Famille : Phasianidae
Texte © Dr. Gianfranco Colombo
Traduction en français par Catherine Collin
L’arrivée des européens sur le sol d’Amérique du Nord a irrémédiablement marqué le destin de Meleagris gallopavo, le plaçant, sans euphémisme, au centre de leur attention ainsi qu’au centre de leur table.
Ces oiseaux n’auraient jamais pu imaginer que pour perpétuer une tradition chrétienne initiée en 1623 par les Pères Pèlerins qui voulaient rendre grâce à Dieu pour la prospérité de l’année écoulée et avoir survécu aux difficultés de la vie sur cette nouvelle terre, devenir un beau jour la victime expiatoire de chaque Nord-américain.
Le quatrième jeudi de novembre, tous les pays d’Amérique du Nord célèbrent ce jour en mangeant une dinde cuite au four accompagnée de courges, d’une sauce aux canneberges ou de pains de maïs, mets typiques de l’automne.
On dit qu’il s’en consomme environ 50 millions en un seul jour, même si traditionnellement, quelques jours avant Thanksgiving, le Président en exercice en gracie un couple au nom d’une hypocrite bonté agrémentée peu après par un repas à base de viande de dinde.
Il est certain que pour les premiers européens arrivés sur le sol américain pour s’y établir définitivement, à une saison trop tardive pour semer, après des mois de navigation, à bout de forces, il était facile de copier les usages des indiens Algonquins, Massachusetts et Mohicans, se nourrissant de racines de raisin d’Amérique et de topinambours, de mollusques récoltés sur les plages, y ajoutant naturellement ces gros oiseaux délicieux, si communs et faciles à chasser avec les armes modernes apportées du vieux continent.
C’est ainsi qu’à ce moment, son destin s’associa à celui de l’homme, et depuis il est passé de besoin vital à une véritable tradition alimentaire. Mais l’aventure de Meleagris gallopavo a connu au cours des siècles suivants des développements beaucoup plus importants et plus profitables.
Sa fécondité et sa capacité à s’adapter à la vie en captivité, ajoutée à son aptitude à subir des modifications génétiques ainsi que sa facilité d’hybridation, l’ont mené au fil des siècles à devenir l’un des meilleurs fournisseurs de viande, certains individus montrant des morphologies bien différentes de celle d’origine.
Il a suivi le même chemin que Gallus gallus qui, de petit coq sauvage des forêts du Sud-Est asiatique, s’est vu transformé en plus de 70 variétés de poulets et de poules de tous coloris et de toutes tailles, atteignant un record l’installant comme volatiles les plus nombreux sur terre, plus de 30 milliards d’individus.
L’arrivée du Dindon sauvage sur les autres continents a donné lieu à un amusant imbroglio qui a dénaturé sa véritable provenance, outre Atlantique, en faveur d’appellations folkloriques d’origines totalement différentes.
En Angleterre, la patrie des Pères Pèlerins, on le nomme Turkey = Turquie, en italien Tacchino selvatico, en français Dindon sauvage = d’Inde comme dans le nord de l’Italie où on le nomme Dindio, aux Pays-Bas et en Scandinavie Kalkoen, Kalkon, Kalkun, Kalkkuna = “poulet de Calicut” = ville de l’Inde, au Portugal il est bizarrement appelé Peru, au Moyen-Orient arabe, poulet d’Ethiopie, et plus à l’Est les arabes le nomment poulet romain.
En Grèce Meleagris gallopavo est appelé poulet français, dans l’aire Russe Indyuk = poulet indien ainsi qu’en Turquie, poulet Hindi et en Malaisie, poulet Hollandais, une telle confusion géographique ne cesse de nous déconcerter.
Les japonais quant à eux lui ont inventé un nom encore plus divertissant: l’appelant Shichimenchou, oiseau aux sept faces.
C’est la même confusion que celle concernant la Pintade de Numidie (Numida meleagris) dans tant de pays européens, nommée par les anglais Guineafowl et par les espagnols Gallina de Guinea = poule de Guinée ou Pintade de Numidie en français alors que pour les italiens nous avons un plus noble Faraona d’Egitto (pharaonne d’Egypte).
L’origine du malentendu vient du fait qu’à l’époque les marchands de volailles colportaient le fait, en toute bonne foi, que tout oiseau exotique un tant soit peu étrange provenait des pays les plus improbables et comme à l’époque les turcs étaient les maîtres de ce commerce, on comprend l’origine du nom anglo-saxon donné au dindon, alors qu’en Turquie, faisant preuve d’encore plus de fantaisie, on le nomme poulet indien.
