Famille : Brassicaceae
Texte © Prof. Pietro Pavone
Traduction en français par Michel Olivié
Eruca vesicaria (L.) Cav. est une espèce appartenant à la tribu Brassiceae de la famille des Brassicaceae qui est originaire de la zone méditerranéenne et de l’Ouest de l’Asie où son aire de répartition s’étend jusqu’à l’Afghanistan où elle est une plante sauvage relativement commune.
Le nom Eruca vient du latin “eruca” = chenille en raison de la pilosité de cette plante qui rappelle le corps poilu d’une chenille. Le nom Erùca a été mentionné par divers auteurs classiques : Ovide (43 av. J.C.-17/18 ap. J.C.), Pline l’Ancien (23-79), Columelle (4-70), Quintus Horatius Flaccus (65 av. J.C.-8 av. J.C.), Dioscoride (environ 40-environ 90), etc…
L’épithète de l’espèce vesicaria vient du latin “vesica” = vessie parce qu’on utilisait cette plante pour améliorer le fonctionnement des voies urinaires. Toutefois, suivant une autre interprétation, ce nom ferait allusion à ses fruits non encore mûrs qui sont enflés de façon caractéristique. Elle est connue communément en italien sous les noms de ruchetta, rucola, rucola commune et ruca, en anglais de rocket et arugula et en français de roquette ou riquette.
Eruca vesicaria est une plante annuelle, de couleur vert glauque, haute jusqu’à 80 cm, à la racine pivotante, mince. Sa tige est rigide, droite, dotée de poils simples plus ou moins hispides, généralement ramifiée et souvent de couleur rouge dans sa partie supérieure.
Les feuilles basilaires (souvent fanées lors de la fructification) ont un pétiole de 2 à 5 cm (7 au maximum) et un limbe fortement oblancéolé ou penné de 4 à 15 cm (20 au maximum) x 20 à 40 mm (60 au maximum) comportant 3 à 9 lobes par côté et des bords entiers ou dentés.
Les feuilles caulinaires ont un limbe semblable à celui des feuilles basilaires qui s’amincit graduellement et et qui est subsessile.
L’inflorescence est une grappe qui atteint jusqu’à 50 cm de long lors de la fructification.
Les fleurs sont portées par des pédoncules de 2 à 4 mm. Le calice est formé de quatre sépales érigés, de couleur brun violacé et hispides, longs de 8 à 10 mm, oblongs et en général persistants. Ceux qui sont situés à l’extérieur sont cucullés (encapuchonnés) à leur base et pointus à leur extrémité. La corolle a quatre pétales très apparents, blancs-jaunâtres, de 15 à 25 mm, veinés de violet, nettement obovés-spatulés et amincis en un long onglet. Les étamines sont au nombre de 6 et tétradynames (4 plus longues et 2 plus courtes).
La pollinisation est entomophile. Le fruit est une silique de 12 à 25 x 3 à 5 mm, érigée, glabre ou hispide, au bec ensiforme dépourvu de graines (asperme), long de 7 à 8 mm et large de 4 mm. Les pédicelles fructifères mesurent de 2 à 8 mm (10 au maximum) et sont accolés au rachis. Les graines, de 2 x 1 mm, sont bisériées, ellipsoïdes, légèrement aplaties et de couleur jaune brun.
La roquette s’est naturalisée dans de nombreuses régions du monde. On peut la trouver dans les friches, les champs, le bord des routes, près de la mer et jusqu’à des altitudes élevées. Elle est largement cultivée principalement comme salade.
Une espèce comparable sur le plan morphologique, appelée “roquette sauvage ou roquette jaune” a pour nom Diplotaxis tenuifolia (L.) DC. Elle appartient, elle aussi, à la famille des Brassicaceae mais elle est pérenne. Elle a des fleurs jaunes. Ses feuilles inférieures sont pennatifides ou pennatiséquées ou pennées-lobées (2 à 5 x 10 à 25 cm), glabres, d’un goût très fort et sont utilisées souvent de la même façon que la roquette.
Le nombre chromosomique de Eruca vesicaria est 2n = 22.
La première mise en culture de la roquette remonte aux Grecs de l’Antiquité. Les Romains en consommaient également les graines. Cette plante était réputée avoir des propriétés magiques et aphrodisiaques. Virgile (70 av. J.C.- 19 av. J.C.), en effet, en parle dans son petit poème intitulé Moretum où il décrit la recette de la fabrication d’un fromage, le moretum, très apprécié dans la Rome antique, dont la préparation prévoyait d’ajouter au lait des herbes, dont la roquette, car on l’estimait capable de “tirer Vénus du sommeil” (et Venerem revocans eruca morantem).
