Famille : Pisauridae
Texte © Prof. Giorgio Venturini
Traduction en français par Carole Jouron
La famille Pisauridae ne compte que deux genres : Pisaura et Dolomedes.
Le genre Pisaura dénombre 18 espèces à distribution paléarctique.
Pisaura mirabilis Clerck, 1757 est présente dans toute l’Europe, en Turquie et au Moyen-Orient ainsi que, plus rarement, dans les régions tempérées d’Asie et d’Afrique du Nord. En Italie, outre cette espèce, on trouve aussi, plus rarement, Pisaura novicia et Pisaura orientalis, ainsi que Pisaura quadrilineata, présente en Sardaigne et en Sicile.
L’étymologie du nom du genre Pisaura n’est pas certaine. Pisaurus en latin désigne la ville de Pesaro ou un fleuve du Piceno près duquel se sont installés les populations gauloises (Galli Senoni) vers 400 av. J.-C. Selon un chercheur français, le nom de l’araignée fait référence à ces lieux ou à ces populations.
Le nom Pisaura, en ce qui concerne le genre végétal homonyme, dérive du nom de la ville de Pesaro. Quant à l’espèce, mirabilis en latin signifie admirable, remarquable, probablement en référence aux admirables soins parentaux que la mère prodigue aux petits.
Écologie-Habitat
Cette araignée préfère les espaces ouverts et semi-ombragés, comme les clairières, prairies, jardins et landes, où l’on peut facilement trouver des plantes herbeuses, des arbustes et des haies. On la rencontre fréquemment, jusqu’à environ 1000 m d’altitude.
Morpho-physiologie
On rencontre les adultes de Pisaura mirabilis de mai à juillet. Le mâle atteint 10 à 12 mm, la femelle 11 à 15 mm. L’opisthosome (abdomen) est mince, fusiforme et se termine en pointe. Le prosome (céphalothorax) est relativement grand et allongé. Les pattes sont longues et robustes. Les huit yeux sont répartis en une rangée antéro-inférieure de quatre, très petits, et en un groupe supérieur de quatre, dont deux sont plus grands et plus proches et deux plus petits, plus hauts et plus espacés.
Les mâles ont généralement un abdomen plus petit et des palpes bien développés aux extrémités très larges. La couleur de base varie du brun clair au gris et au brun sombre, les mâles étant généralement plus foncés que les femelles. Le prosome présente une bande médiane sombre avec des bords imprécis sur le dos et une ligne plus claire en son centre. Souvent, cette ligne blanche est dressée en une sorte d’épine qui dépasse également à l’avant. La zone céphalique présente une tache triangulaire foncée allant des chélicères jusqu’aux yeux centraux. L’opisthosome comporte quelques taches dorsales anguleuses et, latéralement, une ligne ondulée de couleur sombre.
Ethologie-Biologie de la reproduction
Ces araignées disposent d’une bonne vue et sont de bonnes chasseuses. Elles ne tissent pas de toile mais chassent au sol ou sur les plantes. Lorsqu’elles attendent une proie, elles prennent position les deux premières paires de pattes réunies et tendues vers l’avant. Souvent, au repos sur les feuilles ou les fleurs, elles adoptent une position caractéristique, avec les pattes ramassées et enroulées, peut-être pour des raisons mimétiques, afin de ne pas se montrer aux prédateurs sous la forme habituelle d’une araignée, avec les huit pattes écartées et étendues. Normalement, elle ne mord pas l’homme. Cependant, sa morsure n’est ni dangereuse ni très douloureuse.
Le comportement reproductif de Pisaura mirabilis est extrêmement complexe et intéressant, tant au niveau de la phase de séduction et de la fécondation qu’au niveau du soin apporté à la progéniture.
Avant l’accouplement, le mâle capture une proie, l’enveloppe dans un cocon de fil de soie. Il cherche ensuite une femelle et se présente, le prosome relevé et les membres antérieurs écartés et vibrants, tandis qu’à l’aide de ses chélicères il offre sa proie en cadeau de mariage (ce comportement a été décrit par Van Hasselt en 1884).
La femelle s’approche et goûte le présent. En général, elle prend ensuite une attitude passive. Le mâle s’approche et se glisse latéralement sous la femelle d’un côté puis de l’autre en insérant à chaque fois ses pédipalpes dans les ouvertures de l’épigyne pour y libérer le sperme. Il répète l’opération entière deux fois pour une durée pouvant atteindre deux heures. Le mâle a auparavant libéré sa semence dans un petit sac spécialement tissé d’où il le prélève avec ses palpes pour l’introduire dans les deux orifices génitaux de la femelle. L’accouplement peut avoir lieu de jour comme de nuit. Le recours à un cadeau de mariage visant à inciter à l’accouplement est très répandu chez de nombreuses espèces très différentes sur le plan de la taxonomie, des onychophores en passant par les insectes, les oiseaux et même l’homme. Dans ce dernier cas, le phénomène semble très similaire à celui de l’araignée, tant en termes de buts que de stratégies.