Sur les côtes des Balkans, on l’appelait “poulet qui vient de la mer” précisément parce que c’est de la mer que ces peuples voyaient arriver les commerçants de l’époque. En Afrique de l’Est, les peuples locaux ont satisfait cette fantaisie avec le nom de poule géante.
D’autres noms communs internationaux : Truthuhn en allemand, Pavo comun en espagnol et, bien sûr, Dinde ou Dindon sauvage en français.
Le Dindon sauvage (Meleagris gallopavo Linnaeus, 1758) appartient à l’ordre Galliformes et à la famille Phasianidae. C’en est un des représentants les plus grands.
Le binôme scientifique montre une origine grecque “meleagris” = Pintade et latine “gallopavo” de “gallus” = coq et “pavo” = paon.
A titre de précision, dans la mythologie grecque, Méléagre, était un grand guerrier. Lorsqu’il mourut, ses sœurs furent si accablées de douleur qu’Artémis, par pitié, les transforma en un oiseau aux plumes tachetées du blanc de leurs larmes, la Pintade de Numidie.
Les noms vulgaires qui lui sont donnés en Italie sont très nombreux et certains sonnent plus comme de sympathiques surnoms même si la plupart d’entre eux reprennent les termes ci-dessus mentionnés: Pirillo et Pit, Bibbin et Pulin, Pita et Viccia, Nia et Billo, Lucio et Pao.
Zoogéographie
Le Dindon sauvage est originaire d’Amérique du Nord où il occupe toute la partie Centre-Est des États-Unis, du Golfe du Mexique jusqu’aux régions méridionales du Canada et du Texas jusqu’à l’Oregon.
Il est aussi présent dans la partie montagneuse du Mexique et dans certaines aires de Californie, aires où il a probablement été introduit lors des derniers siècles.
Il a également été introduit avec des résultats assez positifs en Allemagne.
Le dindon d’élevage, quant à lui, est largement présent et en grand nombre, sur tous les continents.
Il est impossible de déterminer avec exactitude le nombre d’individus présents dans les élevages du monde entier mais on peut supposer qu’il y en a plusieurs milliards.
Le Dindon sauvage est une espèce sédentaire et le nombre de ses populations demeure stable après la réintroduction effectuée au siècle dernier dans les endroits où il était devenu rare en raison du fort impact de la chasse.
C’est une espèce encore fortement chassée mais soigneusement surveillée par les autorités environnementales afin de la protéger.
Écologie-Habitat
Meleagris gallopavo est une espèce terrestre et comme une grande partie des phasianidés, il passe toute la journée au sol dans les buissons ouverts ou semi-ombragés, où il vagabonde en grattant le sol à la recherche de nourriture, en grands groupes familiaux, parcourant plusieurs kilomètres par jour.
Le groupe est mené par un chef, généralement un vieux mâle, qui a la charge de défendre le groupe, en se sacrifiant parfois afin de sauver les membres de sa tribu.
Bien que les buissons secs représentent son milieu naturel, il ne dédaigne ni les aires de prairies ouvertes sans arbres mais avec des buissons bas où se cacher des prédateurs si nécessaire, ni les marais ou les aires montagneuses.
La nuit, à l’inverse, il devient arboricole et se perche sur les hautes branches d’arbres touffus pour éviter le grand nombre de prédateurs terrestres présents sur son territoire.
Il n’est pas très doué pour le vol, en effet l’effort exigé pour rester en l’air est si grand qu’il l’évite le plus possible. Cependant, c’est un coureur exceptionnel qui peut se déplacer à plus de 40 km/h, échappant ainsi à la plupart de ses prédateurs. Il ne s’envole que contraint et forcé avec un rapide et très violent battement de ses courtes ailes, dans un fracas typique et tonitruant.
L’envol de tout un groupe peut effrayer l’intrus le plus expérimenté, créant un fracas assourdissant si soudain que pendant quelques secondes il peut sidérer toute personne y assistant.
Après quoi, l’oiseau parcourt quelques dizaines de mètres, principalement en planant ailes arquées, et atterrit en une course effrénée afin d’amortir la descente et va se dissimuler derrière un buisson en attendant que le danger passe.
Morpho-physiologie
Il est désormais nécessaire de faire une nette distinction entre le Dindon sauvage et celui d’élevage.
Le premier est maintenant très différent du second, tant dans la morphologie que dans la livrée et encore plus en ce qui concerne la taille.
