Famille : Pongidae
Texte © Dr. Gianni Olivo
Traduction en français par Serge Forestier
Si, dans l’absolu, ce n’est pas le plus célèbre des singes anthropomorphes, ayant à lutter avec le gorille, star indiscutable de films et de romans d’aventures, le chimpanzé est, cependant, un concurrent qui le talonne de près.
Disons simplement que les deux primates rivalisent sur un pied d’égalité pour la … primauté, à se faire connaitre même de ceux qui ne se sont jamais intéressés aux animaux et qui se sont occupés des moyens de vulgarisation de masse comme le roman, le cinéma et, plus tard, la télévision.
Cependant la notoriété des deux animaux est basée, comme cela arrive souvent, sur une sorte d’humanisation de ces derniers, chose qui, d’un côté peut être utile pour faire connaître certaines espèces au grand public, en rendant les protagonistes des épisodes suivis et agréables, de l’autre est souvent à l’origine d’une certaine désinformation qui engendre des convictions et des croyances erronées, inexactes et parfois même dangereuses. Je me suis permis de faire ce préambule, qui pourrait paraitre éloigné du sujet, car, comme cela se produit pour le gorille, mais, dans ce cas, dans une encore plus grande mesure, l’idée que beaucoup ont d’espèces animales déterminées se heurte, parfois, à la réalité des faits et, de mon expérience personnelle, lorsqu’on parle d’aspects déterminés de la vie animale, il y en a qui vous regardent comme un blasphémateur prononçant une abomination digne du bûcher.
La “personnalité” attribuée aux deux primates qui semblent beaucoup se ressembler est nettement différente et, parfois, trompeuse : le gorille est, dans l’imaginaire collectif, l’expression de la force brutale (pas toujours dans un sens bienveillant, et ce n’est pas pour rien que le terme “gorille” fait référence à un stéréotype humain), parfois peut-être associée à l’idée d’un fond de bonté, enfermée dans le corps d’un géant destructeur, tel qu’il est apparu, de temps à autres, comme le redoutable King Kong auquel la tribu de l’île mystérieuse offrait des sacrifices humains, quitte à tomber ensuite amoureux de la femme qui aurait dû devenir sa victime, ou mais également comme le bon géant toujours capable de provoquer des désastres et de tuer, tandis que le chimpanzé, au contraire, a presque toujours eu, en littérature et au cinéma, l’image d’un être non seulement intelligent et semblable à nous, mais gentil et docile.
Sa plus petite taille et la plus grande facilité de se procurer des spécimens et de les dresser a fait qu’ils sont exhibés notamment dans les cirques, chouchous des enfants, qu’ils partent dans l’espace et qu’ils apparaissent aux côtés de Tarzan dans les bandes dessinées et les films, mais ils ne sont jamais apparu en tant que danger potentiel comme cette sorte d’ogre de cousin lointain. Et ceci est, à mon avis, une erreur, comme nous le verrons plus loin, et une erreur qui peut coûter cher.
Le Chimpanzé commun (Pan troglodytes Blumenbach, 1775), à ne pas confondre avec le Bonobo ou Chimpanzé pygmée (Pan paniscus), est un grand singe anthropomorphe appartenant à l’ordre des Primates (Primates), au micro-ordre des Catarrhiniens (Catarrhini), à la super famille des Hominoïdes (Hominoidea), à la famille des Pongidés (Pongidae), à la sous famille des Ponginés (Ponginae), au genre Pan.Debout, il atteint les 170 cm (mâles), et son poids, à l’état sauvage, est d’environ 30 kg pour la femelle et de 50 à 60 kg pour le mâle, alors que des spécimens en captivité peuvent “engraisser” jusqu’à atteindre le quintal.
Le premier nom scientifique “Pan” se réfère à son aspect de … satyre des bois et s’inspire du dieu Pan, tandis que le second terme, “troglodytes”, est peut-être moins crédible, bien que suggestif, car il ne s’agit pas d’un animal … cavernicole, mais peut-être que l’aspect “homme des cavernes” et l’idée d’un de nos anciens ancêtres qui lui sont liés ont joué un rôle dans l’étymologie, qui sait.
Bien que moins robuste et moins massif que le gorille, avec des bras plus courts, arrivant au niveau des genoux, en position droite, il est, cependant, doué d’une force considérable et bien supérieure à celle de l’homme.
Les mains présentent des doigts longs, tandis que le pouce, opposable, est plus court, les pieds sont hautement préhensiles, avec un “gros orteil” opposable.
La tête est arrondie, dépourvue de la crête typique évidente du gorille, la face et les oreilles sont nues, sans pilosité, le nez est petit, avec des narines également petites, la lèvre supérieure est longue et très mobile.