Cette araignée est communément appelée “nursery web spider” en anglais, c’est-à-dire dont la toile sert de pouponnière. La femelle, quelque temps après l’accouplement, développe en effet un ovisac d’environ 1 cm rempli d’œufs fécondés et le transporte en le maintenant sous le prosome grâce à ses chélicères (contrairement aux autres araignées qui l’enserrent dans leurs filières et le portent sous l’abdomen).
Après environ deux semaines, la femelle fixe le sac à la végétation et tisse autour, pour le protéger, une toile en forme de dôme d’environ 5 cm de diamètre, puis entr’ouvre le sac et s’installe au sommet du dôme pour surveiller le développement. Après la naissance, les jeunes se rassemblent près de l’ovisac. Ils peuvent se disperser s’ils sont dérangés, mais se regroupent à nouveau rapidement. Si elle est dérangée, la mère s’éloigne mais revient rapidement sur la toile. Après la première mue, les petits quittent la toile d’araignée où ils sont nés. La femelle transporte le sac avec ses chélicères et ne peut donc pas attraper de proies pour se nourrir. Comme elle ne se nourrit pas pendant toute la période de surveillance du nid, elle n’y survit pas longtemps.
Les dômes caractéristiques de cette araignée sont souvent observés en grand nombre sur la végétation. Un comportement similaire a été démontré chez d’autres araignées comme la Paratrechalea ornata de la famille des Trechaleidae.
Études expérimentales sur le cadeau nuptial et la mort apparente du mâle
L’offrande d’un cadeau de mariage est un comportement très intéressant et relativement répandu dans le monde animal. Mais quelle est en réalité son importance dans la reproduction, quel rôle joue-t-il et quel est son coût pour le mâle et son utilité pour la femelle ?
Plusieurs chercheurs ont étudié la signification du cadeau de mariage chez Pisaura, avec des résultats très intéressants mais parfois contradictoires. On a avancé que le mâle Pisaura peut offrir une proie pour se protéger contre le cannibalisme sexuel lors de la cour et de l’accouplement. On peut également penser qu’il s’agit pour le mâle de démontrer ses talents de chasseur, en vue d’une sélection sexuelle ou, encore une fois, d’un apport énergétique du futur père pour le développement de sa progéniture. Afin de vérifier ces hypothèses, des études expérimentales ont été menées sur un groupe de mâles qui n’offraient rien, tandis que d’autres offraient des proies de tailles différentes. En tout état de cause, aucun des 82 mâles étudiés n’a été mangé par la femelle et les quelques attaques recensées étaient dirigées contre des mâles ayant offert un cadeau.
Les mâles n’ayant rien offert pouvaient s’accoupler dans 40 % des cas, contre 90% pour les mâles ayant fait un cadeau. La durée de l’accouplement était proportionnelle à la taille du cadeau. Le pourcentage d’œufs fécondés augmentait également en fonction de la durée de l’accouplement et donc de la taille du cadeau.
Le cadeau n’a cependant pas eu d’influence sur le nombre et la taille des petits. Ces résultats semblent exclure l’hypothèse du cannibalisme et de l’apport énergétique et les chercheurs valident plutôt l’hypothèse d’une performance masculine de bonne qualité. Ce serait donc un comportement favorisé par la sélection sexuelle.
Comme le cadeau de mariage leur coûte à la fois par sa capture et son emballage, les mâles les plus faibles ne seront pas en mesure d’offrir des cadeaux acceptables et auront donc moins de chance de se reproduire. La capacité à préparer des cadeaux de mariage peut être considérée comme un signe tangible de l’état de santé du mâle.
D’autre part, les femelles à jeun sont plus susceptibles d’accepter des cadeaux et des rapports sexuels que les femelles bien nourries, de sorte que le cadeau a également une fonction alimentaire. De plus, il semble que les femelles privilégient la polyandrie pour bénéficier d’un plus grand apport nutritionnel en recevant plus de cadeaux.
Un chercheur a suggéré que le cadeau de mariage servirait de leurre sensoriel, en imitant l’ovisac de la femelle afin de stimuler l’instinct maternel. Les observations expérimentales n’étayent pas cette hypothèse. En effet la forme et le revêtement de soie du paquet-cadeau n’influe pas sur l’acceptation par la femelle et, au contraire, les cadeaux non enveloppés de soie semblent mieux acceptés que les autres. Cependant, il semble que l’emballage joue en faveur du mâle puisque le temps nécessaire au “déballage” réduit le risque de voir la femelle voler le paquet et s’enfuir sans lui céder.
D’autres observateurs affirment cependant que la taille du cadeau augmente la durée de l’accouplement, mais que l’éclat du paquet influe sur l’acceptation par la femelle.
Certains ont également signalé que certains mâles offraient de faux cadeaux, c’est-à-dire des éléments non comestibles comme des feuilles ou des brindilles soigneusement emballées de soie. Il semble que ces tentatives de tromperie soient généralement infructueuses. La qualité de l’emballage serait donc importante mais pas déterminante.
La femelle peut accepter plus d’un cadeau de mariage et être inséminée par plusieurs mâles. Il semble que dans le cas de deux mâles, le sperme du premier soit plus susceptible de féconder les oeufs. Le premier donneur perdrait cependant l’avantage, dans le cas où le nombre de mâles serait supérieur à deux.
