Famille : Scaridae
Texte © Giuseppe Mazza
Traduction en français par Catherine Collin
Cas rare parmi les poissons perroquets, les femelles de Sparisoma viride, fréquent dans les eaux tropicales de l’Atlantique Ouest, ne sont pas moins voyantes que les mâles © Paddy Ryan
Appartenant à la classe Actinopterygii, les poissons à nageoires rayonnées, et à l’ordre Perciformes, les poissons perroquets sont placés par certains dans la famille Scaridae, qui compte aujourd’hui, en 2021, une dizaine de genres et une centaine d’espèces.
Pour d’autres taxonomistes, études moléculaires à l’appui, ces poissons seraient au contraire à classer comme Scarinae, sous-famille Labridae, un groupe beaucoup plus vaste, qui comprend déjà, sans compter les poissons perroquets, 70 genres et 559 espèces.
Dans les deux cas, il s’agit de poissons qui nagent avec les nageoires pectorales et surprennent par leurs livrées chatoyantes, changeant d’aspect et de sexe avec facilité, se moquant ainsi des taxonomistes.
Le nom donné à l’espèce privilégie la livrée verte du mâle en phase terminale, ici à l’apogée de sa splendeur © Keoki Stender
Pourtant, les poissons perroquets ne sont pas carnivores comme les labres et ont les dents soudées entre elles, formant deux plaques maxillaires. C’est un groupe bien caractérisé et homogène d’herbivores producteurs de sable, même si chaque espèce a ses propres caractéristiques.
Il y a ceux qui frappent les coraux avec leur tête, comme Bolbometopon muricatum, pour en saisir les fragments, les garder en bouche afin de les savourer un long moment, les mâchant comme des biscuits croquants pour ensuite les avaler; ceux qui nettoient la barrière de corail en grattant les algues incrustées comme Scarus psittacus; ceux qui prélèvent en les coupant net, comme avec des ciseaux, les frondes des algues benthiques tel Calotomus carolinus; et ceux qui ont une grande prédilection pour les zooxanthelles, les microscopiques algues symbiotiques présentes dans les polypes des coraux, qu’ils prélèvent au vol, avant qu’ils ne se rétractent, emmenant une bonne partie du support.
Dans cette phase initiale les mâles sont identiques aux femelles mais 4 à 5 % sont déjà en mesure de se reproduire dans cette livrée, mêlés aux femelles du harem © Allison & Carlos Estape
Sparisoma viride (Bonnaterre, 1788) est, pourrait-on dire, une “fine gueule” qui aime les algues molles et se montre assez sélectif dans ses choix, montrant une prédilection pour celles appartenant au genre Dictyota, alors que parmi les madrépores sa préférence va aux polypes de Porites porites et de Montastraea annularis.
On l’appelle Poisson perroquet feu, pour la petite tache jaune sur le bord central de l’opercule des mâles adultes en livrée terminale, alors que le nom de genre Sparisoma vient du latin “sparus” = javelot, pour son profil ressemblant à la pointe d’une lance et du grec ancien “σῶμα” (soma) qui signifie corps. Il s’agit donc d’un poisson qui évoque la pointe d’une lance.
Voici les premières phases de la croissance avec les typiques pointillés mimétiques. En haut © Kevin Bryant et © Rick Stuart-Smith, Reef Life Survey. En bas © Brian Cole et © Kevin Bryant
Cependant, dans ce nom on trouve aussi une référence à la Dorade royale, classifiée par Linné avec une même racine comme (Sparus aurata) qui pourtant appartient à la famille Sparidae.
On pourrait donc simplement conclure que c’est un poisson avec le corps d’un Sparus ou que c’est un Scaridee ressemblant à un Sparidae.
Le nom d’espèce viride, du latin “viridis”, nous rappelle de manière simple qu’il s’agit d’un poisson vert. Cela, bien entendu, pour la livrée mâle terminale, parce que Sparisoma viride est une espèce hermaphrodite protogyne.
Puis les grandes écailles, d’abord blanches avec le bord marron foncé sur les deux tiers supérieurs du corps, peuvent prendre une tonalité presque noire alors que le ventre et les nageoires deviennent rouges vif et la tête marron © Kevin Bryant
À un certain moment, les femelles se transforment en mâles et dans la première phase, phase femelle ou des jeunes mâles, la couleur qui saute aux yeux n’est sûrement pas le vert mais le rouge flamboyant des nageoires et du ventre.
Zoogéographie
Sparisoma viride vit dans les eaux tropicales de l’Atlantique Ouest.
