieure de l’arbre, sans revêtement particulier à l’intérieur mais suffisant pour contenir les deux ou trois œufs blanchâtres habituellement pondus. Sur l’arbre, c’est une incessante dispute chaque fois qu’un individu atterrit ou se déplace en marchant sur les branches, heurtant le voisin ou pénétrant sur le territoire d’un autre couple, territoire qui se situe parfois à seulement deux mètres de celui du couple voisin.
Un chahut continuel qui dure pendant toute la période de nidification, même de nuit, rendant impossible à quiconque de vivre à proximité. Le marabout peut occasionnellement nicher sur des toits de bâtiments urbains, des cabanes rurales et des murets.
La couvaison dure 30 jours et les jeunes restent au nid pendant 12 à 15 semaines. Pendant cette période, se crée une inimaginable surpopulation dans la colonie, avec une agitation et une confusion constantes entre les jeunes et les adultes qui arrivent avec de la nourriture pour donner la becquée. Il n’est pas difficile de remarquer la présence d’une colonie de marabouts, même dans l’obscurité la plus profonde.
Synonymes
Leptoptilos crumeniferus Linnaeus, 1758 ; Ciconia crumenifera Lesson, 1831.
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