Les études expérimentales semblent donc bien confirmer l’efficacité du cadeau à des fins de reproduction. En effet, on a mesuré chez les femelles, la quantité de spermatozoïdes retenus suite à des accouplements précédés ou non d’un cadeau nuptial, pour une même durée d’accouplement. Le sperme des mâles ayant fait un cadeau est plus important et donne naissance à plus de petits, indépendamment de la durée de l’accouplement.
Avec les faux ou les vrais cadeaux, la femelle accepte aussi le partenaire, mais dans le cas des faux cadeaux, l’accouplement dure moins longtemps. Le faux cadeau est donc contre-productif pour le mâle qui génèrera moins de descendants. La préparation du cadeau demande beaucoup d’efforts au mâle et les mâles en mauvaise santé consacrent moins de temps et moins de soie à cette activité. En étudiant des mâles bien nourris ou à jeun et leurs cadeaux plus ou moins bien emballés, on constate que les mâles en bonne condition physique s’accouplent plus facilement et que l’accouplement dure plus longtemps. Les mâles apportant des cadeaux sont ralentis dans leur course mais ne sont pas blessés dans des combats avec des concurrents. Des études sur le terrain montrent que 40 % des mâles sont porteurs de cadeaux et que ces cadeaux contiennent des arthropodes frais. La masse de la proie est proportionnelle à la taille du paquet. Il semble donc que les mâles n’ont généralement pas tendance à simuler des cadeaux particulièrement attrayants en trompant la femelle avec l’emballage.
La forme et la couleur de l’emballage n’ont aucune influence et même les cadeaux non emballés dans de la soie sont acceptés, souvent même mieux que ceux emballés. L’avantage de l’emballage, cependant, réside dans le fait qu’il diminue le risque que la femelle accepte le cadeau et ne cède pas au mâle. Les cadeaux grands et longs sont difficiles à manipuler pour le mâle et conduisent donc à des accouplements plus courts, alors qu’un paquet sphérique, s’il n’est pas mieux accepté, s’avère plus pratique pour le mâle.
Parfois, si le mâle termine le transfert de sperme avant que la femelle ait consommé la proie, il essaie de la reprendre pour la manger lui-même ou pour l’offrir à une autre femelle.
De son côté, la femelle essaie parfois de s’échapper avec le cadeau sans céder. On a observé que le mâle retenait le cadeau par un fil, peut-être pour éviter le vol.
Du point de vue de la femelle, évaluer un mâle en fonction de son cadeau devrait dépendre de l’existence ou non de précédents accouplements. Pour une vierge, refuser un mâle peut signifier perdre la possibilité de se reproduire. On peut donc s’attendre à ce que les vierges soient moins frileuses que les femelles déjà fécondées. Cependant, l’hypothèse n’a pas été confirmée par l’expérience et le mâle arrive à ses fins que la femelle soit vierge ou non.
Le mâle met égalemnt en œuvre une autre stratégie pour faciliter l’accouplement : celle de la mort apparente (tanatose). Pour une raison qui n’est pas encore bien connue, le mâle peut alors plus facilement surmonter la résistance de la femelle et maintenir le contact.
Si la femelle attaque, le mâle fait semblant d’être mort et reste immobile. Lorsque la femelle commence à consommer le cadeau, le mâle recommence prudemment à bouger et à s’accoupler. Les mâles qui feignent d’être morts parviennent alors à avoir des accouplements plus fréquents mais de plus courte durée.
Afin d’étudier le rôle de la tanatose chez des mâles normaux et d’autres artificiellement handicapés par amputation d’une patte, donc plus vulnérables, ils ont été mis en contact avec des femelles plus ou moins agressives (évaluées sur la base de leur comportement envers les proies).
Si l’on compare leur tendance à feindre la mort, le succès de l’accouplement et la durée de celui-ci , en considérant également l’état de virginité ou non de la femelle, on constate que la fréquence de la tanatose n’est pas influencée par l’état du mâle (invalide ou non) ni par celui de la femelle (vierge ou non et agressive ou non).
En général, les mâles qui adoptent le plus souvent le comportement de mort apparente obtiennent plus de succès dans l’accouplement. Certains mâles sont plus enclins à la tanatose que d’autres.
Synonymes
Araneus mirabilis Clerck, 1757 ; Aranea listeri Scopoli, 1763 ; Aranea arcuatolineata Martini & Goeze in Lister, 1778 ; Aranea flavostriata Martini & Goeze in Lister, 1778 ; Aranea tripunctata Martini & Goeze in Lister, 1778 ; Aranea rufofasciata De Geer, 1783 ; Aranea marmorata Fourcroy, 1785 ; Aranea agraria Olivier, 1789 ; Aranea obscura Fabricius, 1793 ; Aranea bivittata Risso, 1826 ; Ocyale murina C. L. Koch, 1837 ; Dolomedes scheuchzeri Bremi-Wolff, 1849 ; Pisaura listeri Dahl, 1908.