Famille : Solanaceae
Texte © Prof. Giorgio Venturini
Traduction en français par Martine Houssin
La Pomme de terre (Solanum tuberosum L., 1753) est une plante herbacée qui peut atteindre 60 à 150cm de haut (selon les variétés), appartenant à la famille des Solanaceae.
Le nom Solanum vient du latin “solamen”= consolation, réconfort, à cause des propriétés médicinales et sédatives de quelques espèces issues de ce genre (Solanum en latin était le nom de Solanum nigrum); le nom de l’espèce, tuberosum, vient du latin “tuberum”= bosse, excroissance, mais aussi truffe, en référence à la production de tubercules.
Le nom anglais, potato, aussi bien que l’italien, “patata”, viennent d’une confusion entre le tubercule de Solanum tuberosum et celui de Ipomoea batatas, la patate douce, une convolvulacea originaire d’Amérique Centrale que les populations caraïbéennes Taíno appellaient “batata”. La confusion a aussi été facilitée par le fait que le nom en quechua est papa.
Les progéniteurs sauvages de la pomme de terre sont originaires d’Amérique du Sud, en particulier des hauts plateaux des Andes, de la Colombie jusqu’au Chili. Dans cette zone se trouvent plus de deux cents variétés sauvages. La plus grande diversité se rencontre dans la région du lac Titicaca.
De nos jours la pomme de terre est largement cultivée dans tous les continents et vient en quatrième position parmi les plantes cultivées sur la planète après seulement le blé, le riz et le maïs.
Morphologie
Au cours des premiers stades de développement les tiges ont un port dressé mais, une fois à maturité, en lien avec la production de tubercules, elles prennent un port prostré et deviennent souvent jaunes. La plante est chevelue, avec des tiges ramifiées et succulentes et est caractérisée par les stolons souterrains qui forment des tubercules. Les feuilles sont pennées-composées, avec 7-8 folioles alternes. Les inflorescences sont terminales, avec des fleurs à cinq pétales, qui peuvent être blancs, roses, bleus ou violets, avec des étamines jaunes. Les fleurs sont portées par un pédoncule de 2-3 cm. Après la floraison, certaines variétés produisent un fruit sphérique jaunâtre ou violacé, de 2-3 cm de diamètre, toxique, contenant de nombreuses graines (jusqu’à 300). D’autres variétés ont des fleurs imparfaites et ne produisent pas de fruits ; elles se reproduisent uniquement par multiplication végétative. Le tubercule, de couleur très variable selon les variétés, se forme comme un gonflement de la partie terminale des longs stolons souterrains grâce à l’accumulation d’amidon, et est recouvert d’un épiderme fin. Les pommes de terre sont pollinisées par les insectes, particulièrement par les hyménoptères du genre Bombus. La pollinisation est en général croisée, mais une autopollinisation est possible. La pomme de terre se reproduit aussi de façon végétative, en plantant dans le sol les tubercules entiers ou partagés. Mentionnons que les tubercules, ou leurs morceaux sont appelés de façon erronée “semences de pomme de terre” et que l’on dit aussi “semer” les pommes de terre.
Valeur nutritionnelle
La pomme de terre contient de nombreux hydrates de carbone (19 g/100 g de pomme de terre bouillie), mais aussi des protéines (2 g), et, de plus est riche en oligo-éléments et en différentes vitamines, particulièrement la vitamine C, et cela fait de ce tubercule un très bon aliment anti-scorbut.
Histoire
Les premiers habitants des Amériques, au cours de leur déplacement vers le sud, ont rencontré différentes espèces de solanées produisant des tubercules comestibles et les ont sûrement utilisées.
Ainsi, dans le sud-ouest des USA les Navajos ont parfois mangé, rôtis, les petits tubercules d’espèces sauvages comme Solanum jamesii. Le Mexique est également très riche en plantes de ce type, mais nous n’avons pas d’information sur des tentatives pour la cultiver en dehors de l’Amérique du Sud. Il est possible que la culture de la pomme de terre ait déjà commencé des milliers d’années avant l’arrivée des européens, sur les hauts plateaux de l’intérieur de la Colombie, de l’Equateur, de la Bolivie et du Pérou, très certainement grâce aux conditions climatiques particulières et la disponibilité d’espèces sauvages adéquates.Dans les mêmes régions, à des altitudes plus basses, les Amérindiens ont commencé la domestication du maïs, pendant que à plus haute altitude ils faisaient pousser des plantes précieuses par leur richesse en protéines comme le Quinoa (Chenopodium quinoa, un parent de l’épinard), et le Kiwicha (Amaranthus caudatus).
