Famille : Pandionidae
Texte © Dr. Gianfranco Colombo
Traduction en français par Catherine Collin
Bien que ce soit un oiseau cosmopolite et répandu dans toutes les aires propices à sa présence, le Balbuzard pêcheur est toujours une proie convoitée pour les ornithologues du monde entier, amateurs ou non, parce que ses effectifs ne sont jamais élevés et chaque observation est toujours une expérience extraordinaire.
Cet oiseau très répandu et très visible, là où il est présent, reste pourtant pour beaucoup une chimère, et n’est que rarement observé au cours de leur vie. Il ne se cache pas dans des bois profonds et impénétrables, ni dans des ravins escarpés hors d’atteinte mais au contraire il aime se percher sur des arbres nus, sur des pylônes au bord des routes et là où il est le plus commun, sur des installations portuaires et des constructions le long des côtes. Le nid suit aussi le même principe, il est toujours et invariablement visible de très loin mais toujours hors d’atteinte sauf par les airs.
Dans certains endroits, cet oiseau est devenu l’emblème d’un retour tant désiré après des années d’absence et ce n’est qu’à travers des programmes de protection constants et assidus, qu’il a été possible de le réintroduire et que les populations sont désormais considérées comme stables. L’exemple le plus marquant de ce succès est celui de Loch Garten en Ecosse où, en 1950, un couple est revenu nicher après une absence de plus de 50 ans.
Sa disparition y était due à l’abattage illégal des quelques individus présents et aux vols d’œufs répétés, commis par des collectionneurs peu scrupuleux avec tant d’insistance que les couples présents sur place furent contraints d’abandonner ces recoins isolés de leur aire de répartition.
Ce fut un évènement très important pour les observateurs anglais passionnés et on assista à un afflux important de visiteurs, à tel point que toute la zone fut envahie, pacifiquement bien sûr, par les amoureux de la nature qui, avec toute l’attention requise, garantirent indirectement à ces nouveaux arrivants toute la protection nécessaire.
Les années suivantes les oiseaux revinrent nicher et les contrôles, afin que le nid ne craigne aucun danger ni ne risque de s’écrouler, s’intensifièrent. Les quelques couples présents s’étaient désormais établis sur place mais leur nombre demeurait trop réduit pour pouvoir chanter victoire.
On dit que c’est lors d’une nuit sombre du début mai 1958, qu’il advint qu’un voleur d’œufs, gagna furtivement à bord d’une barque l’arbre sec situé au milieu d’un lac proche de Loch Garten en Écosse où se trouvait le nid de cet oiseau si rare et, grimpant furtivement, en déroba subrepticement le contenu.
Alors, fut installé un système de surveillance constante des nidifications, renforcé au fil des ans avec notamment l’installation de systèmes électroniques qui en ont pérennisé la sécurité. La nature est forte et résistante et l’année suivante ces nidifications continuèrent et perdurent encore.
Osprey, son nom en anglais, est désormais synonyme de protection, de beauté et de rareté et en Angleterre le souvenir de cette grande aventure est encore ancré dans tous les esprits.
Le Balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus (Linnaeus, 1758)) est un rapace appartenant à l’ordre Accipitriformes et à la famille Pandionidae, un groupe unique créé afin d’attribuer une place à cette espèce très particulière.
Sous certains aspects, c’est un aigle de mer, à tel point que son nom scientifique reflète cette caractéristique : haliaetus du grec “hali” = mer et “aetos” = aigle, bien qu’en réalité il n’ait rien à voir avec les vrais aigles de mer, oiseaux puissants et massifs qui ne possèdent pas l’élégance propre à ce faucon insolite.
En fait, pour les aigles de mer du monde entier, l’épithète haliaetus déclinée en haliaeetus a été adoptée pour le genre plutôt que pour l’espèce. En Afrique le Pygargue vocifer (Haliaeetus vocifer), en Extrême-Orient asiatique le Pygargue de Steller (Haliaeetus pelagicus), en Europe le Pygargue à queue blanche (Haliaeetus albicilla), en Amérique le Pygargue à tête blanche (Haliaeetus leucocephalus), en Océanie le Pygargue blagre (Haliaeetus leucogaster).