La denture est plus robuste que celle de l’homme, et les canines, notamment celles des mâles, sont développées et constituent des armes redoutables, compte tenu également de la force des muscles masticateurs, capables d’infliger des morsures dévastatrices. Une particularité intéressante est propre à la “face”, qui diffère d’un individu à l’autre, facilitant la reconnaissance et permettant, à l’occasion, de déceler la familiarité d’un individu.
Le pelage est souvent noir, mais il peut varier de la couleur cannelle au marron, tandis que l’épaisseur et la densité du poil varie selon l’habitat et, avec l’âge, il est souvent accompagné d’alopécie et de poils de couleur plus claire ou blanche, qui lui confèrent un aspect grisonnant.
Son habitat va de la savane, pour autant qu’il y ait des arbres, à la forêt pluviale et sa distribution géographique s’étend de la Sierra Léone et de la Guinée jusqu’à l’Ouganda et la Tanzanie. Le fleuve Congo, comme cela se produit pour de nombreuses espèces, semble constituer une sorte de barrière infranchissable, séparant deux zones où non seulement la faune, mais également la flore, paraissent différentes, et on ne trouve le chimpanzé qu’au nord du grand fleuve.
Trois sous-espèces de Pan troglodytes : le chimpanzé occidental ou masqué (Pan troglodytes verus), appelé ainsi car sa face, claire, est mise en évidence par la couleur foncée de la peau autour de ses yeux ; le chimpanzé oriental ou à poils longs (Pan troglodytes schweinfurthii) et enfin Pan troglodytes troglodytes, mais les différences entre les trois sous-espèces me semblent, au bout du compte, plutôt vagues et inconstantes.Animal adapté aussi bien à la vie dans les arbres qu’à celle au sol, il se nourrit principalement sur les plantes mais il chasse plutôt à terre, car une partie de son alimentation provient, comme nous allons le voir, du règne animal.
Bien qu’il soit également présent dans la savane et dans la forêt, le second habitat abrite la plupart des populations, se révélant le plus adapté à l’espèce.
A propos des habitudes alimentaires du chimpanzé, je souhaiterais mentionner un fait peut être peu connu et certainement peu apprécié de certains, mais indiscutable et qu’il est nécessaire de connaitre pour se faire une idée non seulement sur le régime alimentaire de cet anthropomorphe mais également de certains comportements qui le rapprochent, parfois, plus de certains cynocéphales (babouin) que du gorille.
Le gorille peut se révéler dangereux dans certaines circonstances (voir la fiche sur Gorilla gorilla), et ceci est connu et accepté de tous, mais c’est, en fait, un animal qui, bien que capable de se montrer très agressif envers une menace potentielle et également envers ses propres semblables (petits et femelles compris), se nourrit exclusivement de végétaux et qui n’attaque pas l’homme s’il ne se sent pas menacé ou s’il ne considère pas que son harem est menacé, tandis que le chimpanzé, bien que principalement frugivore ou au moins mangeant plutôt des aliments d’origine végétale, est un omnivore et il passe environ 5 % de son temps dédié à se nourrir à la recherche et à la capture de protéines animales.
En ce qui concerne la “chasse“, les comportements semblent varier également en fonction de la zone géographique, dans le sens où, si dans certaines zones, les préférences vont à certaines sources de protéines, dans d’autres, elles changent du tout au tout. Pour donner quelques exemples, dans la région du Gombe (Congo), les chimpanzés préfèrent les termites, tandis qu’au Gabon ils les ignorent complétement et se consacrent avec enthousiasme au pillage des fourmis légionnaires, fourmis du genre Dorylus, qui, dans les périodes où les ressources alimentaires se font rares, se déplacent en colonnes comprenant jusqu’à 50 millions d’individus, attaquant n’importe quel être qu’elles trouvent sur leur chemin : les mandibules des soldats sont tellement puissantes que non seulement leur morsure fait saigner, mais qu’elles sont utilisées comme sutures pour recoudre les blessures.
Cependant, les proies des chimpanzés incluent une vaste gamme d’animaux ; des insectes aux nidicoles, des œufs, des reptiles et également des mammifères, jusqu’à la taille des jeunes antilopes, des potamochères et des rongeurs. Le chimpanzé est, par conséquent, un omnivore opportuniste, un coureur de la forêt qui tire profit de ses fruits aussi bien que de beaucoup de ses habitants. Et parmi les proies, bien que de façon occasionnelle, se trouve également l’homme.