C’est en particulier la pomme de terre, dont certaines variétés poussent à des altitudes de plus de 4000 mètres, qui a permis le peuplement des hauts plateaux des Andes en étant pendant plusieurs siècles la base de leur alimentation. Il est probable que Solanum tuberosum provient de la domestication des espèces sauvages de Solanum stenotomum hybridé avec Solanum sparsipilum ou avec d’autres espèces. L’hybridation doit être à l’origine de Solanum tuberosum andigena, largement cultivée dans les régions du nord des Andes et plus tardivement, par d’autres hybridations, de Solanum tuberosum tuberosum largement répandue au Chili.
Les peuples amérindiens ont vraiment cultivé de nombreuses variétés de pomme de terre adaptées aux différentes altitudes et utilisations. Encore maintenant, on cultive en Amérique du Sud des centaines de variétés différentes appartenant à de nombreuses espèces et sous-espèces. Rien que dans le département d’Huancavelica, au moins 600 variétés de pomme de terre sont cultivées, appartenant, outre Solanum tuberosum, à différentes espèces comme Solanum ajanhuiri, Solanum juzepczukii, Solanum goniocalyx (le plus souvent appelée “papa amarilla”) et des hybrides de ces variétés avec Solanum tuberosum. Ces différentes espèces sont caractérisées par des nombres différents de chromosomes, multiples de la valeur haploïde n= 12 (on trouve des formes à n=24, n=36, n=48 et n=60, probablement par des mécanismes de polyploïdie et d’hybridation). De nombreux savants pensent que la forme originelle est celle avec n=24 (peut-être Solanum brevicaule).
La première rencontre des européens avec la pomme de terre a dû avoir lieu en 1536, quand l’expédition de Gonzalo Jimenez de Quesada, dépassa la vallée du Rio Magdalena, en Colombie, pour atteindre les hauts plateaux. Juan de Castellan raconte que dans le village de Sorocotà, les autochtones s’enfuirent à l’arrivée des espagnols et lorsqu’ils entrèrent dans les huttes, ils trouvèrent du maïs, des haricots, et des “truffes”. Les espagnols décrivirent précisément les “truffes” ainsi que les plantes qui les produisaient, et il s’agit exactement de la pomme de terre, et commentèrent son goût. Deux ans plus tard, Cieza de Leòn a rencontré à nouveau la pomme de terre et l’a décrite très précisément dans un ouvrage daté de 1550, signalant le nom local “ papa” et mettant en avant son importance alimentaire. La description que donne Ciezo de Leòn est généralement considérée comme la première découverte, ceci parce que le récit de Castellano, même s’il est antérieur a été rédigé seulement en 1886.
Les espagnols ont vite compris l’importance d’une exploitation économique de la pomme de terre dans leurs colonies américaines : nombres d’entre eux, par exemple, se sont enrichis en obligeant les esclaves autochtones à cultiver la pomme de terre qui était ensuite utilisée pour nourrir d’autres esclaves de la région qui extrayaient l’argent des mines du Potosi : main-d’œuvre gratuite.La première pomme de terre importée en Europe était probablement andigenum, caractérisée par des tubercules de forme très irrégulière et des yeux très prononcés. C’est seulement plus tard qu’est arrivée l’espèce cultivée maintenant en Europe, qui est Solanum tuberosum. D’après plusieurs savants, cette espèce est originaire du Chili, en particulier des régions du sud (Île de Chiloè et les régions voisines), où se trouve une forme sauvage de Solanum tuberosum. D’autres auteurs remettent en question cette hypothèse pour des raisons historiques, car au moment où la pomme de terre a atteint l’Europe, les échanges entre l’Europe et le sud du Chili étaient rares et très lents, et aussi parce qu’il y avait des formes similaires cultivées au même moment dans des régions plus septentrionales de l’Amérique du Sud, comme dans la région de Bogotá.