Il montre aussi des différences très marquées dans les comportements. Ses pattes sont très longues et ses serres comptent parmi les plus acérées, et comme nous le verrons, particulièrement adaptés. Au bout du compte, la chasse et les proies. Le Balbuzard pêcheur aime seulement et exclusivement les poissons, poissons vivants et frétillants, de préférence de grande taille, qu’il attrape, non pas en les prélevant à la surface par un banal survol bas et rasant mais en plongeant et en s’immergeant entièrement. En conclusion, cet oiseau est en réalité différent de tous ses semblables même si en même temps il ressemble à tous.
L’étymologie de Pandion montre une origine mythologique de la Grèce antique, très confuse et diversement interprétée.
Pandion est le nom d’un roi légendaire dont le fils Nisos fut transformé en rapace, certains disent en Épervier (Accipiter nisus), après que sa ville fut livrée à l’ennemi à la suite de la trahison de sa fille Scylla, celle-ci à son tour transformée en alouette et condamnée pour toujours à fuir son père, le faucon. D’autres disent que plutôt qu’en épervier, le père fut transformé en Balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus) et la fille en poisson, perpétuant ainsi le concept de persécution éternelle.
Dans les pays d’Europe où il est commun on le nomme : en allemand Fischadler, en espagnol Águila pescadora, en finlandais Sääksi, en italien Falco pescatore, en norvégien Fiskeørn, en russe Скопа et en anglais Osprey. Un nom universel : on retrouve de manière évidente la répétition dans le nom de l’association aigle-poisson.
Zoogéographie
En 1956, l’abattage d’un arbre sec dans les marais Alimini (entre Lecce et Otrante, Italie) sur lequel était placé le nid de cet oiseau, déjà rare à l’époque, sonna le glas de la nidification du Balbuzard pêcheur sur le sol italien.
Dans l’aire méditerranéenne on assista encore à quelques rares nidifications en Sicile et en Sardaigne, mais destinées elles aussi à disparaître. Dans l’aire méditerranéenne ne subsistèrent que quelques couples nicheurs en Tunisie, au Maroc, dans le Sud de la Péninsule ibérique et en Corse. Il reste répandu sur les côtes de la mer Rouge et dans la péninsule arabique alors que sur le continent européen, il est depuis longtemps absent de la partie occidentale, sauf en Écosse comme nous l’avons vu.
Lors des dernières décennies, on a pu assister à un léger retour dans certaines aires méditerranéennes occupées précédemment ou encore à un renforcement du nombre des populations déjà existantes, favorisés par la création d’aires protégées et par l’installation de plateformes adaptées à sa nidification, même si la situation n’est pas encore pérennisée. En revanche, il occupe largement la péninsule scandinave et la Russie d’Europe de la toundra aux côtes de la mer Noire et vers l’Est il s’avance en Asie jusqu’aux côtes du Pacifique, Kamchatka compris.
Il est également largement répandu en Amérique du Nord se maintenant aux mêmes latitudes qu’en Eurasie jusqu’à atteindre au Sud les Caraïbes où il est présent en grand nombre.
En Asie, il occupe aussi l’extrême Sud-Est, au sud de l’équateur et une grande partie de l’Océanie, démontrant sa capacité à s’adapter facilement à n’importe quel climat ou environnement.
Le Balbuzard pêcheur est un migrateur au long cours dans les zones où les températures hivernales lui sont insupportables mais sédentaire dans les aires tropicales et en Océanie.
Les populations européennes et d’Asie occidentale migrent en Afrique dans la partie subsaharienne et australe jusqu’en Afrique du Sud et désormais on assiste à de nombreux cas avérés d’hivernage de certains individus dans l’aire méditerranéenne. Les populations nord américaines hivernent du Mexique jusqu’à l’Argentine et le Chili alors que les populations d’Asie centrale et sibériennes hivernent dans la péninsule indienne, en Indochine et en Indonésie. Les populations indo-australiennes sont en grande partie sédentaires à part quelques populations qui se rendent vers le Nord, en Indonésie.
Ce rapace migre en solitaire suivant des routes qui ne sont pas vraiment bien déterminées, ce qui l’amène parfois par accident dans des aires qui ne correspondent pas pleinement à son habitat idéal.
Il traverse de façon erratique déserts et mers, aires densément habitées ou de hautes chaînes de montagnes descendant dès qu’il trouve des plans d’eau dans lesquels pêcher.