Le Dindon sauvage est un oiseau d’environ 120 cm de long pour un poids qui varie de 4 à 11 kg, poids qui dépend de la nourriture disponible et de la saison, et une envergure d’environ 120 cm.
L’espèce d’élevage, dont certains individus pèsent jusqu’à 40 kg et présentent une taille telle qu’ils peuvent concurrencer un chien ou même en contrer l’attaque, est d’un tout autre calibre.
On ne peut dorénavant plus parler de vol pour ces oiseaux désormais si anormaux et accablés par un poids formidable qui rendrait vaine toute tentative de s’envoler.
Le mâle de Meleagris gallopavo est sensiblement plus grand que la femelle et on remarque un important dimorphisme sexuel tant dans le comportement que dans la livrée.
On pourrait le comparer à un Paon bleu (Pavo cristatus) aux couleurs plus modestes, montrant les mêmes comportements sociaux.
Le mâle présente de grosses caroncules pendant sur le bec qui grandissent au fil des années jusqu’à former une excroissance si importante qu’elle peut recouvrir une partie de sa face et de son bec. Cette excroissance gonfle encore plus lorsqu’il est excité lors de la parade nuptiale ou lorsqu’il défend son harem.
Le dindon attaque souvent l’homme, le poursuivant et lui donnant de vigoureux coups de bec dès qu’il s’approche de son territoire, que ce soit un poulailler, un pré ou même un petit espace dans un élevage.
En outre, il est doté de jambes puissantes avec des doigts pourvus de forts ongles et d’un ergot de plusieurs centimètres qu’il utilise équitablement pour montrer à tout intrus le chemin vers la sortie.
Le bec est fort et légèrement crochu. Il est adapté pour fouiller au sol dans l’humus et les feuilles mais aussi pour saisir et mettre en pièce les proies vivantes que souvent il chasse.
La livrée classique du Dindon sauvage est bien connue de tous. Un plumage noirâtre avec une bordure blanchâtre sur toutes les plumes du corps, le faisant paraître grisonnant, et une queue, elle aussi noire et bordée de clair sur les pointes, qui s’ouvre en éventail lors de la parade nuptiale. La queue est composée de dix-huit rectrices qui ont un rachis assez rigide qui les maintient bien droites durant la parade nuptiale.
La tête est nue et montre une caroncule grisâtre au repos qui devient rouge vif et même bleue en cas de forte excitation. Les caroncules sur la gorge présentent des renflements en forme de petites boules rouges qui pendent sur la poitrine bringuebalant à chaque mouvement.
Toujours sur la poitrine, le mâle présente une touffe de plumes rêches qui tombe en bavoir, la barbe, ressemblant à la bourse que l’on peut voir sur le kilt d’un écossais ou encore aux poils d’un balai pendant autour du cou.
Les dindes quant à elles présentent des coloris plus ternes et n’ont ni barbes ni fioritures sur la poitrine et bien sûr ne font pas la roue comme les mâles.
Les individus d’élevage présentent habituellement les mêmes couleurs, même si, puisqu’ils sont élevés pour leur viande et sont abattus encore jeunes, ils ne montrent jamais les couleurs éclatantes typiques des sujets adultes.
Du reste, ce sont généralement des dindes qui sont élevées pour la viande. Elles montrent des coloris plus ternes mais une chair beaucoup plus moelleuse et goûteuse.
Il en existe une quarantaine de races domestiquées qui montrent divers coloris qui n’ont rien à voir avec celui de l’holotype mais très élégants et attrayants, parmi lesquels : le Dindon Euganéen, le noir de Sologne, les différents blancs, le Dindon bleu de Suède, le Dindon porcelaine, le rouge des Ardennes, le bronzé d’Allemagne, le Bronzé d’Amérique, le Slate australien, le Dindon ardoisé et le Dindon cuivré.
A l’état sauvage, n’existent que deux espèces de dindons, toutes deux originaires du nouveau monde, le Dindon sauvage ci-dessus mentionné et le Dindon ocellé (Meleagris ocellata).
Ce dernier présente une livrée beaucoup plus élégante avec des nuances dorées métalliques et des ocelles sur tout le corps ainsi que des coloris beaucoup plus vifs. Il ne peut en aucun cas être confondu avec le Dindon sauvage, déjà parce qu’il vit relégué au Yucatan et aussi parce que sa livrée est totalement différente.
Le Dindon sauvage a six sous-espèces qui diffèrent par les nuances des coloris, par la taille et par les territoires occupés. Meleagris gallopavo silvestris, M.g. intermedia, M.g. mexicana, M.g. osceola, M.g. merriami et M.g. gallopavo.