Les premières pommes de terre ont été cultivées en France en tant que plantes ornementales. La culture de la pomme de terre dans un but alimentaire a probablement commencé en Espagne après 1573, au moment où la pomme de terre était déjà introduite dans les régimes des hôpitaux de Séville. Les premières cultures ont peut-être été implantées le long de la côte du Golfe de Gascogne, par les familles des marins basques qui avaient ramené des tubercules d’Amérique.
Après l’Espagne la pomme de terre a probablement atteint la Grande-Bretagne, où elle semble être arrivée en 1588, par dit-on, Sir Walter Raleigh, navigateur, corsaire et favori de la reine Elisabeth, un des explorateurs des Amériques et promoteur de leur colonisation. Il semblerait que Raleigh lui-même l’ait cultivée dans ses terres d’Irlande, initiant ainsi sa large diffusion dans ce pays. La renommée de Raleigh est aussi due à l’introduction de l’utilisation du tabac en Grande-Bretagne. La première description botanique de la pomme de terre date de 1596, par le britannique John Gerard qui l’appelle pomme de terre de Virginie, à cause d’un malentendu au sujet de la provenance des spécimens qu’il a observé (probablement, la Virginie avait été une étape sur le trajet des spécimens vers l’Europe).
Pommes de terre et truffes
La confusion entre pommes de terre et truffes a commencé dès les premières relations des européens avec la pomme de terre : en fait, Castellanos, le premier espagnol qui l’ait vue, l’a appelée truffe (trufa). Ce malentendu s’est perpétué tant pour son nom que pour ses propriétés. En Italie, on lui donna le nom de “tartuffolo” (en Ligurie, Lombardie, Piémont et dans la vallée d’Aoste, les noms locaux de Truffa, Tartifola et leurs similaires sont encore utilisés), qui ensuite devint aussi “cartufffolo” (d’où en allemand, Kartoffel). Cette confusion terminologique a coïncidé avec l’attribution de vertus aphrodisiaques, dont la truffe était dotée, à la pomme de terre, et cela même dans les pays qui ne lui avaient pas donné de noms liés à la truffe.
Cette renommée s’est tellement répandue que Shakespeare cite la pomme de terre comme un aphrodisiaque autour de 1599-1601.Shakespeare, les Joyeuses Commères de Windsor, acte 5, scène 5, (Falstaff pense qu’il doit se partager entre deux femmes, Mme Ford et Mme Page et invoque une pluie de pommes de terre aphrodisiaques).
“Let the sky rain potatoes”, “Qu’il pleuve des pommes de terre” (souvent traduit en italien par truffes car les italiens les considèrent plus aphrodisiaques que les pommes de terre : ainsi Boito, dans le livret du Falstaff de Verdi, fait pleuvoir des truffes).
Pratiquement toutes les vieilles descriptions des propriétés alimentaires de la pomme de terre la considèrent comme favorable à la procréation et source de flatulence (cela vaut la peine de mentionner le ton méprisant de l’Encyclopédie : “une nourriture assez saine pour les hommes qui ne demandent qu’à être nourris. La pomme de terre est condamnée, avec justesse, car elle cause de la flatulence, mais quelle est l’importance de la flatulence si les organes de nos concitoyens et de nos travailleurs sont vigoureux ?”.
A la fin du 16ième siècle la pomme de terre était déjà connue dans la plupart de l’Europe, mais principalement comme plante ornementale. Hormis en Espagne et en Grande-Bretagne, il y avait de grandes résistances à son utilisation, sauf comme aliment pour le bétail. La pomme de terre était considérée comme responsable de la lèpre et de la scrofule, au vu de son aspect grumeleux et plein d’“yeux”, semblable aux lésions lépreuses (la doctrine médicale des “signatures” a déclaré que des formes similaires traitaient ou causaient des maladies semblables, par exemple Hepatica nobilis, dont les feuilles ont la même couleur que le foie devrait soigner les affections du foie). De plus, la Bible ne mentionnait pas la pomme de terre et était donc rejetée par les religieux intégristes par exemple en Ecosse et en Russie. A cela s’ajoute le rejet de tout ce qui est nouveau ou différent mais surtout le fait que la pomme de terre ressemble à des plantes extrêmement toxiques, comme Solanum nigrum, la belladone ou morelle noire, etc…et est donc aussi toxique dans ses parties vertes.