On ne sait pas exactement combien de temps dure ce déplacement vers ses quartiers d’hiver mais on présume que cela lui prend plusieurs mois et que cette durée est soumise aux températures environnementales.
C’est peut-être pour cela que de plus en plus souvent, on assiste à des hivernages dans l’aire méditerranéenne, surtout lors d’hivers peu rigoureux. Il hiverne sur les côtes ou à l’intérieur des terres, mais dans ce cas toujours à proximité de grands lacs qui reproduisent son habitat naturel.
Quatre sous-espèces ont été classifiées, spécifiques à chaque continent.
Pandion haliaetus haliaetus pour les populations d’Europe et d’Asie, Pandion haliaetus carolinensis pour l’Amérique du Nord, Pandion haliaetus ridgway d’Amérique centrale et Pandion haliaetus cristatus d’Australie et d’Océanie, même si certains considèrent ce dernier comme une espèce à part entière sous le nom de Pandion cristatus.
Écologie-Habitat
Le Balbuzard pêcheur est un oiseau indissolublement lié à l’eau. Son lieu de nidification est toujours placé à proximité de cet élément ou, et seulement en de très rares cas, à peu de distance de vol d’un plan d’eau, puisque son alimentation en dépend.
Les côtes représentent l’habitat principal des populations qui habitent les aires tropicales comme en Australie et plus généralement en Océanie, dans le golfe du Mexique en Amérique et sur la mer Rouge et dans la péninsule arabique en Asie.
Les lacs et les grands estuaires sont les lieux où on le rencontre principalement dans les aires boréales.
La Finlande, où se situe la plus grande concentration de balbuzards en Europe, avec ses 180.000 lacs et ses 188.000 petites îles, représente plus qu’aucun autre pays, l’habitat idéal pour cet oiseau.
Les zones boisées bordées d’eau, avec de gros arbres desséchés surplombant les plans d’eau, sont les lieux particulièrement adaptés à leurs exigences : de cette position en hauteur, rien n’entravant leur vision, ils peuvent directement repérer la nourriture qui les attend dans l’eau, en bas, et chasser leur proies, tout en gardant un œil sur leur nid et leur petits.
Morpho-physiologie
Comme déjà dit, le Balbuzard pêcheur est bien visible là où il est présent.
Arbres desséchés où il se perche, structures à ciel ouvert pour installer son nid ainsi que ses vagabondages au-dessus de l’eau quand le besoin s’en fait sentir, révèlent sa présence. De plus, il s’agit d’un oiseau d’une taille remarquable qui ne peut passer inaperçu quand il est en vol.
Son envergure atteint 180 cm, pour une longueur de 65 cm et un poids d’environ 1,5 kg, les mesures d’un véritable aigle en somme.
Le vol du Balbuzard pêcheur est presque identique à celui d’un goéland: battements d’ailes profonds et plutôt lents et vol direct jusqu’à ce qu’il repère quelque chose d’intéressant au sol, le voilà alors qui freine et qui tourne sur lui-même avec élégance pour prendre la position du Saint-Esprit, et s’il est satisfait de ce qu’il a repéré, il fonce en piqué, ailes à demi fermées, les pattes bien tendues vers l’avant jusqu’à toucher l’eau, pouvant s’immerger entièrement, émergeant immanquablement avec un gros poisson.
On n’a pas encore compris comment il réussit à agripper avec une telle précision sa proie à quelques dizaines de centimètres de profondeur, à peine perturbé par la réfraction de l’eau. Ce qui est sûr, c’est qu’il ressort quasiment toujours avec un poisson de grande taille bien agrippé entre ses serres acérées.
C’est un oiseau pratiquement noir et blanc, mis à part l’iris jaune de son œil, citron chez l’adulte et plus orangé chez les juvéniles, qui est la seule marque de couleur de sa livrée.
Il montre des couvertures noirâtres, un corps entièrement blanc pur et une barre alaire marquée sur les rémiges, primaires et secondaires, quand on l’observe de dessous.
Le bas de la queue est aussi barré et durant les pirouettes effectuées lorsqu’il pêche, celle-ci est quasiment toujours déployée en éventail. La tête, blanchâtre elle aussi, porte un long bandeau, plus ou moins marqué selon l’âge, qui partant de l’attache du bec, se raccorde à la nuque comme un fin collier.