Ethologie-Biologie reproductive
Meleagris gallopavo est un excellent reproducteur et la dinde une incroyable couveuse qui donne des résultats exceptionnels. Par tradition, dans nos campagnes, la dinde est utilisée pour couver les œufs d’autres volailles avec de très bons résultats.
La dinde peut rester sur le nid sans relâche pendant des jours, ne le quittant que rarement et seulement pour quelques minutes, perdant du poids jusqu’à beaucoup s’affaiblir. L’effort dure environ 28 jours dans une solitude absolue puisque la femelle prend seule soin de la progéniture et ce dès la conception.
Meleagris gallopavo est polygame et s’accouple donc avec plusieurs femelles qu’il quitte aussitôt pour mener une vie oiseuse et sans attaches. La parade nuptiale se déroule selon un schéma bien connu, toujours le même, quel que soit l’endroit où ces oiseaux sont élevés.
Queue en éventail, ailes abaissées jusqu’à toucher le sol et qu’il fait vibrer frénétiquement comme s’il était en proie à une crise d’hystérie, tête en arrière, caroncules rougies et gonflées, le tout accompagné d’un gloussement incessant et bruyant qui peut durer des heures. Dans cet état d’excitation le dindon va jusqu’à répondre aux provocations humaines, craignant qu’il ne soit un éventuel concurrent, un fait bien connu des enfants de la campagne qui pour s’amuser lui font émettre à l’infini le fatidique glou-glou comme si c’était un éternuement irrépressible, juste par un sifflement plaintif qui semble frapper la fantaisie érotique de l’animal.
La cuvette où est installé le nid est creusée par la femelle sous un buisson bien camouflé et abrité, garni de feuilles et d’herbes sèches amollies par le duvet que la femelle perd lors de la ponte des 10/20 œufs habituels.
Les œufs sont de grande taille et pèsent jusqu’à 100 g. Ils sont désormais considérés comme un met de choix, peut-être même plus que ceux de nos poules pondeuses habituelles. Le dindon est l’un des rares vertébrés pouvant se reproduire par parthénogénèse, c’est-à-dire à partir d’œufs non fécondés par le mâle.
Les petits de Meleagris gallopavo sont nidifuges et naissent déjà recouverts d’un duvet brun rayé de jaunâtre qui les camoufle à la perfection sur le sol du milieu dans lequel ils vivent.
L’éclosion est pratiquement simultanée et en l’espace de quelques heures la nichée quitte le nid pour commencer sa vie de groupe suivie attentivement, pendant quelques semaines, par leur mère qui les protège de tous les dangers.
Cette enfance passée au sol est cependant une période assez dangereuse pour les petits dindons qui sont soumis à un prélèvement assez important de la part de prédateurs. Deux semaines seulement après l’éclosion, les petits sont en mesure d’effectuer leurs premiers vols et de se retirer sur les branches les plus hautes des arbres afin d’y passer la nuit.
Meleagris gallopavo a de très nombreux prédateurs dans les milieux où il vit à l’état sauvage. Des coyotes aux renards, des lynx aux ratons laveurs, des serpents aux visons mais aussi, venus du ciel, les hiboux et toutes sortes de rapaces. Et n’oublions pas les chasseurs qui l’apprécient comme proie, pour sa chair exquise mais aussi pour le mode de chasse.
Le dindon a un estomac de fer !
Il mange de tout, des fruits à n’importe quelles graines, des bourgeons aux baies, des insectes aux mollusques et il ne manque pas d’ingurgiter parfois, sans même les découper, de petits mammifères ainsi que des reptiles, qu’il rencontre sur son chemin.
Son estomac sécrète un acide gastrique si puissant qu’il lui permet de digérer des morceaux de métal ainsi que les petits cailloux qu’il avale souvent afin de faciliter le broyage des graines dures qu’il engloutit en entier.
On croit, dans la tradition populaire, que l’estomac du dindon peut aussi attaquer l’or, un métal que seule l’eau régale peut partiellement corroder.
Comme on l’a dit, sa gloutonnerie ne s’arrête pas devant les serpents qu’il rencontre souvent lorsqu’il gratte la litière. De fait, dans de nombreux endroits d’Europe, en particulier les piémonts, lieux de prédilection de ces reptiles, le dindon est souvent utilisé pour lutter contre leur présence à proximité des fermes. En effet, là où fouillent les dindons, les vipères et les couleuvres n’existent plus.
C’est bon à savoir !
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