Il est exact que certaines agressions, parfois mortelles, peuvent entrer dans une catégorie distincte : attaque “défensive” ou attaque de la part d’individus “domestiques” qui ont perdu toute crainte de l’homme, comme cela s’est produit, par exemple, dans le Connecticut, où un spécimen a attaqué une femme, lui arrachant une bonne partie du visage, mais il y a plusieurs cas documentés d’enfants attaqués et mangés par Cheeta le cannibale, exemples proprement dits de prédation sur le genre humain.Rien qu’en Ouganda, on a rapporté, en quelques années, 15 attaques contre des enfants, parmi lesquelles, la moitié environ, ont été fatales, tandis que les survivants ont subi de terribles blessures et des mutilations. Un de ces chimpanzés killers, en particulier, surnommé Saddam, a terrorisé un village près du Parc National Kibale, enlevant et tuant au moins trois enfants avant d’être abattu.
Un autre chimpanzé surnommé Frodo, tua la fille d’un ranger du Parc National Gombe, en Tanzanie, en 2002.
Le danger mortel représenté par ces singes est connu, et en fait, le règlement du Parc interdit l’entrée des enfants de moins de 12 ans, et la mère de la petite victime le savait bien, étant l’épouse d’un gardien du parc, mais elle pensait que la présence de deux adultes serait suffisamment dissuasive.
La petite se trouvait sur les épaules de la nièce qui suivait la mère : Frodo, un animal d’environ 50 kg, l’attrapa à l’improviste et grimpa sur un arbre, où il commença à la dévorer.
Généralement, la chasse aux grosses proies est conduite par des groupes de mâles qui sont spécialisés dans ce type d’activité, et une de leurs proies favorites est représentée par les colobes (Procolobus), mais les céphalophes et autres antilopes sont également capturés et dévorés et le spécimen qui tue la proie a généralement le droit de se “servir” en premier, tandis que les autres membres du groupe de chasseurs tendent parfois les mains pratiquement dans une demande rituelle de leur part, à laquelle ils auront droit après avoir respecté la préséance du …chasseur en chef.
Le reste de l’alimentation est principalement et préférentiellement à base de fruits, lorsque ceux-ci sont disponibles, et également dans ce cas une différence géographique correspond à des différences de préférences : là où il y a des plantations et des cultures, ces singes effectuent souvent de véritables raids au détriment des papayes (au Congo, par exemple), ou d’autres fruits, tandis que dans les autres régions, comme la Guinée, ils se spécialisent dans les noix de coco, utilisant des pierres, comme outils, pour les ouvrir. A part les fruits, les feuilles, les écorces et la lymphe de certaines plantes, les graines et les champignons, entrent également dans leur alimentation.L’organisation sociale consiste en communautés comprenant plusieurs mâles, avec des habitudes territoriales, et dans lesquelles seules les femelles émigrent, mais ces communautés sont bien différentes de celles des gorilles ou des autres singes : les chimpanzés, en fait, ne forment pas de groupes compacts et cohésifs ; leurs “tribus”, qui peuvent comprendre de 1 à plus de 100 membres, partagent la même aire mais ils s’associent rarement strictement à un groupe unique, se comportant un peu comme la hyène brune, animal qui, bien que vivant en communauté, se rencontre généralement seul.
Les activités de recherche de nourriture ou les diverses tâches … chimpanzesques voient des individus seuls ou réunis en bandes de différentes consistances, mais sans règles fixes : parfois, on observe des regroupements familiaux comprenant seulement une femelle et les enfants, d’autres fois des groupes de 50 à 70 individus ensemble, mais, généralement, les mâles tendent à aller faire un tour, seuls ou en groupes, mais sans femelle avec eux.
Autant à leur aise sur le sol que sur les plantes, ils passent la nuit dans les arbres, où ils édifient un “nid”, qui, selon les conditions du milieu, peut se trouver à trois mètres de hauteur comme à 30, même si les dangers auxquels ils sont exposés, au moins en forêt, ne sont pas très nombreux : en fait, dans la forêt pluviale les seuls dangers sont représentés par le léopard (même si les léopards des forêts, en moyenne, tendent à être plus petits), par l’homme et surtout par les chimpanzés mâles d’autres groupes. Dans certaines zones de savane, l’hyène et le lion peuvent, d’ailleurs, constituer un risque plus important, mais cependant, un chimpanzé, notamment mâle, est toujours un adversaire redoutable : trois fois plus fort qu’un homme adulte, doté de quatre mains et d’une denture redoutable, il peut tenir tête à beaucoup de prédateurs ou au moins vendre chèrement sa peau.