Il a sur la tête des plumes légèrement érectiles qui vont jusqu’à former un soupçon de crête noirâtre et c’est cette caractéristique qui a été déterminante pour classifier la nouvelle espèce australienne.
Sur la poitrine on voit un halo, noir-brunâtre ou noir, plus ou moins marqué qui forme une bavette souvent bien visible même de loin. Le bec est très crochu, gros et de couleur noire. Les pattes sont assez longues et munies de doigts exceptionnellement crochus et recouvertes d’une ondulation cornée crantée qui lui permet de maintenir sa prise sur les poissons glissants et frétillants.
Le doigt le plus à l’extérieur est très mobile et opposable quand il est utilisé lors de la capture des proies, devenant si nécessaire zygodactyle.
Il y a peu de différence entre adultes et jeunes à part de légères taches plus claires sur la couverture alaire chez les jeunes.
Éthologie-Biologie Reproductive
Le retour des mâles des quartiers d’hiver précède de quelques jours celui des femelles afin qu’ils aient reconquis leur territoire à leur arrivée. Bien que cela ne soit pas confirmé, on pense que le Balbuzard pêcheur est un oiseau fidèle au site de nidification et qu’il retourne immanquablement dans la même aire, comptant bien se réinstaller sur le même territoire.
Il niche sur de gros arbres bien en vue et surplombant leur territoire de chasse ou sur des parois rocheuses face à la mer ou à des lacs, même de petite taille, sur des éoliennes et de plus en plus souvent, sur des structures installées par l’homme à cet effet. Sur certaines îles peu fréquentées de la mer Rouge, il installe pratiquement son nid au sol dans des lieux reculés et peu fréquentés.
Le nid est une plateforme, qui après quelques années atteint une taille si gigantesque que souvent elle s’écroule sur elle-même ou fait s’effondrer les branches sur lesquelles elle est installée. La durée d’utilisation de ces nids a parfois dépassé plusieurs décennies selon des cas certifiés, atteignant une taille gigantesque et inimaginable, tant et si bien que lors de la création d’installations afin de faciliter leur retour, on a pensé à installer des structures massives en fer capables de soutenir sur une longue durée ce poids tout à fait anormal.
Ce nid est composé de grosses branches à la base et garni à l’intérieur de mousse, d’écorce, de carex et de rameaux toujours plus fins, jusqu’à former une large coupe confortable. La femelle y pond 2 ou 3 œufs, parfois 4, qu’elle couve avec le mâle pendant une période allant jusqu’à 6 semaines, assidûment et sans discontinuer. Il est probable que ce comportement soit dû au fait que le nid est toujours situé dans une position très exposée et donc sujet à des rapines de la part des corvidés ou d’autres habituels sournois voleurs d’œufs. D’ailleurs, le Grand Corbeau ou encore les grands goélands, s’avèrent être une des causes principales de la disparition de nichées entières.
Les petits restent au nid pendant 7 à 8 semaines, soignés et nourris par les deux parents et ils ne montrent pas le typique caïnisme observé chez certains aigles et la nichée moyenne est toujours proche du nombre d’œufs pondus.
À l’envol, les petits restent pendant quelque temps avec leurs parents, profitant du même territoire et fréquentant les mêmes lieux de chasse. Durant cette période les juvéniles commencent un erratisme qui les porte instinctivement vers le Sud jusqu’aux quartiers d’hiver mais indépendamment des parents. Les juvéniles restent souvent dans ces territoires les deux premières années, ne retournant dans les quartiers d’été qu’une fois la majorité atteinte. La première nidification se produit habituellement la troisième année. Le couple est monogame pour la saison des amours et se dissout au moment de la migration.
Comme nous l’avons déjà dit, l’alimentation principale du Balbuzard pêcheur est le poisson, avec une prédilection pour le brochet, le saumon et la truite dans les aires froides et le bar ou le mulet pour les populations marines méditerranéennes. Les poissons pêchés sont rarement en dessous de 100/200 g, la juste quantité de viande qui lui est nécessaire par jour.
En plus de jouir d’une protection globale, cet oiseau est particulièrement aimé et grandement respecté dans le monde entier. L’espèce n’est pas menacée et, sur la liste rouge de de l’UICN (2013), il est noté comme Least Concern.
Synonyme
Falco haliaetus Linnaeus, 1758.
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