C’est seulement en Prusse que le roi Frédéric II a obligé ses concitoyens à la cultiver et à la manger ; sous la menace d’importantes sanctions (à partir de 1756, par décret royal chaque unité familiale devait consommer au moins 2 kg de pommes de terre par semaine, sans distinction entre le peuple et la noblesse). Le roi promulgua aussi des lois pour l’utilisation, indiquant de façon claire qu’elles devaient être cuites.
Ce qui s’est passé en France, où, jusqu’à la moitié du 18ième la pomme de terre n’était pas consommé ou alors seulement pour l’alimentation des animaux est emblématique (le Parlement français, en1748, avait interdit la culture de la pomme de terre, de peur de la lèpre). Le pharmacien et agronome Antoine Augustin Parmentier avait été fait prisonnier par les prussiens au cours de la guerre de Sept Ans (1756-1763) et avait appris durant son emprisonnement à apprécier la pomme de terre comme aliment, se rendant aussi compte de ses propriétés antiscorbutiques. De retour en France, il s’efforça de diffuser l’usage de la pomme de terre et réussit à persuader la Faculté de Médecine de déclarer la pomme de terre comestible et en plus à intéresser le roi louis XIV à ce problème.
Face aux résistances de ses concitoyens, Parmentier fut un fin psychologue : il convainquit le roi de cultiver la pomme de terre dans les champs du domaine royal, clôturés et gardés par des soldats donnant ainsi l’impression qu’il s’agissait d’une culture de grande valeur. Les soldats cependant avaient pour ordre de relâcher leur surveillance pendant la nuit et ainsi les braves concitoyens se précipitèrent pour voler les pommes de terre afin de les cultiver dans leurs propres vergers et les manger en se sentant comme des rois !Plus tard, lorsqu’une famine sévit en 1785, les pommes de terre sauvèrent le nord de la France de la famine. Parmentier, lors de sa campagne en faveur de la pomme de terre utilisa les méthodes typiques de la publicité actuelle, organisant des banquets où étaient servies des pommes de terre et où étaient invités des hôtes de marque, en autre Franklin (ambassadeur des Etats-Unis à ce moment-là) et le célèbre chimiste Lavoisier, et envoyant au Roi et à la reine Marie-Antoinette des bouquets de fleurs de pomme de terre dont ils se paraient en public. Parmentier est aussi connu pour avoir introduit la vaccination obligatoire de la variole dans l’armée napoléonienne (1805) et son nom est associé à de nombreuses recettes à base de pomme de terre. A la fin du 18ième la culture de la pomme de terre était largement répandue en Europe et dans certaines régions ce tubercule était devenu une part essentielle de l’alimentation des classes défavorisées, en raison de sa grande productivité et de sa richesse en nutriments.
La pomme de terre en Irlande
En Irlande, la culture de la pomme de terre a commencé comme nous l’avons déjà dit, à la fin du 17ième et, à partir du 18ième elle s’était répandue dans une grande partie de l’île. Entre le 18ième et le 19ième les terres des propriétaires terriens, en général britanniques ou irlandais vivant en Grande-Bretagne, étaient consacrées à la culture du lin, des céréales ou à l’élevage. Les familles des paysans qui travaillaient sur ces terres disposaient, pour leur propre consommation, d’un lopin de terre planté de pommes de terre dont dépendait leur survie. Dans les régions les plus pauvres, la pomme de terre était la seule culture.
En pratique, à ce moment-là la population irlandaise vivait de pommes de terre accompagnées d’un peu de lait et très rarement de viande (on estime que la consommation moyenne de pomme de terre par personne était de 5-6 kg de pommes de terre). C’est d’abord en 1816 puis en 1820 que cette situation a montré combien elle était précaire, lorsque des années particulièrement défavorables ont fortement diminué la production de pommes de terre et causé la mort de milliers de paysans.
En 1845 est survenue une infestation de mildiou de la pomme de terre (Phytophthora infestans, un oomycète), qui détruisit une bonne partie de la récolte de pomme de terre. Les années suivantes ont eu lieu à nouveau des attaques de mildiou. Les conséquences de deux années de pertes presque totales de la récolte furent catastrophiques : on estime que au moins un million de personnes moururent de famine et encore plus durent émigrer, augmentant ainsi les communautés irlandaises particulièrement en Amérique du Nord et en Australie (d’après le recensement de 1841 la population était de 8 175 124 personnes mais au moins un million de sans-abris n’ont pas été pris en compte : en conséquence la population dépassait probablement les 9 millions). En 1851 la population avait chuté autour de 6 millions ! Malgré cette situation dramatique les propriétaires terriens ont continué d’exporter du blé et du bétail vers l’Angleterre même si par ailleurs aucun secours n’est venu d’Angleterre.