Ovide, dans l’Art d’aimer, conseillait d’utiliser cette plante, qu’il appelait eruca salax ou erba salax, c’est-à-dire herbe luxurieuse, pour mieux séduire la personne aimée. Pline l’Ancien, dans Naturalis historia (77/78 ap. J.C.), en parle comme d’un mets capable de stimuler le désir sexuel.
Dioscoride, dans De materia medica (1er siècle ap. J.C.), prétendait que si on la mangeait crue et en quantité elle “réveillait Vénus”.
Dans son ouvrage Stirpium adversaria nova (1570) Mathias de l’Obel (1538-1616), un botaniste flamand, et son compagnon de voyage Pierre Pena (1535-1620) racontent que des moines du monastère de Maguelone en France cultivaient dans le jardin de leur couvent des plants de roquette dont les graines étaient transportées par un frère itinérant espagnol.
L’usage de cette plante aurait incité certains d’entre eux à quitter le monastère pour rechercher ailleurs du réconfort (… et cenobii moenia transilire et aliquid solatii Venerei ab vicinis plebanis efflagitare).
La roquette est largement cultivée en Asie où l’on extrait l’huile de ses graines (huile de taramira) qui est employée pour l’éclairage, comme lubrifiant et comme décapant.
Elle est aussi une des sources les plus riches en acide érucique, un acide gras oméga- 9 mono-insaturé utilisé dans l’industrie alimentaire et la cuisine de certains pays.
En Amérique du Nord elle a été introduite en 1898 dans le comté de Flathead au Montana. Par la suite, dans les années 20 du XIXe siècle, elle a été déclarée comme étant une plante invasive des champs d’herbes médicinales aux États-Unis.
En Inde on la cultive pour servir d’huile de cuisine et comme nourriture pour les animaux. Ses cultures atteignent 3500 m d’altitude dans l’Ouest de l’Himalaya.
La roquette se caractérise par ses feuilles à la saveur piquante. On peut la consommer fraîche comme garniture de nombreux plats pour aromatiser la viande crue (le carpaccio) et les fromages crus (le stracchino, le primosale et le tomino) et être ajoutée aux toasts et aux piadine. Ses feuilles broyées jointes à du jus de tomate et à du pecorino servent à assaisonner les cavatelli (cavatiéddi en dialecte), un genre de pâtes propre au Sud de l’Italie qui ont une forme typique qui ressemble à celle des coquillages du genre Cypraea.
La roquette est utilisée également pour la préparation de la focaccia à la roquette, la pizza à la roquette, la liqueur digestive à la roquette, le pesto à la roquette et aux noix, la sauce des croûtons à la roquette, etc…Elle est aussi employée pour la confection de gâteaux et dans les tartes.
À l’échelon industriel on s’en sert pour faire le “lait artificiel de prolongement” qui est adapté aux besoins nutritionnels des nourrissons.
Le tourteau de graines et la plante entière servent de fourrage pour les animaux d’élevage.
Les fleurs de la roquette qui ont une saveur plus douce que celle des feuilles peuvent également être employées pour agrémenter les salades.
Dans la médecine traditionnelle les jeunes pousses sont utilisées pour leurs propriétés stimulantes, antiscorbutiques, stomachiques et diurétiques .
Des études spécifiques ont démontré que la roquette contient des glucosinolates, des flavonoïdes, des caroténoïdes, des vitamines, des fibres et des polyphénols. Elle renferme aussi du magnésium, qui est nécessaire au fonctionnement des systèmes nerveux et musculaire, et de la vitamine K qui est indispensable à la formation des os. De plus elle stimule le rétablissement de l’organisme en cas d’asthénie et de faiblesse psycho-physique. On peut aussi l’employer pour désinfecter et et cicatriser les plaies.
Les cultures extensives actuelles sont le résultat de recherches portant sur l’amélioration des propriétés nutritionnelles, de la durée de conservation et de la résistance de cette plante aux maladies, à la sécheresse et à la salinité.
On peut aussi utiliser la roquette comme agent de contrôle biologique. En effet on a constaté de façon expérimentale que ses graines mucilagineuses constituent un agent prometteur de biocontrôle des larves de certains moustiques des régions tropicales et subtropicales tels que Culex quinquefasciatus qui est le vecteur de nombreuses maladies virales et parasitaires et Aedes aegypti, le moustique de la fièvre jaune.