En partant des Bermudes, c’est une espèce commune au sud de la Floride, dans le Golfe du Mexique, aux Antilles et dans la Mer des Caraïbes jusqu’à la partie nord du Brésil.
Écologie-Habitat
Les adultes se déplacent essentiellement dans les milieux madréporiques, riches en anfractuosités où ils peuvent se cacher durant la nuit, alors que les jeunes grandissent le plus souvent à l’abri des frondes dans les prairies immergées.
Espèce diurne bentho-pélagique, le Poisson perroquet feu nage généralement entre 3 et 50 m de profondeur avec une nette préférence pour les lieux peu fréquentés par l’homme, à tel point que le long des côtes, on ne rencontre que des poissons de petite taille, d’environ 4 ans, alors que dans les récifs coralliens au large il peuvent atteindre 8 ans pour une taille évidemment plus grande.
C’est un poisson qui consacre une grande partie de la journée à manger. Il se déplace beaucoup, raclant ou mordillant uniquement les meilleures morceaux, seul ou en couple, mais souvent en petits groupes formés d’un mâle en phase terminale et de quelques femelles.
Il fréquente principalement les zones exposées à la houle, où sur les parties mortes des madrépores poussent en abondance les algues qu’il avale souvent avec le substrat, produisant ensuite du sable corallien.
Comme il est habituel parmi les scaridés, ces poissons mâchent longuement ce qu’ils prélèvent avec leurs solides dents pharyngiennes et les résidus, après un long parcours intestinal, devient le sable blanc qui contribue à la beauté de toutes ces plages exotiques.
Une rare image de la transition de la phase initiale femelle vers la livrée mâle. Les testicules sont déjà opérationnels parce qu’ils sont matures avant que la livrée ne change © Keoki Stender
Morpho-physiologie
Sparisoma viride peut atteindre 64 cm de long et 1,6 kg, mais la taille la plus courante se situe autour de 38 cm, et il est intéressant de noter qu’à la différence d’autres poissons perroquets, les mâles ne sont pas plus grands que les femelles. Ils changent de livrée dans la phase terminale mais la taille maximale reste inchangée.
Anatomiquement, la longue nageoire dorsale comporte 9 rayons épineux et 10 mous; l’anale, plus courte, 3 rayons épineux et 9 inermes. Les pectorales ont 12 rayons mous et les pelviennes sont normales et la caudale est beaucoup plus allongée sur les côtés chez les mâles âgés.
La complétion de la livrée mâle est marquée par l’apparition d’une petite tache jaune lumineuse sur le bord supérieur de l’opercule, d’où ce nom de Poisson perroquets feu © Kevin Bryant
Les deux solides plaques maxillaires sont peu visibles car couvertes en grande partie par les gencives. En haut, elle est crantée de façon à s’imbriquer dans celle du bas pour mieux couper les algues. Cependant, on n’observe pas de petites canines à la base comme cela se produit par exemple pour Scarus prasiognathos et Scarus flavipectoralis.
Après la phase juvénile, caractérisée par une livrée cryptique sombre, puis rougeâtre avec 3 lignes de taches blanches et une ligne blanche verticale à la base de la nageoire caudale, il atteint vers 16 cm la phase dite initiale, où les mâles ont la même livrée que les femelles. La tête tend vers le marron, alors que les grandes écailles des deux tiers supérieurs du corps montrent un centre clair et un bord marron foncé qui se fond progressivement dans le rouge brillant du ventre et des nageoires.
Spectaculaire palette de couleurs d’un mâle en phase terminale. Parmi les tons iridescents turquoise, bleu et vert, on remarque 3 raies rose foncé sur la partie supérieure de la tête, une éclatante raie rouge sur le bord et la membrane de l’opercule, une raie verticale jaune au bout du pédoncule et un croissant jaune sur la nageoire caudale © Keoki Stender
Lors de cette phase, le centre de certaines écailles devient parfois très foncé, formant un motif cryptique qui, par rapport au reste, paraît noir et blanc.
Les femelles arrivent à maturité vers 17-25 cm et ne changent plus de couleurs, alors que les mâles, qui pour 4-5% des cas sont déjà capables de se reproduire à cette taille et en livrée femelle, revêtent des couleurs totalement différentes.
En phase terminale, ils sont vert vif avec une bande d’écailles jaunes au bout du pédoncule caudal et un croissant du même coloris sur l’écaille adjacente se prolongeant sur les côtés.