La réaction des Anglais fut faible, tardive et inefficace : les membres de la Chambre des Communes déclarèrent que cela aurait été une bonne chose “d’abandonner l’Irlande à l’action des “phénomènes naturels”, afin de ne pas inciter un peuple paresseux à vivre de la charité publique”, le ministre Trevelyan affirma que Dieu avait puni les Catholiques irlandais pour leur dévotion au Pape et la famine était définie comme “une bénédiction envoyée par la Divine providence pour donner une leçon aux irlandais”.Lorsque dans les ports la population affamée essaya d’empêcher l’exportation des céréales et du bétail de l’Irlande vers l’Angleterre, l’armée intervint et tira sur la foule.
Il faut rappeler aussi d’autres interventions du ministre Trevelyan qui écrivit que le problème de la surpopulation en Irlande était résolu par “une Providence omnisciente, d’une façon tellement inattendue et imprévisible et des résultats probablement efficaces”, ou encore “Le grand fléau auquel nous devons nous confronter n’est pas celui matériel de la famine, mais celui qui est moral caractérisé par le caractère tumultueux, têtu et égoïste de la population irlandaise”.
La pomme de terre en Italie
Il semble que la pomme de terre ait été introduite en Italie par les Carmes Déchaussés qui l’apportèrent en Ligurie depuis l’Espagne. La culture s’étendit ensuite au Piémont, en particulier parmi les communautés vaudoises. La diffusion de l’utilisation de la pomme de terre en Italie a été encouragée par des interventions publiques, et aussi l’intermédiaire des autorités ecclésiastiques ; il existe un pamphlet daté de 1793, de titre “Des fruits de la terre, à savoir la pomme de terre”, envoyé à tous les prêtres des paroisses rurales de la Sérénissime république de Gênes, dans lequel sont louées les qualités nutritionnelles et organoleptiques du tubercule et qui contient des conseils pour le cuire et l’utiliser en cuisine.
La pomme de terre en Amérique
Après son voyage en Europe, la pomme de terre a conquis l’Amérique du Nord. Les pommes de terre atteignirent l’Amérique du Nord en 1621 lorsque le gouverneur des Bermudes, Nathaniel Butler, envoya au gouverneur de Virginie des caisses contenant des pommes de terre et d’autres légumes. La première culture durable de la pomme de terre date eu lieu vers 1719 en Nouvelle-Angleterre, réalisée par des immigrants écossais ou irlandais. A partir de ce moment-là, la pomme de terre connut un énorme développement et de nos jours c’est l’Idaho qui en est le principal producteur. Rappelons que durant la ruée vers l’or du Klondike (1897-1898) les pommes de terre étaient échangées avec l’or pratiquement à poids égal. Ils avaient beaucoup d’or mais cela n’était pas comestible !
Propriétés toxiques
Comme toutes les solanées, la pomme de terre contient des alcaloïdes toxiques, surtout la solanine et une molécule similaire, l’ α-chaconine. Ces substances sont présentes dans toutes les parties de la plante, mais surtout dans les parties vertes et dans la peau du tubercule. La solanine est thermostable et n’est donc pas détruite par la cuisson. Les variétés de pomme de terre les plus courantes contiennent 10-20 mg d’alcaloïdes par kilo, tandis que les tubercules verts atteignent 250-280 mg/kg et la peau verte 1500-2500 mg/kg.
