Famille : Bovidae
Texte © Dr. Gianni Olivo
Traduction en français par Michel Olivié
Le Damaliscus dorcas, connu aussi sous le nom de Damaliscus pygargus, appartient à l’ordre des artiodactyles (Artiodactyla), à la grande famille des bovidés (Bovidae) et à la sous-famille des Alcelaphinae qui comprend diverses espèces de bubales ainsi que les damalisques qui sont de dimensions plus petites. Les damalisques comptent aujourd’hui deux sous-espèces : le Damalisque à front blanc ou Blesbock (Damaliscus dorcas phillipsi) et le Damalisque à queue blanche ou Bontebock (Damaliscus dorcas dorcas).
Ces animaux qui se nourrissent de végétaux ont des façons de se nourrir différentes. Certains sont des “grazers” et d’autres des “browsers”. La terminologie anglaise est très concise et désigne par deux termes distincts deux façons différentes de brouter. Les “grazers” sont des animaux qui broutent les herbes des prairies, comme les vaches en quelque sorte, en coupant l’herbe au ras du sol alors que les “browsers” arrache directement les plantes, les petites branches, les feuilles, les pousses, etc …
Pour prendre un autre exemple le Rhinocéros blanc (Ceratotherium simum) est un “grazer” et a un museau de forme carrée (rhino square-lipped) qui résulte d’une adaptation à cette façon de brouter liée à l’évolution alors que le Rhinocéros noir (Diceros bicornis) est un “browser” doté d’un appareil buccal en forme de bec de perroquet qui est pratique pour arracher la nourriture souvent coriace des buissons et des plantes basses (rhino hook-lipped). Cette différence dans les préférences alimentaires sert également à reconnaître les excréments. Bien que de forme similaires ceux du Rhinocéros blanc ont un aspect plus homogène et sont plus fins alors que ceux du Rhinocéros noir ont une forme plus grossière et sont riches en petits fragments de rameaux et de fibres brutes. Les damalisques peuvent être strictement (ou presque) des “grazers” et des “browsers” ou bien alterner les deux systèmes selon la nourriture disponible, la saison, etc…
Très similaire à son très proche parent le Blesbock, le Bontebock est beaucoup moins répandu et uniquement présent dans une petite zone de la province du Cap située dans sa partie la plus méridionale. Il y a longtemps, au cours d’un repas chez des amis africains, j’ai eu un petit différend avec une personne qui se considérait très modestement comme étant un grand spécialiste en matière de zoologie africaine.
Il affirmait avec assurance, sur un ton péremptoire et sans admettre de discussion que le Bontebock (Damaliscus dorcas dorcas) était uniquement présent dans cette petite zone à cause de la chasse et qu’avant l’arrivée des Blancs des troupeaux immenses de Bontebocks se déplaçaient dans toute l’Afrique du Sud depuis le cap de Bonne-Espérance jusqu’au Limpopo.
En étant à ce point sûr de lui ce spécialiste prouvait qu’il avait de nombreuses lacunes tant en matière de zoologie qu’en ce qui concerne l’histoire de son pays et celles de la géologie et de l’Afrique australe.
À l’époque où les premiers Blancs virent les Bontebocks ces antilopes étaient déjà confinées depuis longtemps dans ce type de savane appelé Strandveld à la suite de changements climatiques survenus il y a des milliers d’années auparavant et, par conséquent, elles étaient déjà en nombre beaucoup plus réduit que les Blesbocks.
Le Strandveld (en afrikaans strand veut dire plage et veld campagne, savane, lande) est un ensemble d’essences végétales qui n’existe que dans la partie côtière la plus méridionale de l’Afrique du Sud. Il s’agit d’une végétation de transition entre le Fynbos dense et très verdoyant (avec de très beaux buissons) qui est un peu le maquis méditerranéen de l’extrémité Sud du continent africain et le Karooveld qui est typique des déserts du Karoo.
Le Strandveld pousse sur des dunes et des terrains sablonneux et est constitué de diverses essences dont le Waxberry (une plante que l’on utilisait autrefois pour fabriquer des cierges et des bougies), la bruyère, le blombos, des plantes succulentes et diverses espèces de fleurs qui pendant le printemps austral rendent le Strandveld multicolore, tel un jardin cultivé, mais aussi des herbes qui sont peu alléchantes pour la plupart des herbivores.