Cette femelle n’est pas moins bigarrée. À noter qu’à la différence de ce que l’on observe en général chez les scaridés, la taille maximale est la même pour les deux sexes © Kevin Bryant
La tête montre sur la partie supérieure trois bandes rosées et la fameuse petite tache jaune, un feu tricolore entre le vert et le rouge, qu’ils arborent fièrement sur le bord de l’opercule comme la discrète marque distinctive d’une vie bien remplie, comme le modèle réduit de la Légion d’Honneur que les humains arborent avec une discrète ostentation sur le revers de leur veste.
Pour finir, à côté de cette tache, sur le bord de l’opercule et sur la membrane operculaire on remarque une éclatante diagonale rouge.
Il faut également ajouter que, comme cela se produit pour de nombreux poissons et en particulier chez les scaridés, les mâles comme les femelles peuvent agir sur les chromatophores, modifiant instantanément, jusqu’à certaines limites, leur livrée.
Mâle terminal en livrée nocturne. Il a estompé toutes ses couleurs sauf le bord mimétique des écailles, mais ne renonce pas à la petite tache jaune et aux lumineuses écailles jaunes du pédoncule caudal. Elles simulent dans l’obscurité un faux œil afin de diriger les prédateurs vers un organe non vital pendant que le poisson s’échappe © Jeff Mitton
Un maître en la matière dans ce groupe est sans aucun doute Calotomus carolinus qui se révèle être dès son plus jeune âge un habile transformiste, avec des mâles en phase terminale dont la couleur de fond passe allègrement du turquoise au vert, au bleu ou au marron rougeâtre. Par contre, le dessin étoilé autour de l’œil ne change pas, c’est leur “marque de commandement”, également présente sur la livrée nocturne cryptique revêtue lorsqu’il va dormir, afin de se soustraire aux regards des prédateurs.
Pareillement, les mâles de Sparisoma viride ne renoncent pas eux non plus durant la nuit, bien qu’en l’atténuant, à leur décoration jaune sur le bord de l’opercule caudal ni à leurs écailles jaunes présentes sur le pédoncule caudal qui simulent probablement dans l’obscurité un faux œil afin de diriger les prédateurs vers un organe qui n’est pas vital et ainsi en profiter pour prendre la fuite.
Le revoilà, souriant au réveil. Les plaques maxillaires de Sparisoma viride sont crantés sur les bords pour mieux couper les algues © Dan Hershman
Éthologie-Biologie Reproductive
Sparisoma viride se reproduit durant toute l’année avec un pic au début du printemps.
Une étude récente a montré que les femelles pêchées en cette période, indépendamment de la taille, étaient prêtes à pondre jusqu’à 60 000 œufs.
Les mâles en phase terminale deviennent plus territoriaux que d’habitude, parce qu’un grand territoire signifie en pratique plus de femelles. Ils fécondent les femelles à tour de rôle, mais il n’est pas exclu que quelque mâle en livrée femelle n’ajoute discrètement ses propres gamètes.
Imposant individu broutant. Il se nourrit de petits morceaux d’algues, avec une prédilection pour le genre Dictyota et les polypes de Porites porites et Montastraea annularis © Kevin Bryant
Les œufs flottent grâce à une bulle huileuse et éclosent environ 26 heures après la fécondation.
Les larves, également pélagiques, mesurent 1,4 mm. Elles flottent tête en bas, tant que dure la bulle huileuse, et grandissent portées par les courants.
Le Poisson perroquet feu tricolore est localement pêché pour la consommation locale mais des cas de ciguatera (la gratte), une grave intoxication alimentaire liée à certaines espèces venimeuses pouvant faire partie de son régime alimentaire, ont été relevées.
En période de reproduction les mâles en phase terminale deviennent plus territoriaux. Un vaste territoire signifie plus de femelles à féconder à tour de rôle lorsqu’elles sont prêtes. Elles pondent jusqu’à 60.000 œufs chacune, indépendamment de leur taille. Une bulle huileuse fait flotter les œufs qui sont portés par les courants © Keoki Stender
Cette espèce n’est pas considérée en danger.
La résilience de l’espèce Sparisoma viride est relativement bonne, avec un possible doublement des populations décimées par les évènements en 1,4-4,4 années et l’indice de vulnérabilité à la pêche, aujourd’hui faible, atteint 31 sur une échelle de 100. Il apparaît donc comme “LC, Least Concern” dans la Liste rouge des espèces menacées.
Synonyme
Scarus viridis Bonnaterre, 1788.