Les toxicologues conseillent de ne pas dépasser l’ingestion de 10-20 mg (mais la dose toxique est bien plus élevée), donc une alimentation à base de pommes de terre n’est pas toxique, dans la mesure ou les peaux sont retirées et que les tubercules verts ou germés sont éliminés.La toxicité de la solanine est due à différents mécanismes : elle inhibe l’acétylcholinestérase, l’enzyme qui détruit le neurotransmetteur acétylcholine au niveau des synapses et cause ainsi une hyperstimulation de certaines cellules nerveuses du système nerveux central aussi bien que du système nerveux autonome, en plus elle abîme les membranes cellulaires et peut être tératogène (cause de malformations néo-natales) et il semble qu’elle puisse agir sur la membrane des mitochondries, déclenchant les mécanismes de mort cellulaire programmée (appelée apoptose, il s’agit d’un mécanisme par lequel l’organisme élimine les cellules en surplus, âgées, défectueuses ou infectées). Ces substances représentent d’importants mécanismes de défense de la plante contre les parasites en particulier les champignons et les insectes. La pomme de terre contient aussi des inhibiteurs des protéases, enzymes nécessaires pour la digestion des protéines. Ces inhibiteurs contribuent à la défense contre les parasites, en association avec les lectines, d’autres substances contenues dans la plante, qui, entre autres, inhibent les fonctions digestives des agresseurs. Ces substances sont thermolabiles et donc ne constituent pas un problème pour l’alimentation humaine, comme elles sont détruites durant la cuisson.
Les maladies de la pomme de terre
Les agents pathogènes qui peuvent toucher les pommes de terre, dont parmi eux de nombreux virus, des bactéries comme Pectobacterium carotovorum, certains cryptogames comme le fameux mildiou (Phytophtora infestans), responsable de la famine catastrophique du 19ième siècle, des nématodes dont le nématode doré de la pomme de terre (Heterodera rostochiensis), ou des insectes comme le doryphore (Leptinotarsa decemlineata), la sournoise courtilière (Gryllotalpa gryllotalpa) ou le hanneton (Melolontha melolontha). De nos jours, de nombreux moyens chimiques ou biologiques sont disponibles pour lutter contre ces agents pathogènes.
Utilisations traditionnelles
Les populations des hauts-plateaux andins avaient développé un moyen de sécher et de conserver les pommes de terre qui est encore largement répandu. Le produit obtenu, appelé quecha chuño, est commercialisé dans tous les marchés du Pérou et des pays voisins et rentre dans la composition de nombreuses recettes traditionnelles. La méthode consiste principalement à faire geler les pommes de terre en général de petite taille en les laissant toute la nuit en plein air : le produit obtenu au dégel est foulé pieds-nus pour enlever l’eau. En général cette opération de gel et dégel et foulage est répétée trois fois et l’eau résiduelle est éliminée par exposition au soleil. Le chuño peut se conserver facilement plusieurs années. Il en existe différentes sortes en apparence et en couleur et sous des appellations variées.
Il est fréquent dans les hauts plateaux péruviens de rencontrer des femmes occupées à piétiner des pommes de terres épandues sur le sol. Un autre produit péruvien est la chakta, une boisson fortement alcoolisée obtenue en distillant des pommes de terre fermentées. La production traditionnelle prévoyait que les pommes de terre soient mastiquées pour mettre en route la fermentation: en fait, la fermentation nécessite que l’amidon contenu dans la pomme de terre soit d’abord transformé en glucose et cela peut se faire grâce aux enzymes présentes dans le salive (la production traditionnelle de chicha, une bière obtenu par pré-mastication de maïs utilisait le même principe de pré-mastication ; aujourd’hui on utilise du maïs germé.Aspect sacrés et cérémonies
De nombreux rituels propitiatoires (dont certains sont encore pratiqués) ont été associés à la pomme de terre et à sa culture, étant donné son extrême importance dans l’alimentation des populations andines. Il était répandu de verser du sang sur les semences de pomme de terre ou sur le sol, avec des variantes : du sang issu de sacrifices humains ou animaux était versé avant ou après la plantation des semences de pomme de terre ; des combats plus ou moins rituels avaient lieu pendant les cérémonies de la période de plantation et cela conduisait à des effusions de sang dans lequel les pommes de terre étaient trempées. Ce sang versé symbolisait le transfert à la pomme de terre ou au sol, de la force dont le sang était le symbole. En plus un évènement aussi important que la plantation ne pouvait assurément pas avoir lieu sans offrandes à la “Pachamama”, la Terre-Mère(ou, mieux la Mère du Monde). Dans le premier trou de plantation étaient déposées des feuilles du Coca sacré (les offrandes de coca à la “Pachamama” ont encore lieu à de nombreuses occasions ; de nombreux conducteurs ne commencent pas un voyage sans avoir tout d’abord fait cette offrande et les piroguiers du lac Titicaca jettent quatre feuilles dans l’eau aussitôt qu’ils quittent la rive).