En ce qui concerne le Bonstock il semble certain de toute façon que ce damalisque a été confiné là où il se trouve aujourd’hui à cause du processus de désertification d’une bande de hauts plateaux d’environ 260 km, les deux déserts du Karoo, et que cette désertification, même si elle attriste certains, n’est certainement pas de la faute de l’homme, une hypothèse qu’il n’est pas possible de retenir même en la tirant par les cheveux.
Cette petite population de Blesbocks, vu qu’il s’agissait à l’origine de Blesbocks normaux, a développé, au terme de plusieurs milliers d’isolement, des différences somatiques par rapport à l’espèce d’origine et ces différences ont conduit à leur attribuer une classification scientifique à part : Damaliscus dorcas dorcas alors que le Blesbock est appelé Damaliscus dorcas phillipsi.
Le Blesbock est donc un authentique damalisque de taille moyenne dont le poids chez le mâle peut atteindre 90 kg, parfois davantage (dans des zones où se trouvent de très bons pâturages) mais leur poids moyen est d’environ 70 kg. Les femelles sont plus légères (en moyenne 60 kg) mais il n’ y a pas un dimorphisme sexuel prononcé comme chez d’autres antilopes.
Sa robe est de couleur châtaigne ou marron alors que le ventre et la partie inférieure des pattes sont blancs. Sur le museau se trouve une tache blanche très nette qui s’étend des naseaux jusqu’aux yeux. Une autre petite tache, blanche elle aussi, se niche au milieu des cornes, à leur base. Les mâles sont en général plus foncés. La tache claire du scrotum constitue parfois un autre marque distinctive mais ce sont surtout leurs cornes plus épaisses qui soulignent leur différence.
Le Bontetock a une livrée différente en raison de ses couleurs qui sont foncièrement plus foncées, en particulier sur les flancs et la partie supérieure des pattes. D’autre part la tache blanche sur le museau est interrompue par une bande foncée. Pour le reste néanmoins il est presque identique en ce qui concerne les formes et la constitution.
Les deux sexes portent des cornes annelées en forme de S qui sont plus longues et plus épaisses chez les mâles et plus minces chez les femelles. Les deux sexes sont d’autre part dotés de glandes odorantes au niveau du pied des pattes antérieures et dans la région pré-orbitale. Le Blesbock est jusqu’à présent commun et n’est donc nullement rare ou menacé. Il en existe un grand nombre dans des parcs naturels et des réserves privées. Pour donner une idée de son abondance c’est un des animaux sauvages qui sont les moins coûteux à l’achat lors des folkloriques ventes aux enchères de gibier ou “game auction”auxquelles il est conseillé d’assister au moins une fois parce qu’elles sont spectaculaires.
Beaucoup achètent des Blesbocks pour les introduire dans leurs propres fermes, aussi parce que ce sont des antilopes gracieuses et à la livrée colorée qui aiment, si elles ne sont pas dérangées, les zones ouvertes et qui sont de ce fait facilement visibles. Elles constituent également un ornement pour les fermes qui est différent des réserves de chasse.
Par exemple, là où débute la longue piste qui mène à ma maison, il y a une ferme où sont cultivés des fruits tropicaux et lorsqu’on passe par là il n’est pas rare d’apercevoir des Blesbocks qui broutent tranquillement parmi les plants à la cime verte et arrondie des okwatapeyas ou avocats.
De plus, s’agissant de “grazers” et non de “browsers”, ils ne risquent pas d’abîmer les plantes en arrachant les fruits situés sur les branches les plus basses.
Parmi les trois espèces de “grazers” les plus répandus dans le Highveld le Blesbock est celle qui dépend le plus de la présence de mares ou d’autres réserves d’eau et aussi celle qui est le plus étroitement inféodée à l’existence de prairies alors que, par exemple, les springboks, qui sont quant à eux des animaux plus adaptés au désert, et les gnous à queue blanche sont des herbivores qui s’enfoncent jusqu’au Karoo, du moins quand se produisent des précipitations, ce que le Blesbock ne fait jamais.
D’autre part le Blesbock s’est davantage spécialisé en consommant aussi des herbes qui ne sont pas appréciées par les autres “grazers”, je veux parler de ce que les Afrikaners appellent le Sourveld (ou herbes amères), ce qui fait qu’il est en mesure de prospérer même dans des zones de pâturage où les gnous à queue blanche souffriraient de la faim. Cela n’empêche pas que le Blesbock aussi, s’il le peut, préfère de loin le Sweetveld, la prairie aux herbes tendres, plus agréables au goût et où pousse par exemple la Themeda qui est une gourmandise pour les “grazers” les plus gourmands.