Le “territoire” d’une communauté peut varier de moins de 4 kilomètres carrés dans la forêt pluviale, où l’abondance de nourriture est concentrée dans de petites zones, jusqu’à 50 kilomètres carrés, dans la savane, parfois avec de véritables migrations, afin étendre le rayon d’action jusqu’à 400 kilomètres carrés, comme on l’a observé au Sénégal. En raison de la fluidité des liens sociaux et de leur remarquable longévité (40 à 60 ans), il n’est pas simple de comprendre la complexité de la vie sociale de ces singes, et en particulier les relations entre femelles présentent encore des aspects peu connus, mais en ce qui concerne l’activité reproductive il a été confirmé que la femelle a un “cycle menstruel” de 34 jours, accompagné de pertes régulières de sang, qui se manifestent la première fois (ménarche) vers les 9 ou 10 ans.
Pendant la période fertile il y a tuméfaction et rougissement de la zone ano-génitale et l’accouplement peut avoir lieu dans n’importe quelle période de l’année.Même si la …ménarche survient à l’âge de 9-10 ans, pendant au moins les deux années suivantes la femelle est virtuellement stérile et elle peut allégrement s’accoupler sans procréer, comme si elle prenait la pilule, pratiquement une sorte de période probatoire fixée par la nature avant d’accéder à la maternité, par conséquent, elle peut se reproduire seulement vers l’âge de 12 ans en moyenne.
Les males son beaucoup plus précoces : ils peuvent, en théorie, déjà s’accoupler à trois ans, mais c’est seulement vers les 3 ou 4 ans qu’ils acquièrent la capacité de “courtiser” la femelle.
Le cérémonial de cour consiste, en réalité, plus en une exhibition d’agressivité envers la femelle qu’en une “cour” à proprement parler et chaque mâle peut montrer des caractéristiques différentes des autres dans ses …techniques de séduction. L’accouplement survient généralement comme chez la plupart des mammifères, par derrière, et rarement en utilisant la position, disons, du missionnaire, comme cela arrive souvent, au contraire, dans le cas du bonobo : la femelle s’accouple en moyenne 5 ou 6 fois par jour, pendant la première semaine d’œstrus, et elle est très …désinhibée, acceptant de bonne grâce les attentions de n’importe quel mâle qui lui tombe sous la main, tandis que les mâles, pour leur part, se montrent plutôt sportifs, évitant d’interférer avec l’amant du moment, bien sûr la jalousie ne fait pas partie de la bienséance chimpanzesque, à la différence de l’homme.
La gestation dure 8 mois et le petit, pendant les six premiers mois, dépend totalement de la mère. On a quelques fois observé une sorte d’adoption d’un petit devenu orphelin par une femelle du groupe familial de la mère, mais ce n’est pas forcément la règle et la mortalité infantile est considérable. Les contacts entre les membres du groupe sont maintenus par une large gamme de signaux sonores, visuels et tactiles. Les chimpanzés sont parmi les animaux les plus “bruyants” et ils peuvent rester en contact même à grande distance, lorsqu’ils sont dispersés sur de vastes étendues ou dans les forêts qui limitent grandement la visibilité.
A courte distance bien sûr, les expressions de la “face” jouent un rôle considérable, étant donné l’expressivité et la mobilité de la bouche, des yeux et des oreilles, mais la gestuelle des membres est également importante ainsi que les vocalises.A la différence des autres singes, même anthropomorphes, toutefois, il n’y a pas de “cris” typiques d’un sexe ou d’une classe d’âge et chaque individu maîtrise tout le répertoire vocal de l’espèce.
Un son typique est le Hoo-hoo-hoo haletant connu de tous, surtout utilisé pour “marquer” le territoire, mais à part cela, il existe aussi de nombreux autres sons : un aboiement semblable à celui du guib harnaché (Tralegaphus scriptus), des grognements, une sorte de court rugissement, des cris de différentes tonalités, parmi lesquels un Haaaaaa, très modulable, allant du bêlement au grondement.
L’agressivité est démontrée par une série d’attitudes allant de la simple intimidation à la charge déterminée (notamment contre les mâles d’autres clans ayant envahi le territoire).
Une charge déterminée et non démonstrative s’opère, comme cela se passe pour l’éléphant, généralement en silence, en courant sur les quatre membres, à toute vitesse, et se conclut par une agression déterminée pouvant entrainer la mort de l’adversaire ou de l’agresseur ou causer des blessures plus ou moins sérieuses.
En conclusion, donc, le chimpanzé est un animal à la personnalité et au comportement particulièrement complexes, et, bien qu’il s’agisse probablement du singe le plus étudié dans l’absolu, nous sommes bien loin d’être en mesure de prétendre bien le connaitre, surtout, en ce qui concerne sa vie secrète dans son habitat naturel, constitué, entre autre, par la forêt pluviale, un des milieux qui, encore aujourd’hui, réserve toujours des surprises et qui est bien loin d’avoir été “exploré” à fond.