Famille : Scolopacidae
Texte © Dr. Gianfranco Colombo
Traduction en français par Catherine Collin
Il règne une grande confusion au printemps dans les marais, quand tous les limicoles se retrouvent rassemblés dans de petits espaces, sur la route du retour vers les sites de nidification, tous mêlés et saisis d’une envie irrépressible de se nourrir afin de reprendre des forces pour poursuivre le voyage, générant ce sympathique brassage tant apprécié des ornithologues amateurs.
À vrai dire, la même bousculade se reproduit au début de l’automne sur le chemin du retour vers les aires d’hivernage mais cette fois les migrateurs ne montrent plus cet élan frénétique manifesté au printemps.
Dans cet enchevêtrement de petits oiseaux de tailles variées semblant des fourmis excitées, parmi les chants et les cris de toutes sortes, parmi tous ces battements d’ailes nerveux, au milieu de cet irrésistible ballet à la recherche de nourriture, seuls quelques-uns se distinguent et sont reconnaissables sans erreur possible et le Chevalier aboyeur est l’un de ceux-là !
Son chant continu et plaintif est l’un des signes révélateurs de sa présence : un thiou thiou thiou, répété rapidement, presque toujours en tercets.
Il faut dire qu’il ne serait pas facile de le distinguer au milieu de ce manège incoercible composé de dizaines voire de centaines de petits limicoles montrant pratiquement la même taille si ce n’est par ce chant triste et plaintif.
Le Chevalier aboyeur (Tringa nebularia Gunnerus, 1767), appartient à l’ordre Charadriiformes et à la famille Scolopacidae. C’est un limicole bien présent dans l’avifaune du paléarctique. À distance, on le confond facilement avec deux autres chevaliers : le Chevalier gambette (Tringa totanus) et le Chevalier stagnatile (Tringa stagnatilis).
En Italie, sa fréquentation assidue des milieux humides lui a valu le nom commun de Pantana (marais), mais ses noms communs locaux sont plus souvent liés à la répétition plus ou moins sous forme d’onomatopée de son habituel chant ou en relation avec sa forme ou sa couleur. Pivlot, Cucalet, Chiò chiò, Gambetta reale, Sgambettun, Verderello, Totanon, Totanasso.
En français aussi, avec ce nom de Chevalier aboyeur, on a voulu mettre en évidence ses deux caractéristiques principales : chevalier, pour ses longues pattes semblables aux jambes pendantes d’un cavalier monté à cheval et aboyeur pour son cri de rappel continu. En anglais son nom commun est common Greenshank, en portugais Perna verde comum, en allemand Grünschenkel, noms rappelant la couleur verte de ses pattes et en espagnol Archibele claro.
Le binôme scientifique quant à lui rappelle des traditions et une étymologie grecque et latine avec ajouts issus d’anciennes langues nordiques.
Tringa d’un ancien terme grec “Trungas” par lequel Aristote identifiait un oiseau aquatique au croupion blanc de la taille d’une grive, jamais identifié avec certitude et que l’on pensait être un Chevalier guignette.
Nebularia du latin “nebula” = brouillard pour décrire le milieu dans lequel vit cet oiseau, un latinisme créé par Gunnerus lui-même, reprenant le nom qui lui avait été donné en Norvège dans les temps anciens : Skodde føll, poulain des brumes.
Zoogéographie
Le Chevalier aboyeur est un oiseau du paléarctique, largement présent dans les régions septentrionales de l’Asie et de l’Europe à des latitudes assez élevées, à la limite de la toundra inhospitalière de l’Arctique et de la Sibérie. Il niche en Ecosse ainsi que dans toute la péninsule scandinave et la péninsule de Kola, continuant à l’Est à travers la Russie et la Sibérie, jusqu’au Kamchatka.
Les lieux de nidification les plus méridionaux sont donc situés en Ecosse et sur quelques îles de la mer Baltique, dans le golfe de Finlande et poursuivant à l’Est en restant toujours au-delà du 55ème parallèle. Il est absent d’Islande et des îles de l’Atlantique Nord, sauf cas accidentels.
Durant la migration vers le Sud, quelques individus mêlés à d’autres migrateurs, descendent exceptionnellement à travers l’Amérique du Nord mais ce sont des cas notés comme extraordinaires.
Le Chevalier aboyeur est un migrateur à longue distance qui peut atteindre des endroits de l’hémisphère austral très éloignés de ses objectifs habituels. Toutes les populations européennes et celles de l’ouest de l’Asie migrent en Afrique subsaharienne, envahissant largement l’ensemble du continent et atteignant même l’Afrique du Sud. Ce n’est qu’occasionnellement et dans des circonstances particulières que quelques centaines d’individus passent la mauvaise saison dans la région méditerranéenne mais il se peut qu’ils rentrent dans le pourcentage d’erratisme auquel se livrent souvent les juvéniles.
La partie orientale de l’Afrique, avec la vallée du Rift est la plus concernée par ce flux migratoire et voit dès les premiers jours de juillet affluer en grand nombre ces limicoles qui y demeureront jusqu’à fin avril. Les côtes de la péninsule arabique et le golfe Persique attirent également un grand nombre de migrateurs hivernaux.
Les populations du centre et de l’est asiatique rejoignent plutôt le sous-continent indien, les aires indo-malaises et toutes les côtes de l’Australie.