Pour la culture de la pomme de terre, les hommes labouraient le sol avec une bêche spéciale, la taclla, encore utilisée aujourd’hui dans certains endroits, identique à celle des Incas. Ensuite les femmes retournaient les mottes (la distribution du travail entre les sexes variait selon les régions). Le champ ainsi préparé était laissé au repos durant tout l’hiver et planté avec les tubercules au printemps.
Les actes de destruction insensés des conquérants espagnols nous ont privés de la plupart des preuves artistiques des peuples d’Amérique du Sud. Une trace de la pomme de terre est restée sur les merveilleuses céramiques pré-incas Nazca ou Moche, où le tubercule, souvent anthropomorphisé en est le protagoniste. En Irlande aussi, des activités rituelles étaient associées à la culture de la pomme de terre, en lien par exemple avec la date de plantation, qui dans de nombreuses régions devait absolument commencer le Vendredi Saint, indépendamment de la période à laquelle il tombait, ou bien du sel était saupoudré sur les pommes de terre avant la plantation. On apportait un tas de bois de cyprès dans le sillon et le jour de l’Ascension, de l’eau bénite était aspergée sur les plantes. La grande famine, dans certaines régions d’Irlande, était associée aux fées : on pensait que le jour de la Saint Jean les fées de chaque région livraient une bataille et que les fées vaincues devaient souffrir d’une calamité. Plus précisément les fées de l’Ulster avaient été vaincues et donc ont dû être à l’origine de la famine (peut-être que de nos jours les fongicides aident les fées !).
Utilisations médicinales de la pomme de terreLes utilisations médicinales et les superstitions liées à la pomme de terre sont innombrables. Nous n’en mentionnerons ici que quelques-unes. Des rondelles de pomme de terre crue sont appliquées sur des contusions ou des fractures pour accélérer la guérison. Le jus de pomme de terre crue est utilisé pour traiter les engelures, les brûlures, les coups de soleil et l’acné. Contre la douleur, frottez la zone douloureuse avec l’eau dans laquelle des pommes de terre ont bouilli. Ces recettes étaient déjà utilisées parmi les populations andines et un important opus de médecine du 19ième (Domenico Bruschi, Istituzioni di Materia Medica 1834) traite de recettes analogues, avec les mêmes indications, aussi bien pour les pommes de terre que pour l’amidon purifié de pomme de terre. Mettez une pomme de terre dans votre poche pour traiter le mal de dent ou les affections rhumatismales. Pour le mal de gorge, nouez autour du cou un bas contenant des tranches de pomme de terre cuites. Celui qui veut gagner doit avoir dans sa poche une pomme de terre ou une patte de poulet. La pomme de terre était utilisée pour soigner les verrues : le guérisseur, avec un clou, faisait des trous dans la pomme de terre, autant qu’il y avait de verrues. Le patient devait alors jeter la pomme de terre dans un endroit où il ne devait jamais retourner, au risque de voir réapparaître les verrues. On dit que les vieux péruviens utilisaient la pomme de terre comme moyen de mesurer le temps, en utilisant comme unité le temps de cuisson d’une pomme de terre. Mais la taille de la pomme de terre n’est pas précisée.
Curiosités
La pomme de terre peut être utilisée pour produire de l’énergie électrique : en introduisant une électrode en cuivre et une autre en zinc dans une pomme de terre on obtient une pile électrique. D’après certains chercheurs israéliens, ce système peut être amélioré en utilisant une pomme de terre bouillie pendant huit minutes et la pile en pomme de terre peut être utilisée pour éclairer une pièce avec des lampes LED ou même alimenter un téléphone portable ou des appareils équivalents. D’après ces chercheurs israéliens, on pourrait imaginer introduire cette technologie dans les pays en voie de développement ou dans des endroits isolés sans réseau électrique disponible. La pomme de terre pourrait se vanter d’être le premier légume cultivé dans l’espace. En 1995, en fait, la NASA a commencé des essais dans le but de produire des pommes de terre dans les vaisseaux spatiaux, dans le but d’obtenir une source alimentaire durant les voyages interplanétaires ou lors d’éventuelles futures installations dans l’espace.
Synonymes
Solanum aracatscha Bess.; Solanum sinense Blanco; Solanum esculentum Neck.; Lycopersicon tuberosum (L.).
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