Bien qu’il aime la prairie et la savane ouverte, la présence de fourrés et de grand arbres est appréciée tant comme source d’ombrage pendant les heures les plus chaudes que pour se cacher et se mettre à l’abri. Comme pour n’importe quel autre animal sauvage il peut toutefois exister, en ce qui concerne l’habitat, des exceptions et des différences d’habitudes et de comportement qui peuvent être importantes.
Dans mon secteur, par exemple, pour les Blesbocks la survie est problématique.
Le grand nombre de léopards qui y sont présents rend la vie dure à ces animaux, plus encore qu’aux impalas qui pourtant paient aux félins un lourd tribut et sont littéralement décimés, vu que ce sont des proies très appréciées et absolument pas difficiles à capturer.
Cela explique pourquoi dans notre réserve ils ont souvent facilement tendance à alterner des périodes de pâturage dans les prairies ouvertes où l’herbe est haute avec des périodes pendant lesquelles ils se réfugient dans la brousse la plus épaisse ou même dans les bosquets de forêt pluviale.
Même si les Blesbocks peuvent entreprendre des migrations entre des zones différentes, dans les endroits où l’eau ne manque jamais ils peuvent être sédentaires et très territoriaux alors que le Bontebock qui vit reclus dans une étroite région côtière où il y a de l’eau en abondance et de l’humidité est inféodé à son territoire et sédentaire depuis des milliers d’années.
À l’époque des grandes migrations qui étaient liées à la plus ou moins grande quantité d’eau disponible et aux ressources en pâturage au cours des diverses périodes l’organisation sociale du Blesbock devait être semblable à celle des damalisques des autres parties de l’Afrique comme le Topi (Damaliscus korrigum) mais même aujourd’hui, dans quelques zones de l’Afrique du Sud où ont lieu des migrations limitées, on observe des rassemblement de centaines de têtes. Là où au contraire il est très sédentaire et inféodé à son territoire les troupeaux tendent à être petits, comme c’est aussi le cas de son côté pour le Bontebock, une tendance que l’on peut aisément observer dans le Bontebock National Park.
Les heures passées à paître sont d’ordinaire celles du début de la matinée et de la fin de l’après-midi alors que les heures du milieu de la journée, s’il fait chaud et s’il y a une couverture arborée et une végétation très épaisse, sont souvent passées à ruminer et à se reposer.
Les territoires sont marqués par les mâles à l’issue d’un cérémonial complexe : l’animal s’agenouille sur ses pattes de devant et frotte la base de ses cornes sur le sol puis il se redresse, dans une attitude de parade et, les pattes raides, il s’avance de quelques mètres, baisse son arrière-train et dépose un petit tas de boules de crottes. Il peut répéter cette opération afin de finir de délimiter son domaine. Le port dressé, dans une attitude de parade, au-dessus d’une termitière ou d’une élévation de terrain traduit la possession de son territoire et correspond à une posture de domination et d’intimidation envers d’éventuels concurrents.
Les duels, habituellement ritualisés, consistent en un affrontement entre les adversaires avec un “agenouillement” et un croisement des cornes au niveau du sol, les museaux frottant presque le terrain. Les combats sont précédés de parades d’intimidation (démarche raide, oreilles tendues, fréquente présentation de profil comme pour rendre plus grandes les dimensions de l’animal).
La gestation dure 8 mois. Les jeunes, qui sont déjà assez grands après leur naissance, sont capables de se dresser sur leurs pattes et de suivre leur mère. Ils ne cherchent pas à rester cachés ou à se regrouper comme c’est le cas pour d’autres espèces et sont de ce fait très vulnérables dans les secteurs où il y a des léopards. Le chacal étant le principal prédateur des nouveau-nés dans la majeure partie des lieux d’origine du Blesbock, le fait de suivre leur mère offre une bonne protection, ce canidé n’étant pas suffisamment de taille à inquiéter sérieusement une mère furieuse (et dotée de cornes pointues) qui défend son petit. Toutefois en présence de prédateurs plus hardis (léopards et hyènes), comme cela se produit surtout là où le Blesbock a été introduit, la mortalité infantile (et celle de l’adulte) peut presque atteindre le niveau du génocide.
Noms vulgaires : anglais, Afrikaans: Blesbock e Bontebock; isiZulu, Xhosa: indluzele empemvu / inkolongwane empevu (indluzele o Inkolongwane è il bubalo o hartebeast, empevu, ce qui signifie avec des taches blanches sur le museau).