Écologie-Habitat
Oiseau limicole typique, le Chevalier aboyeur fréquente assidûment les étangs et les marais, les lacs et les littoraux, les lagunes et les rives des grands fleuves mais lors de la migration il se contente de petits plans d’eau afin de se reposer quelques jours et reprendre des forces pour continuer le voyage.
Les sites de nidification sont caractérisés par les typiques marais de la taïga, dans des aires ouvertes au milieu d’immenses forêts, ou par des aires totalement arides dépourvues de végétation, constituées de petits plans d’eau ou de tourbières, avec des flaques d’eau stagnante et une couverture d’herbe ouverte qui permet une bonne visibilité et facilite le cheminement.
C’est un oiseau farouche ne se rassemblant jamais en groupes importants, même durant la migration et cette caractéristique est mise en évidence lors de la nidification quand il se retire en couple jusqu’au terme de celle-ci. Son chant est caractéristique de ces aires du grand Nord battues par les vents et ce son se propage sur de longues distances se mêlant à la rumeur de cette nature reculée et encore sauvage.
Morpho-physiologie
Le Chevalier aboyeur est l’espèce la plus grande de son genre. Il présente une longueur de 35 cm, un poids moyen de 200 g et une envergure de 70 cm.
Bien que l’on puisse le confondre avec certains de ses congénères, à courte distance on le reconnaît facilement grâce à la conformation particulière de son bec qui le rend unique en son genre.
Un bec long, robuste et effilé et, dans la partie terminale, légèrement recourbé vers le haut, caractéristique ressortant de manière évidente
Il convient également de rappeler que le Chevalier aboyeur, comme nous l’avons dit, a des pattes verdâtres bien allongées sur le corps, élancées et toujours bien visibles comme ces oiseaux aiment beaucoup marcher dans l’eau peu profonde ou dans de simples flaques boueuses.
En vol, ses pattes dépassent de sa queue montrant entièrement ses pieds.
Il est généralement d’un coloris grisâtre sur tout le corps, coloris tirant sur le blanchâtre jusqu’à le faire paraître, à l’envol, plus clair qu’il n’est en réalité. Le manteau est beaucoup plus foncé que l’abdomen, un gris foncé mat qui contraste avec la poitrine blanche marbrée de taches et de rayures noires.
Le croupion est très blanc et se fond avec les sus-caudales et la queue elles-mêmes qui sont de la même couleur : une caractéristique bien visible lorsqu’il est en vol et peut-être la raison qui le fait paraître noir et blanc plutôt que gris. La tête est grise, marbrée sur le dessus de veines noires plus ou moins accentuées.
On voit souvent des individus montrant une livrée si claire qu’on les suppose atteints de leucisme mais il ne s’agit que d’une phase de mue qui met en évidence des plumages plus clairs que d’habitude.
Il n’y a pas de dimorphisme sexuel et les jeunes montrent dès leur première année une livrée pratiquement semblable à celle des adultes. Le sexage et la détermination de l’âge sont des opérations complexes ne pouvant être réalisées que par des spécialistes en ornithologie.
Ethologie-Biologie reproductive
Le couple est monogame et peut durer au-delà de la saison de reproduction. Le nid est une simple dépression dans le sol, où le Chevalier aboyeur n’ajoute que peu de matériaux, récoltés aux alentours, afin de le camoufler dans le milieu environnant, plongé au milieu des lichens, des herbes basses et des petits arbustes ou adossé à un tronc d’arbre tombé à terre ou encore à une grosse pierre.
La femelle y pond habituellement 4 œufs verdâtres grandement piriformes et largement mouchetés de brun. L’incubation est effectuée par les deux parents pendant environ 25 jours et les petits, nidifuges, naissent pourvus d’un léger duvet qui leur permet de quitter le nid presque immédiatement après l’éclosion.
Les petits prendront leur envol après 30 autres jours même s’ils ne seront vraiment indépendants qu’après quelque temps encore. La croissance des oisillons est accélérée par le fait que les chevaliers sont des oiseaux qui se nourrissent aussi durant la nuit, plus encore dans les régions subarctiques où ils ont de la lumière pendant 24 heures.
Les femelles quittent habituellement le lieu de nidification avant les mâles et même avant que les petits ne sachent voler. En fait, les petits de l’année ne migrent pas avec leurs parents mais avec d’autres jeunes nés la même saison, peut-être en suivant d’autres adultes. Il semble que le Chevalier aboyeur atteigne la maturité vers 3 ans et que les juvéniles, après avoir migré vers le Sud lors de leur premier hiver, demeurent dans ces quartiers d’hivernage y compris durant la saison suivante ou que seule une partie d’entre eux retourne séparément vers les lieux de naissance sans toujours les atteindre, vagabondant à travers l’hémisphère nord jusqu’à l’automne suivant.
Le Chevalier aboyeur est insectivore mais il ne dédaigne pas les mollusques, les crustacés et les petits amphibiens. Les insectes et leurs larves aussi représente une part importante de son régime alimentaire mais on rapporte que de petits rongeurs et de menus reptiles sont parfois la proie de cet oiseau.
Le Chevalier aboyeur a une espérance de vie assez longue, pouvant atteindre les 15 ans. L’espèce n’est pas considérée en danger au regard de cette espérance de vie ajoutée à la très vaste aire de répartition habitée et à l’importance des populations.
Synonyme
Scolopax nebularia Gunnerus, 1767.
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