L’huile de roquette protège efficacement les cultures des insectes nuisibles comme Perkinsiella insignis, Sogata striatus, Sogatella longifurcifera et Peregrinus maidis. D’autre part les glucosinolates extraits des feuilles ont un effet négatif sur la survie et le développement des nymphes, la durée de vie des adultes, la période de reproduction et la fécondité de l’aphide Lipaphis erysimi.
On procède aux semis de mars à septembre mais s’ils sont effectués dans un lieu de culture protégé (en tunnel) il est possible de prolonger la période de production des jeunes pousses presque toute l’année.
La germination est rapide de même que la croissance. Les jeunes pousses apparaissent une semaine après les semis et il est possible de récolter peu après les premières feuilles pour différents usages.
Les graines de roquette peuvent être conservées pendant plusieurs années sans perdre leur capacité germinative.
La roquette a besoin d’être irriguée après les semis jusqu’à la formation des jeunes pousses. Ensuite, en l’absence de pluie, on doit l’arroser souvent mais peu et sans excès car cette plante n’aime pas trop l’eau. Quand elle est cultivée elle peut être sujette à différentes altérations phytopathologiques provoquées par des agents pathogènes. Les densités élevées des semis jointes aux cycles de production rapprochés entraînent le développement de la trachéofusariose causée par Fusarium oxysporum.
Dans les cultures protégées les problèmes peuvent être causés par des agents tels que des champignons (Alternaria japonica, Sclerotina sclerotiorum, Rhizoctonia solani, Microdochium panattomianum), des bactéries (Xanthomonas campestris pv. campestris), et des insectes (Frankliniella occidentalis, Delia radicum, Phalonidia contractana, etc…).
La roquette peut enfin accumuler des éléments toxiques comme le nickel, le plomb et le zinc car elle est très réceptive.
Suivant la taxonomie proposée récemment par la fondation allemande DFG (German Research Foundation, 2018) et consultable dans la base de données online “BrassiBase” Eruca vesicaria comprend 2 sousespèces :
Eruca vesicaria subsp.vesicaria (L.) Cav., endémique du Sud de l’Espagne, des îles Baléares et de l’Afrique du Nord, qui se caractérise par des sépales persistants et fortement cucullés.
Eruca vesicaria subsp. sativa (Mill.) Thell., propre à la zone méditerranéenne qui est très vraisemblablement le centre de sa domestication, qui se différencie de l’espèce par ses sépales glabres ou poilus, caducs et généralement non cucullés. C’est la roquette la plus répandue et la plus cultivée dans de nombreuses régions du monde.
Synonymes de Eruca vesicaria (L.) Cav.
Brassica hispida Ten., Brassica vesicaria L., Eruca aurea Batt., Eruca glabrescens Jord., Eruca oleracea J. St.-Hil., Eruca orthosepala (Lange) Lange, Eruca permixta Jord., Eruca sylvestris Bubani, Eruca vesicaria var. orthosepala Lange, Euzomum vesicarium (L.) Link, Raphanus eruca (L.) Crantz, Raphanus vesicarius (L.) Crantz, Velleruca longistyla Pomel.
Synonymes de Eruca vesicaria subsp. sativa (Mill.) Thell.
Brassica eruca L., Brassica erysimoides Sieber ex Spreng., Brassica lativalvis Boiss., Eruca cappadocica Reut., Eruca cappadocica var. eriocarpa Boiss., Eruca deserti Pomel, Eruca eruca (L.) Asch. & Graebn., Eruca foetida Moench, Eruca grandiflora Cav., Eruca lanceolata Pomel, Eruca latirostris Boiss., Eruca lativalvis (Boiss.) Boiss., Eruca longirostris R. Uechtr., Eruca sativa Mill., Eruca sativa subsp. lativalvis (Boiss.) Greuter & Burdet, Eruca sativa subsp. longirostris (R. Uechtr.) Jahand. & Maire, Eruca sativa var. eriocarpa (Boiss.) Post, Eruca sativa var. erysimoides (Sieber ex Spreng.) Fiori, Eruca sativa var. sativa subvar. lativalvis (Boiss.) Coss., Eruca sativa var. oblongifolia Pasquale, Eruca sativa var. sativa Mill., Eruca sativa var. stenocarpa (Boiss. & Reut.) Coss., Eruca stenocarpa Boiss. & Reut., Eruca vesicaria subsp. lativalvis (Boiss.) Thell., Eruca vesicaria subsp. longirostris (Uechtr.) Emb. & Maire, Euzomum sativum (Mill.) Link.
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